Episode 7 : Comment survivre dans un incubateur rempli de licornes ?

Antoine
The Start-up Way
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12 min readJan 30, 2018

Synopsis : Antoine vient de rejoindre la startup WashWasher. Alison, la directrice communication lui fait alors découvrir la crème des startup françaises présentes à l’incubateur.

Mercredi 4 Mai

11h10 — Etage Zuck

  • Tu aimes le porno, Antoine ?

La question vient de la directrice communication de ma startup qui me fait faire le tour de l’incubateur. Que je connais depuis 10 minutes. Les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur le premier étage de l’incubateur : l’étage “Zuck”.

  • Pardon… si j’aime le porno ?
  • Oui, le porno ! Antoine, bienvenue à l’étage Zuck, l’étage des startup qui ont levé plus de 10 millions d’euros. Si Xavier Nuts était un Empereur de la FrenchTech, les startup licornes seraient les dauphins et cet étage abriterait la noblesse de l’entrepreneuriat. Tu as l’air étonné que je te parle de porno. Tu n’es pas fin connaisseur de la PornTech ? Sache que la pornographie représente plus de 40% des contenus du web. La Porntech c’est 80% des sources de financement de l’incubateur Le Garage.

Je regarde autour de moi : tous les employés de S.I.X. semblent étonnamment sages et normaux. Tout droit sortis de l’école de commerce ou d’ingénieur vers le porno. Si ça se trouve, aujourd’hui c’est devenu plus hype de travailler pour Dorcel que pour Danone.

  • Alison, quel est le lien entre le porno et les revenus du Garage ? Je ne comprends pas.
  • Antoine voyons : Nuts ! Le fondateur du Garage, il est devenu milliardaire grâce au porno. C’est vrai qu’aujourd’hui quand on le sait marié à une princesse monégasque, qu’il passe ses week-end à faire des parties de golf avec Stéphane et Manu, on a tendance à l’oublier. Pourtant le porno c’est bien ses vraies racines. Et en souvenir du bon vieux temps, il lui arrive d’investir dans certaines startups prometteuses du X. Comme disait Antonio Gramsci : “Quand on sait d’où l’on vient, on sait où l’on va”. Sur notre droite voici la dernière arrivée à l’étage des startup avec des levées de plus de 10 millions. Son dernier caprice financier ? La startup S.I.X., mes chouchoux. S.I.X est une solution spécialisée dans les Systèmes d’Informations pour les boîtes du X. Ils ont levé 15 millions au dernier trimestre. Leur CEO c’est Zana, tu sais cette actri-X qui était très connue dans les années 90. Tu sais elle a tourné avec les plus grands, de véritables chefs d’oeuvres. Dans les années 2000, elle s’est reconvertie et aujourd’hui, elle dirige une équipe technique de 20 personnes. Au moins, je peux te dire que côté marque employeur, ils n’ont pas de mal à recruter ! Mon conseil : il faut absolument que tu viennes pour les soirées S.I.X. chaque 1er jeudi du mois : alors là c’est vraiment Noël avant l’heure. Open vibro, open plugs…

Et c’est reparti… Alison a à peu près la trentaine, blonde, mince, maquillage impeccable, tenue irréprochable. Ce qui dénote encore plus avec le fait qu’elle ne peut pas s’empêcher de faire un sous-entendu sexuel toutes les 5 phrases. Soudain, un bruit d’explosion me tire de mes pensées.

  • Pas de panique Antoine, ce n’est que ChimiChimiYoChimiYeaChimiYa qui font leurs expériences matinales. .ChimiChimiYoChimiYeaChimiYa est une autre startup qui vit à cet étage. Ce sont des pointures de la BioTech. Ils ont carrément re-créé leurs propres laboratoires, ici dans l’incubateur !

Je regarde l’avenir de la chimie en blouse blanche s’agiter sous mes yeux : une fille au dessus d’une fiole à essai panique en voyant ses cheveux virer au vert, trois employés sur-excités s’amusent à dissoudre un bureau à l’acide, et un dernier chimiste ricane en shootant une souris avec de l’oxygène. De vrais prix Nobels en puissance.

  • ChimiChimiYoChimiYeaChimiYa révolutionne la chimie. Ils sortent des nouveaux produits tous les mois. Bon, certains ont récemment dû être retirés de la vente. Personne ne comprend vraiment ce qu’ils font. Parfois je pense qu’eux-mêmes ne le savent pas non plus. Mais ce que je sais c’est que la dernière fois que j’ai donné de leur “KimChimie” à mon père il a passé 72 heures non stop à tondre la pelouse en pyjama en chantant du Elvis. Evidemment, je ne peux que te recommander leurs soirées de lancement de produits. Par contre il peut y avoir quelques effets secondaires. Par exemple je crois que depuis la soirée Bloody Marie Curie, James a la paupière droite qui tremble dès qu’il boit du jus d’orange.

On arrive à la dernière startup de l’étage Zuck. Ça sent le monoï et je jurerai que j’entends du Patrick Sébastien.

  • Nous voici arrivés chez Merguezito !
  • Ah c’est dans la food ?
  • Non, dans le nudisme. Merguezito est une startup qui a tout juste levé 10 millions, ils sont clairement en train de disrupter la NakedIndustry. Leur concept : de la crème solaire et de la cosmétique spéciale nudistes.
  • Pourquoi est-ce qu’il leur faudrait une crème spéciale ?
  • Alors Antoine, sache que lorsque tu pratiques le nudisme, tu dois protéger tes organes génitaux. Chaque année, l’Institut de la veille sanitaire recense des centaines de cas de brûlures génitales dues à une mauvaise protection contre les UVA. C’est un petit problème de société, c’est pourquoi Merguezito a principalement des investissements publics et aucun mal à trouver des subventions. Le marché potentiel est étonnamment grand et ils sont déjà très implantés en Allemagne et au Cap d’Agde. Ha, regarde ! Génial, vendredi ils organisent une soirée mousse ! Ça doit être pour leur nouveau produit, prépare-toi à découvrir…Pastequita ! Leur nouvelle solution pour femmes.
  • Et ces mecs, qui font de la crème solaire… ont levé 10 millions ?
  • Bien sûr Antoine, ce sont des 2ème étage. Maintenant pour continuer la visite, nous allons descendre plus bas dans la hiérarchie, retournons au rez-de-chaussée. Malheureusement aussi connu comme étant notre étage, l’étage Ma.

11h20 — Etage Ma

WashWasher, ma startup est à au rez-de-chaussée, même si ça serait plus approprié de nous mettre à l’étage des startup au bord de la faillite. Mais apparemment je suis le seul employé à connaître l’état de nos finances.Ce monde est vraiment en train de toucher le fond. Comment des boîtes aussi débiles que Merguezito peuvent-elles convaincre des investisseurs ? Pourquoi serait-ils une startup d’ailleurs ? J’ai l’impression qu’en 2017, si tu as un siteweb et moins de 30 ans, tu peux t’autoproclamer startup. Je descends avec Alison au rez-de-chaussée voir les startup qui sont encore dans l’entre-deux : ni rentables, ni avec une grosse levée de fond. En arrivant je sens une forte odeur d’encens.

  • Nous voilà arrivés chez Sarouel, Antoine. Ah mince, ils sont en pleine méditation, on ne va pas les déranger. Alors Sarouel, qu’est-ce qu’ils font déjà ? Ah oui, “Sarouel a pour ambition de rendre accessible l’hégélianisme, la méditation Vipassana, la danse post-contemporaine et l’art fractal aux plus démunis d’Afrique Subsaharienne”. Bon, eux, je ne te recommande pas forcément leurs soirées. La dernière fois que j’y suis allée j’ai dû arrêter les sucres raffinés, travailler à la Louve et répéter tous les matins le mantra Lokah machin chose pendant trois semaines. Bref, on continue la visite ! Et maintenant nous voilà devant les locaux de PooPoo : eux, ils révolutionnent… heu, la merde de chien.
  • Mais attends… je connais PooPoo, c’est un mec de ma promo !

On arrive devant la pancarte PooPoo et je reconnais la boîte du mec de mon école. Je lui explique que je viens d’être recruté par WashWasher.

  • C’est trop frais pour toi Antoine, ça fait plaisir ! On se revoit pour une de nos soirées de bénévolat citoyen de propreté “Stop aux incivilités canines !” ?
  • Oui pourquoi pas ! Heu … c’est moi ou il y a une odeur bizarre ?
  • Ah oui, Antoine, j’ai oublié de te dire que PooPoo est une boîte dog-friendly, mes petites recrues peuvent venir taffer avec leur clébard ! Et en plus on a un arrivage massif de toutous aujourd’hui car on lance notre service de dog-sitting ! 6 mois et déjà on se diversifie ! Bon et là c’est bientôt… 11h ?! Merde ! Anna ! Anna !!! Faut sortir les chiens !!! Normalement c’est à 10h45 la promenade … Oups!

En disant ça, 5 molosses baveux et surexcités sortent des locaux de PooPoo en courant, suivis par un stagiaire qui hurle “Au pied ! Au pieeed !”. Je salue le fondateur de PooPoo et on reprend la visite de l’étage avec Alison. Elle m’emmène devant un nouveau local. Il y a 5 employés : deux font la sieste sur un canapé, un autre rigole tout seul en regardant dans le vide et les deux derniers se marrent devant une vidéo sur les oiseaux migrateurs. Une forte odeur d’illégalité se dégage de la pièce.

  • Alors eux c’est B8, ils préparent l’ouverture du marché de la dépénalisation du cannabis. Ils veulent être prêts à attaquer dès que la loi sera votée. La rumeur dit qu’ils sont financés par Doc Gyneco. Pour l’instant je crois qu’ils se concentrent sur les tests qualité … Je pense qu’ils ont des légers problèmes de productivité. En fait je crois qu’ils n’ont même pas encore de siteweb donc je n’ai pas grand chose à te dire sur eux.

Alison termine la visite en passant devant les bureaux de notre startup.

  • Voilà Antoine je ne vais pas te présenter WashWasher, la meilleure startup de tous les temps ! Descendons au sous-sol, l’étage des startup rentables.

Aucun second degré dans sa voix. Peut-on travailler en startup sans être ardemment persuadé que son entreprise est mieux que les autres ?

11h40 — Etage Bezos

  • Bienvenue à l’étage des loosers Antoine ! Enfin, l’étage Bezos. A droite, la boîte des mecs bizarres que je te déconseille de déranger sous aucun prétexte, en fait ne les regarde même pas, fais comme s’ils n’existaient pas. C’est Dscreet. Ne me demande pas ce qu’ils font, personne ne le sait et il vaut mieux qu’on ne le sache pas. Pour accéder à leur site web il faut un mot de passe. Pour avoir un mot de passe, il faut un code secret. Pour avoir le code secret il faut avoir été parrainé par un membre. Pour entrer dans leurs bureaux il y a un système de reconnaissance faciale. Pour mettre du courrier dans leur boite aux lettres il faut passer une analyse biométrique. Ils ne veulent même pas apparaître dans les listings des entreprises de l’incubateur. Pas sûre qu’ils aient un numéro SIRET. Il n’y a rien sur eux sur Google. Je ne connais le prénom d’aucun des employés donc je leur ai donné des surnoms. Tiens regarde c’est Triceps !

Une armoire à glace chauve de plus d’1m90 sort de locaux de la startup. Est-ce qu’il y a une salle de musculation dans leurs locaux ? Impossible à dire car les vitres sont teintées. Je n’ai pas le temps d’en savoir plus, Triceps nous jette un regard perçant, Alison et moi traçons vite notre chemin. En avançant dans le couloir, je ne peux m’empêcher de me sentir crispé : une odeur de bougies et de cire, des visages d’anges en Vicomte Arthur, un reflet sur une chevalière,…

  • Bienvenue chez ConterLaBible.com, notre startup dans la CathoTech ! Au départ c’était une app de lecture audio de la bible, puis ils se sont rapidement diversifiés, entre temps c’est devenu une app réseau social et maintenant ils s’apprêtent à lancer leur cryptomonnaie.

Dans leur local tout ne semble qu’être sourire bienveillant et empressement à aider un collègue dans le besoin. J’ai à peine passé la tête par la porte que leur radar à nouveau s’est allumé, ils sont tous tournés vers moi et me regardent en souriant, l’air de dire “viens…”.

  • Sur l’app, tu peux créer des events public du type chorale, quête, mission évangéliste en Afrique. Tu peux allumer un cierge digital, rejoindre un camp scout, écouter une playlist de chants grégoriens, live-streamer un pèlerinage, crowd-fonder des projets de rénovation du patrimoine chrétien, ou même prendre des photos avec le filtre Auréole. Ha oui et tu peux même payer tes indulgences avec Paypal ! En tous cas la communauté est super active. En ce moment c’est le WhiteFriday : cierges, soutanes et crucifix à moins 30%.

Manque plus que dénoncer un prêtre pédophile et l’App aura 4 étoiles. Je ne saurais dire s’ils vont aller au paradis ou en enfer pour avoir créé cette boîte.

  • Sans transition nous finissons l’étage des boîtes rentables avec FuckYou ! FuckYou tu en as sûrement deja entendu parler à la télé c’est LE nouveau réseau social made in France qui fait un carton. Le principe ? Au lieu d’envoyer des “J’aime” sur les photos de vacances et de food porn de tes potes, tu peux enfin leur envoyer des “sales connards”, des “on s’en branle” ou des “achète toi une vie connard !”
  • Mais qui voudrait s’inscrire là dessus ?
  • Ho mais tout le monde e déjà un compte ! Par défaut FuckYou aspire le contenu de toutes les plateformes sociales et te crée un avatar sur le site. Nous avons donc tous un doublon de ses vrais réseaux sociaux ou ses amis lui disent vraiment ce qu’ils pensent de lui. Mais pour pouvoir voir ce que les gens ont écrit, il faut débloquer ton compte en payant 20€. Voilà pourquoi FuckYou est déjà à l’étage des entreprises rentables. Mais au final les utilisateurs restent sur la plateforme car on finit par être totalement addict ! A chaque fois que je like la photo Instagram d’une amie qui se la raconte trop maintenant je lui envoie direct après un FuckYou! Ca amène une sorte d’équilibre. Attends je vais te montrer, on n’a qu’à envoyer un “t’as vraiment une gueule de merde” à Laura !

Là dessus le smartphone d’une des employées, pas vilaine par ailleurs, vibre et une sonnerie se fait entendre “Love is all around you”. Elle lit sa notification, nous fait un grand sourire sincère et tape quelque chose sur son téléphone en retour. Laura se lève pour venir nous saluer.
-Hahah genial elle m’a envoyé un “grognasse à triple menton” en retour. Laura, comment tu vas ? Laura travaillait avec moi dans les média avant. Mais … vous devriez super bien vous entendre elle est en Marketing chez FuckYou ! Vous allez pouvoir vous échanger pleins de conseils !

  • Alison ne compare pas mon art avec l’amateurisme marketing de WashWasher. Enchanté, moi c’est Laura.

Elles rigolent toutes les deux mais je ne vois pas ce qu’il y a de drôle.

  • Moi c’est Antoine. Et je peux savoir ce que tu as fait exactement de si incroyable en marketing pour Fuckyou ?
  • Bien sûr monsieur mon supérieur hiérarchique. Cette année nos revenus ont fait fois trois, principalement grâce à nos nouvelles features comme la gamification. Plus ton insulte est drôle plus tu gagnes des fuckyou ! Par exemple si là je commentais ta photo d’un “petit con de macho prétentieux”, je gagnerai 5 Fuckyou. L’application détecte automatiquement le type de photo et t’aide à avoir la meilleure répartie. Une photo de couple? Suggestion : “mais arrête on sait tous que tu te tapes la voisine”. Des photos de mamans parfaites ? Envoie un “avoue que tu as envie de les étrangler tes gamins”. L’app se finance aussi via la publicité en particulier pour des match de street fight, des concerts de heavy métal, des manifestations anarchistes… Chaque mois nous reversons 5% de nos bénéfices a la recherche en psychiatrie car notre fondateur a lancé FuckYou après avoir été lui même diagnostiqué syndrome Gilles de la tourette.

Quelle connasse. Heureusement un employé sort la tête des bureaux et appelle Laura avant que j’ai pu détruire sa stratégie marketing. Voilà sur quoi nous finissons le tour de l’incubateur.

17h00

La visite de ce matin m’a fait réfléchir. Cette semaine quand j’ai appris qu’on était à deux doigts de la liquidation, j’ai été totalement déprimé. Mais maintenant quand je vois à quel point les startups de cet incubateur sont basées sur des idées encore plus foireuses que la nôtre, je me dis qu’il y a peut-être de l’espoir. Sérieusement, entre la crème pour les culs-nuls, les puceaux de world of warcraft et la mal baisée de la tourette, je pense qu’on est pas disqualifiés d’office.

17h10

Le problème c’est que j’ai perdu le CEO. Et aussi que je n’ai aucune idée de par où commencer pour résoudre le problème de rentabilité. Ou encore qu’aucun des employés ne semble compétent. Bref, ça s’annonce mission impossible … Rationnellement, si je fais le bilan je pense que j’ai au mieux 1% de chances de réussir à redresser cette boîte.

17h30

En même temps … quelles sont mes autres options ? Je vais pas me barrer pour repointer au chômage. Et laisser tout le monde dans la merde. Non. Non je crois que j’ai envie de me battre. Après tout si je suis allé en startup c’est justement pour me casser les dents. Pour résoudre des problèmes impossibles à régler. Des problèmes plus complexes que du Arial à passer en Calibri dans les 50 slides powerpoint du plan marketing. Si je suis là c’est pour savoir ce que je vaux. Au fond j’aimerais savoir : est-ce que je suis capable de sauver une startup au bord du précipice ? Si oui, ça serait la plus grande chose que j’ai accomplie de ma vie ! Même s’il y a 1% de chances pour que je sauve cette boîte, il faut que j’essaie. Il faut que je réussisse.

18h50

Il est temps de passer au plan d’action.

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