Développer l’entrepreneuriat en Afrique : une approche qui peut réduire la pauvreté ?
La pauvreté, la croissance démographique, et la trop faible création d’emploi en Afrique demandent plus d’efforts de développement économique, mais faire croitre une entreprise reste un défi
Une des bonnes nouvelles de la dernière décennie concerne les avancées dans la réduction de la pauvreté. En effet, seulement 8 % de la population mondiale, ou 592 millions de personnes, vivaient sous le seuil de 1,25 dollar américain par jour en 2019 selon le World Data Lab. Il y a 30 ans, le pourcentage de personnes vivant dans la pauvreté extrême était quatre fois plus élevé à 29 %. Néanmoins, cette diminution globale cache une plus faible baisse du taux de pauvreté en Afrique. Le continent compte présentement 34 % ou 428 millions de personnes vivant dans la pauvreté extrême. Suivant les réductions importantes observées en Chine et en Inde, la pauvreté devient de plus en plus concentrée en Afrique avec 72 % du total mondial. Alors que le premier objectif de développement durable de l’ONU vise à éliminer complètement la pauvreté extrême d’ici 2030, comment y parvenir en Afrique ?
Pour plusieurs, le développement doit commencer par la prise en main individuelle. Stimuler le développement économique et en particulier celui de l’entrepreneuriat forme ainsi une approche pour réduire la pauvreté appuyée par plusieurs gouvernements et organisations internationales. Selon l’Organisation Internationale du Travail, seulement 14 % de la population occupait un emploi salarié ou était propriétaire d’une entreprise dans le secteur formel en Afrique subsaharienne en 2018. En contrepartie, 86 % de la population opérait dans le secteur informel, la majorité comme travailleur indépendant, mais aussi une part significative comme propriétaire ou employé de petites entreprises. L’incapacité du secteur formel des pays africains à absorber les millions de jeunes arrivant sur le marché du travail chaque année explique en bonne partie la taille du secteur informel. Cela génère tout de même un nombre important de petits entrepreneurs sur le continent.
Selon une recherche de la Banque Mondiale, la hausse du nombre des individus occupant un emploi rémunéré et la croissance des revenus liés représentent la principale source de réduction de la pauvreté dans plusieurs pays en développement. De même, quand une mère de famille possède un emploi et que ses revenus augmentent, cela se traduit par une amélioration du niveau d’éducation et de l’état de santé de ses enfants. L’emploi et les revenus atténuent donc autant les dimensions sociales que la dimension monétaire de la pauvreté, même si les transferts sociaux et l’accès aux services de base jouent également un rôle clé. Cependant, malgré la diversité des pays africains, réaliser les revenus nécessaires pour assurer les besoins de base des ménages reste un défi quotidien pour une majorité de la population. Devant le manque d’emplois formels, les populations doivent se tourner vers l’entrepreneuriat informel afin de générer des revenus. La question devient donc s’il est possible pour les petits entrepreneurs qui en résultent de hausser leurs revenus et de créer des emplois ?
L’entrepreneuriat « transformatif » versus celui de « subsistance »
Dans les pays africains recensés par le Global Entrepreneurship Monitor, plus de 32% ou presque un tiers de la population en âge de travailler avait récemment lancé une entreprise ou opérait déjà une entreprise entre 2011 et 2018. Parmi ceux lançant une entreprise, il y avait en moyenne 3 femmes entrepreneures pour 4 hommes entrepreneurs. La majorité ou 55 % de ces entreprises opèrent dans le secteur du commerce, de l’hospitalité et de la restauration caractérisé par une faible productivité. Seulement 10 % de ces entreprises opèrent en agriculture, foresterie et pêche, et 8 % dans le secteur manufacturier.
Il faut aussi distinguer deux types d’entrepreneuriat. Les travailleurs indépendants qui visent avant tout la génération de revenus et ne compte pas d’employé représentent la grande majorité des entreprises. Ces entrepreneurs dits de « subsistance » lancent souvent une entreprise informelle parce qu’ils n’ont pas d’autres opportunités d’emploi. Ces entrepreneurs réalisent ainsi des revenus et améliorent leurs conditions de vie, bien que leurs entreprises survivent rarement plus que quelques années. Ces entreprises demeurent donc peu sophistiquées, reproduisent des modèles d’affaires existants, créeront peu ou pas d’emplois, et contribuent peu à la croissance économique.
En contrepartie, une faible proportion des entreprises, moins de 10 %, adopte des méthodes plus productives, embauche des employés, et arrive à croitre rapidement. Ce sont les entreprises dites « transformatives ». C’est ce type d’entreprise qui contribue le plus à la croissance économique et à la modernisation graduelle des économies africaines, et ultimement à la réduction de la pauvreté. De même, plus une économie se développera, plus la proportion des entreprises transformatives aura tendance à augmenter, créant un cycle vertueux d’innovation et de productivité qui stimule la croissance. Le principal défi pour développer l’entrepreneuriat devient donc de parvenir à différencier les entreprises de subsistances des transformatives, puis de moduler les appuis selon leurs caractéristiques. Identifier les entreprises transformatives puis appuyer leur croissance représente donc la meilleure opportunité du point de vue du développement économique et de la création d’emploi à moyen et long terme.
Les contraintes à la croissance d’une entreprise en Afrique
Selon les indicateurs du développement mondial, 55 % de la population africaine travaillait en agriculture en 2016. La grande majorité pratique une agriculture de subsistance, utilisant des techniques rudimentaires et générant de faibles rendements. Une part importante des populations rurales migre d’ailleurs graduellement vers les villes à la recherche de meilleures opportunités. Que ce soit dans les zones urbaines ou rurales, pour les jeunes et moins jeunes, les compétences manquent souvent. En 2016, 30 % des hommes et 45 % des femmes en Afrique subsaharienne ne pouvaient lire ou écrire. Cela veut dire qu’un homme sur trois et presque une femme sur deux ne pourront remplir les documents pour faire enregistrer une entreprise ou pour obtenir un prêt. De plus, seulement 45 % des jeunes hommes et 40 % des jeunes femmes avaient terminé le premier cycle du secondaire. Malgré les progrès des dernières décennies, le capital humain et les capacités techniques demeurent limités pour lancer, gérer et faire croitre une entreprise.
La Banque Mondiale effectue une enquête annuelle mondiale auprès des entrepreneurs leur demandant d’identifier les principaux obstacles pour la croissance des entreprises. Les contraintes les plus cités par les entrepreneurs africains comprennent :
- L’accès au financement représente l’obstacle le plus fréquemment cité en Afrique. Obtenir un prêt demande l’accès à une institution financière, un statut d’entreprise formelle, la fourniture d’une garantie financière, et la capacité de payer des intérêts typiquement très élevés. Des conditions qui sont difficiles à réunir pour la majorité des entrepreneurs africains, incluant pour plusieurs types de prêts de microfinances.
- L’accès à l’électricité forme la deuxième contrainte en importance. Cet accès n’est pas toujours fiable, souvent très couteux, en plus d’être limité hors des zones urbaines.
- Les pratiques du secteur informel forment la troisième contrainte nuisant à la croissance des entreprises formelles. Ces entreprises doivent payer différentes taxes que l’appartenance au secteur informel permet d’éviter. Les entreprises formelles doivent donc composer avec des concurrents qui ont des couts d’opération plus faibles, ce qui limite leur croissance. Cela explique d’ailleurs en partie pourquoi typiquement seules les plus grandes entreprises appartiendront au secteur formel.
- D’autres contraintes significatives comprennent l’instabilité politique et la corruption, le niveau des taxes et leur administration souvent problématique, et les difficultés à obtenir des titres de propriété sur la terre.
Les normes sociales désavantagent aussi les femmes entrepreneures en Afrique. Les femmes sont souvent vues comme subordonnées à l’homme au sein du ménage, incluant pour les décisions financières, et se retrouvent avec la majorité des tâches domestiques. En plus d’être désavantagées au niveau de l’éducation, elles auront aussi plus de difficulté à accéder au financement. Les femmes auront aussi moins de confiance en elles et feront face à des préjugés parfois tenaces. Cela prive l’Afrique d’une bonne part du potentiel économique des femmes.
Comment soutenir la croissance des entreprises ?
Développer le capital humain et les capacités techniques, travailler à réduire les contraintes les plus importantes à l’émergence des entreprises, et réduire les barrières pour les femmes entrepreneures forment des priorités pour dynamiser les économies africaines. Développer l’entrepreneuriat demande ainsi beaucoup plus que d’aider la création de petites entreprises et d’ensuite laisser les marchés et l’économie se développer.
En matière de services dédiés, le développement de l’entrepreneuriat demande la disponibilité d’une offre de formation technique et d’accompagnement pour les entrepreneurs, autant dans les zones urbaines que rurales. Toutefois, la recherche démontre que la formation à elle seule n’est pas suffisante sans l’accès à des ressources financières pour lancer et faire croitre une entreprise. À plus petite échelle, le microcrédit peut jouer un rôle afin d’aider à stabiliser les revenus des entreprises de subsistance. Cependant, la croissance des entrepreneurs transformatifs passera nécessairement par l’accès à du financement et des prêts plus substantiels du secteur bancaire ou d’investisseurs. En effet, le microcrédit, avec des prêts de 500 à 2000 dollars, ne permet pas de financer l’achat d’équipement qui mènera vers des gains de productivité, la création d’emplois et la production à plus grande échelle. Ceci rejoint d’ailleurs les conclusions d’une revue de la recherche démontrant que stimuler la création d’emploi par le développement de l’entrepreneuriat fonctionne en travaillant avec des entreprises établies, plus grandes et déjà rentables.
Il faut aussi cibler des secteurs porteurs de croissance et de création d’emploi. Ainsi, malgré la prédominance du secteur agricole en Afrique, celui-ci reste sous-développé et trop peu d’entreprises d’agrotransformation existent. Par exemple, que ce soit pour la transformation et l’emballage des noix de cajou, celle du café, du cacao, ou encore du jus de mangue, les consommateurs du continent doivent trop souvent acheter des produits importés. Ceci alors que les matières premières sont produites localement et exportées sous forme non-transformée. Les femmes sont aussi particulièrement actives dans l’agriculture et la transformation, et bénéficieront d’une emphase sur celui-ci. Stimuler le développement et la productivité des entreprises agricoles et d’agrotransformation représente d’ailleurs une stratégie particulièrement efficace pour créer des emplois et réduire la pauvreté selon la recherche sur le développement économique. Le développement de ces entreprises et des chaines de valeurs associées est aussi le plus à même de générer une croissance touchant la majorité de la population, une personne sur deux étant déjà active dans ce secteur en Afrique.
Une récente publication de l’OCDE et de l’Union Africaine permet d’ailleurs d’examiner plus en détail des stratégies globales de développement économique adaptées aux principales sous-régions du continent africain. Cela inclut de se concentrer sur les secteurs stratégiques, les infrastructures de base, l’innovation, l’environnement des entreprises et le développement du commerce régional et international.
Les conditions pour réduire la pauvreté par l’entrepreneuriat
Pour revenir à notre question initiale, la réduction de la pauvreté par le développement de l’entrepreneuriat en Afrique ne se réalisera que si les entreprises créent des emplois. Ainsi, l’appui dédié aux entrepreneurs de subsistance peut stabiliser leurs revenus et améliorer leurs conditions de vie à court terme. Ceci ne renforcera cependant pas la création d’emploi, et n’aura que peu d’impact sur la pauvreté à plus long terme. De son côté, un appui ciblé aux entrepreneurs transformatifs demande la sélection de cohortes successives d’entreprises déjà établies avec un potentiel de croissance. Un appui plus intensif alliant conseils et financement focalisé sur un nombre limité d’entreprise facilitera leur expansion et la création d’emplois durables. Même si ce ne sont pas toutes les entreprises transformatives qui réussissent, ces entreprises stimulent l’innovation et la productivité, et cumulativement aident à moderniser les économies africaines.
Prioriser le développement des chaines de valeurs dans l’agriculture et l’agrotransformation permet aussi de maximiser la création d’emploi, tout en répondant à la demande grandissante des consommateurs africains. La croissance de ce secteur a des effets directs sur la pauvreté, affecte de manière disproportionnée les femmes, et fournit ensuite une base permettant d’étendre les innovations à d’autres secteurs de l’économie.
Stimuler la croissance économique et la création d’emplois demande donc la multiplication des entreprises transformatives. Ce sont ces entreprises qui peuvent réellement contribuer à augmenter les revenus des populations, et ultimement contribuer à réduire la pauvreté en Afrique.