Des enseignants + des salles de classes + des élèves = des apprentissages ? Réfléchissez de nouveau !

Geoffroy Groleau
The Wondering Economist
7 min readFeb 3, 2017

Comment la mauvaise gestion et le manque de redevabilité en éducation causent de faibles apprentissages pour les enfants congolais

Des enfants en classe dans une école du Nord Kivu (Aubrey Wade/IRC)

Si vous parlez à n’importe quel parent africain, elle ou il vous parlera très rapidement de l’importance de pouvoir envoyer ses enfants à l’école. L’alphabétisation et l’éducation confèrent non seulement un statut social, mais améliorent crucialement les occasions de générer des revenus, et mène à un meilleur état de santé et de bien-être. Rien de ceci n’est nouveau et même un fermier analphabète travaillant son champ dans un village de la République Démocratique du Congo comprend cela. En fait, quand l’International Rescue Committee (IRC) et ses partenaires ont demandé aux villageois de centaines de communautés de l’est de la RDC quelles étaient leurs priorités de développement les plus importantes, la priorité numéro un était de manière systématique l’éducation.

L’International Rescue Committee (IRC) et ses partenaires ont mis en œuvre l’un des plus grands programmes de reconstruction dirigée par les communautés appelé Tuungane (« Unissons-nous » en Swahili) de 2007 à 2016.
Tuungane: programme de reconstruction dirigé par les communautés République démocratique du Congo

En réponse, le programme Tuungane a construit des centaines de salles de classes équipées de tables, chaises de tableaux et de livres. Environ 150 millions de dollars fournit par UKAid entre 2007 et 2016 ont rendu ceci possible, et aura permis à Tuungane et son personnel de répondre aux priorités de développements communautaires dans l’est de la RDC. Des efforts parallèles d’autres donateurs, organisations internationales et du gouvernement congolais ont mené à un nombre croissant d’enseignants dans un nombre grandissant d’écoles fréquentées par un nombre croissant d’élèves. Un grand nombre de communautés ont ainsi obtenu leur école, mais est-ce que les enfants congolais apprennent ? La réponse est plutôt négative.

Une raison relativement évidente est que vous devez examiner davantage que les intrants éducatifs tels les salles de classe et les enseignants, et considérer les questions d’accès et de qualité. Nommément, les enfants doivent être inscrits à l’école, mais ils doivent aussi être présents en classe et apprendre. Le manque d’accès et la mauvaise qualité sont des problèmes qui affectent la plupart des pays d’Afrique subsaharienne. En RDC, malgré des inscriptions en hausse, il demeure près de 3,5 millions d’enfants d’âge primaire hors de l’école. Certains enfants ne sont jamais inscrits, alors que trois enfants sur dix inscrits ne termineront pas le cycle primaire. Ceci est principalement expliqué par des frais scolaires élevés, les bas revenus des ménages, et dans les zones rurales, la plus grande distance vers les écoles primaires. Si nous examinons les apprentissages, la situation n’est guère meilleure, alors que seulement un enfant sur deux terminant le primaire est réellement alphabétisé.

Une autre question est pourquoi les hauts frais scolaires et le faible accès persistent, et aussi pourquoi les apprentissages demeurent faibles, malgré tous les investissements en éducation au cours de la dernière décennie ? Une note de politiques et pratiques de l’IRC récemment publiée explore certaines des réponses à ces questions.

Un premier fait saillant de cette note représente la hausse marquée des ressources dédiées par l’État congolais à l’éducation au cours de la dernière décennie :

  • À 12,4 %, la part des dépenses en éducation dans le budget national a doublé dans la dernière décennie, reflétant un plus grand niveau de priorité pour ce secteur ;
  • Cependant, un nombre croissant de personnels et des salaires plus élevés ont absorbé presque l’ensemble de ces ressources supplémentaires ;
  • En fait, 94 % des dépenses en éducation du gouvernement ont financé les salaires lors des dernières années ;
  • Ceci a permis d’augmenter les bas salaires et de réduire le nombre d’enseignants impayés, mais n’a laissé pratiquement aucune ressource pour le matériel d’apprentissage, les dépenses d’opérations ou les investissements.

Un autre point est que le ministère de l’Éducation a décrété des réductions de certains frais scolaires pour réduire le fardeau des parents, mais sans succès :

  • La plupart des enseignants étaient dépendants des frais scolaires pour une portion ou l’ensemble de leurs salaires, et cela a continué, même après les hausses de salaire ;
  • L’administration a absorbé une part significative des augmentations de budget — le nombre d’administrateurs ayant triplé depuis 2008 — alors que peu d’administrateurs supportent directement la qualité ou les apprentissages ;
  • Ce nombre croissant d’administrateurs a aussi ajouté une pression croissante sur les frais scolaires, comme les administrateurs capturent jusqu’à 40 % de ceux-ci pour leurs propres couts opérationnels et leurs bonus salariaux ;
  • Ultimement, ceci a plus que compensé les réductions de frais, et a entrainé en des augmentations de frais scolaires formels et informels au travers le pays.

Avec une moyenne de 40 $ par étudiant par année, les parents en RDC payent directement au moyen des frais scolaires deux dollars pour chaque dollar dépensé par l’État congolais. Les parents couvrent ainsi directement le deux tiers des couts du système d’éducation au moyen des frais. Ceci réduit considérablement l’accès à l’éducation, particulièrement en considérant le haut taux de pauvreté. Ceci affecte aussi de manière disproportionnée les filles, comme les parents tendent à favoriser les garçons lorsque les ressources manquent.

Malgré le fait que les parents payent pour la majorité des couts du système éducatif directement, nous avons trouvé qu’ils n’ont qu’une faible influence sur la gestion des écoles :

  • Les comités de parents et les comités de gestion des écoles existent, mais demeurent faibles et dominés par les directeurs d’école, qui sont redevables pratiquement exclusivement envers les administrateurs ;
  • Le manque de redevabilité et de transparence envers les parents sur les frais et leur utilisation permet ainsi à une grande part de ceux-ci d’être redistribués vers les administrateurs, ce qui détourne les ressources des salles de classe ;
  • Les administrateurs ne sont pas redevables pour le soutien envers la qualité et les apprentissages dans les écoles, malgré les ressources qu’ils détournent ;
  • Ceci a transformé les écoles en des unités de taxation de facto, ce qui bénéficie largement aux administrateurs du système éducatif aux dépens des parents, des étudiants et des apprentissages.

Voilà qui souligne comment les problèmes de gouvernance telle la mauvaise gestion des ressources et le manque de redevabilité sapent autant l’accès que la qualité. Par eux-mêmes, des constructions d’école et des formations aux enseignants financées par les donateurs ne peuvent résoudre ces problèmes. Ceci nécessite également des interventions améliorant comment le système éducatif gère les ressources, tout en augmentant la redevabilité envers les parents dans les écoles.

Comment cela peut-il être réalisé en RDC ? Premièrement, ceci nécessiterait de stimuler la pression provenant du bas envers le système, notamment en augmentant la transparence et l’implication des parents dans la gestion des écoles. Deuxièmement, ceci nécessiterait un appui au système du haut vers le bas afin de résoudre les problèmes de gestion au sein de l’administration. Dans certains cas, les problèmes peuvent être résolus lorsque les parents, les enseignants et les directeurs d’école collaborent afin d’identifier et résoudre les difficultés. Dans d’autres cas, résoudre les difficultés nécessite de manière cruciale un système éducatif plus capable et réactif. La théorie du changement sur la prestation des services, faisant partie du cadre des résultats et des preuves de l’IRC, articule cette approche conjointe de pression à partir du bas et d’appui du haut vers le bas.

En fait, si les enseignants ne reçoivent pas leurs salaires ou le soutien pédagogique, ceci est au-delà de la capacité des écoles ou de la communauté à résoudre. C’est une leçon du programme Tuungane illustrée par la vidéo mise en lien ci-dessous. De manière similaire, des interventions qui se focalisent uniquement sur la gestion et les systèmes, sans développer une plus grande redevabilité envers les parents, ne sont pas efficaces non plus. En fait, la redevabilité amène la pression requise sur le système scolaire pour qu’il devienne plus réactif et performant.

Par exemple, les comités de parents en RDC pourraient être soutenus afin de jouer leur rôle dans la gestion des écoles, notamment en surveillant systématiquement le niveau des frais scolaires et leur utilisation. En parallèle, le ministère de l’Éducation, avec le soutien des donateurs, pourrait identifier des problèmes spécifiques de gestion et leurs solutions afin de travailler à les résoudre. Ceci pourrait inclure la surveillance du niveau des ressources humaines dans les écoles et l’administration, tout en mesurant comment elles appuient les apprentissages dans les écoles, puis de communiquer les résultats aux parents et au public.

Ultimement, le niveau des ressources appuyant directement les apprentissages doit augmenter pour faire croitre la qualité. La dépendance du système envers les frais scolaires doit aussi diminuer pour augmenter l’accès. Ceci souligne qu’en plus d’avoir davantage d’écoles, d’enseignants et d’élèves, une meilleure gestion et une plus grande redevabilité sont des conditions nécessaires pour améliorer les apprentissages pour tous les enfants congolais.

Pour les lecteurs intéressés par un examen plus détaillé des problèmes de gestion et de redevabilité dans le secteur éducatif congolais, veuillez consulter le document de réflexion de politiques et pratiques disponible via le lien ci-dessous.

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Geoffroy Groleau
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