Ressources naturelles, bonne gouvernance et développement : comment passer d’aspiration à réalité en Afrique?

Geoffroy Groleau
The Wondering Economist
9 min readNov 12, 2019

Comment les pays africains peuvent maximiser le potentiel économique de l’extraction des ressources naturelles pour faire avancer leur développement et améliorer le bien-être de leurs populations

Avant d’être connu sous le nom du Ghana suivant son indépendance en 1957, ce pays d’Afrique occidentale était d’abord connu des Européens sous le nom de la Côte d’Or. Ce nom faisait directement référence à la disponibilité de ce métal précieux qui attirait les négociants portugais, néerlandais, anglais et européens sur les côtes du Ghana dès le 15e siècle. Sans surprise, l’or a joué un rôle important dans le développement du pays. Aujourd’hui, de nombreuses mines industrielles opèrent au Ghana et l’or représente toujours son principal produit d’exportation. Selon Bloomberg, le pays a même dépassé l’Afrique du Sud pour devenir le plus grand producteur d’or d’Afrique en 2018, alors que la production de pétrole et de gaz s’est ajoutée au cours de la dernière décennie. Néanmoins, est-ce que le pays et sa population bénéficient de ces richesses naturelles ?

L’importance des profits générés par les ressources naturelles pour le Ghana par rapport à la taille de son économie forme un bon point de comparaison. Les données des indicateurs du développement mondial de la Banque mondiale montrent que ces profits représentaient 16,4 % du produit intérieur brut (PIB), soit 7,8 milliards USD en 2016, ou l’équivalent de 269 USD par personne. À titre de comparaison, les recettes totales de l’État s’élevaient à 16,6 % du PIB ou à 273 USD par personne, tandis que l’aide publique au développement s’élevait à 1,4 % du PIB ou à 24 USD par personne. Ainsi, les profits ou les rentes générés par l’exploitation des ressources naturelles en 2016 — forêts, minéraux, pétrole et gaz pour le Ghana — étaient similaires aux recettes totales du gouvernement et environ 12 fois plus grands que l’aide étrangère. Ces chiffres soulignent le potentiel considérable des ressources naturelles pour contribuer au développement du Ghana. Les chiffres moyens pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, présentés sur le même graphique, illustrent une situation comparable. Ainsi, une taxation adéquate des profits et une utilisation efficace des recettes provenant des industries extractives sur le continent pourrait augmenter durablement les dépenses en faveur du développement social et économique.

Dans les pays riches en ressources comme le Ghana, les profits du secteur extractif peuvent représenter un montant similaire ou même plus grand que celui des revenus totaux de l’État. Cela illustre le grand potentiel de ces ressources pour financer le développement.

Au-delà de la malédiction des ressources : où il y a de la richesse, des institutions efficaces sont nécessaires

La simple présence de richesses naturelles ne se traduit pas nécessairement en développement pour la population d’un pays. Il existe une vaste littérature sur la « malédiction des ressources » où la présence de richesses naturelles considérables affecte négativement le bien-être social, économique et environnemental d’un pays et de ses citoyens. En regardant la recherche sur ce sujet, on peut malheureusement trouver de nombreux pays d’Afrique où c’est le cas, y compris la République démocratique du Congo ou le Nigéria. Cependant, le Botswana et la Namibie fournissent des exemples de pays qui ont réussi à utiliser les ressources naturelles pour favoriser leur développement. La recherche met en évidence un facteur critique qui fait la différence entre une bénédiction et une malédiction des ressources: la qualité des institutions nationales et la gouvernance. Ceci inclut la présence de lois et politiques adéquates mises en œuvre efficacement, en plus de la transparence dans la gestion des contrats et revenus des ressources naturelles. De même, la redevabilité des politiciens et gouvernements envers les citoyens, et des médias libres, soutiennent également la bonne gouvernance.

Revenons sur le Ghana. Le pays se classait 140e sur 189 pays à l’indice de développement humain pour 2017, ce qui correspond à un niveau de développement humain moyen. Il est également classé 6e sur 54 pays à l’Indice Ibrahim de la gouvernance en Afrique pour la même année, bien qu’il ait connu une baisse de certains indicateurs clés au cours des 5 dernières années. Par conséquent, le Ghana représente un pays relativement performant et bien gouverné par rapport à la moyenne de l’Afrique subsaharienne, bien que l’indice de gouvernance des ressources naturelles souligne certaines faiblesses. Selon cet indice, le pays a un classement « satisfaisant » pour sa gestion des ressources pétrolières et gazières, mais un classement « faible » pour les ressources minières. Un classement « faible » au niveau de la gestion des revenus, qui inclut la budgétisation et les transferts vers les gouvernements locaux, explique cette performance décevante pour le secteur minier. Cela contraste avec le classement « satisfaisant » à la fois pour la création de valeur (revenus miniers capturés par la fiscalité et la concession de licences) et pour l’environnement favorable (efficacité du gouvernement, redevabilité et transparence).

Les industries extractives et le développement : le rôle critique des transferts vers les gouvernements locaux

La ville de Bogoso, située dans la municipalité de la vallée de Prestea-Huni, dans la région de l’Ouest, fournit une étude de cas pertinente. La première mine d’or a commencé à fonctionner près de la ville en 1873 et des mines industrielles sont toujours actives aujourd’hui. Bogoso est la plus grande ville de la municipalité. De Takoradi, principale ville et port de l’ouest du Ghana, vous avez besoin de conduire 3 heures sur des routes souvent défoncées à travers un paysage tropical luxuriant pour atteindre Bogoso. En dépit de la présence de longue date de l’industrie minière, la municipalité s’est classée au 205e rang de 216 sur le classement de la ligue des districts 2017 publié par l’UNICEF et le Centre pour le développement démocratique du Ghana. Cet indice classe tous les districts du pays par rapport à leurs performances dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’eau, de l’assainissement, de la sécurité et de la gouvernance. Le classement de la municipalité de la vallée de Prestea-Huni reflète une performance relativement faible par rapport à la plupart des autres districts en ce qui concerne la fourniture de services de base, certains services relevant du gouvernement local et d’autres du gouvernement central. Cette performance met en évidence que la présence du secteur extractif est loin d’être une garantie de développement.

En effet, malgré la présence de longue date de l’industrie minière dans la vallée de Prestea-Huni, la majorité de la population dépend toujours de l’agriculture pour sa subsistance. Une caractéristique commune des industries extractives à forte intensité de capital telles que les mines, le pétrole et le gaz, est qu’elles créent relativement peu d’emplois, et surtout des emplois spécialisés. Cela signifie que peu de travailleurs locaux seront employés dans ces industries, malgré leur empreinte territoriale et environnementale parfois importante. Ces dernières années, les politiques de responsabilité sociale des entreprises, dans lesquelles les mines investissent une petite part de leurs bénéfices dans des projets de développement communautaire et augmentent le recrutement et l’achat local, ont parfois procuré des avantages aux communautés touchées. Toutefois, la majorité des bénéfices tirés de l’exploitation minière continuent d’être versés à quelques acteurs, principalement aux actionnaires des sociétés minières et aux gouvernements centraux qui perçoivent des redevances et des taxes sur leurs activités. Par conséquent, si les profits généralement importants générés par les industries extractives doivent contribuer au développement national et local, les impôts et les redevances devront être perçus efficacement et réinvestis dans le développement social et économique.

C’est généralement là que les institutions et la gouvernance font défaut dans de nombreux pays en développement et riches en ressources. Même si les impôts et les redevances sont fixés à des niveaux adéquats et effectivement collectés, les revenus qui en résultent doivent également être alloués et utilisés pour le développement. Cependant, une perception insuffisante et inefficace des recettes, une mauvaise gestion des dépenses, conjuguée à l’attrait du clientélisme pour certains fonctionnaires et politiciens, limitent souvent les dépenses bénéficiant aux populations. Cela est particulièrement vrai au niveau local dans les zones extractives, où la recherche démontre que la présence de transferts fiscaux efficaces est essentielle à la réduction de la pauvreté et au développement. En effet, la création d’un nombre d’emplois locaux limités résultant généralement de la présence d’industries extractives, combinée à des transferts inexistants ou inefficaces vers les gouvernements locaux, ne génèrent souvent que peu ou pas d’avantages en matière de développement local. Un tel scénario réduit non seulement l’acceptabilité sociale liée à la présence de ces industries, mais peut fréquemment conduire à des conflits.

Dans cette optique, la mise en œuvre intégrale au niveau national de la directive d’harmonisation sur la politique minière adoptée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest en 2009 constituerait un pas en avant essentiel. Cette directive prescrit la distribution de transferts équitables et efficaces aux communautés locales financés à même une portion des revenus de l’exploitation minière. Au Ghana, cela impliquerait la mise en œuvre intégrale des transferts aux administrations locales provenant des recettes minières, lesquels restent en suspens depuis l’adoption de la loi sur le Fonds de développement minier par le Parlement en 2016.

Les mines ont souvent des impacts négatifs sur les fermiers, que ce soit en raison de la diminution des terres disponibles ou de la pollution de l’air et de l’eau. Ceci place un besoin particulier sur l’adoption de mesures d’atténuation adoptée en consultation avec les populations et autorités locales, incluant les transferts et les investissements dans le développement local et une atténuation des impacts environnementaux. (Image: Neil Brander/Oxfam America)

Combler le fossé de la redevabilité dans les zones extractives : encourager la transparence et la redevabilité envers les besoins locaux

Les industries extractives sont foncièrement non durables, car elles impliquent la consommation de ressources non renouvelables. Néanmoins, si une part adéquate des bénéfices tirés de l’extraction des ressources est utilisée pour favoriser le développement social et économique et que les impacts environnementaux sont atténués de manière appropriée, la population peut connaître le développement et améliorer sa situation à long terme. Par contre, si une part insuffisante des profits extractifs est dirigée vers le développement national, y compris vers les populations locales vivant à proximité de ces industries, la richesse en ressources naturelles risque alors davantage d’être une malédiction et de ne profiter qu’à une minorité.

Cela montre pourquoi le Ghana et de nombreux autres pays africains doivent encourager davantage de transparence et de redevabilité concernant l’utilisation des revenus tirés des ressources naturelles par les gouvernements locaux et nationaux. L’Initiative de transparence des industries extractives (ITIE) fournit des données permettant de suivre avec précision les sources et les montants de ces revenus dans de nombreux pays, y compris au Ghana. Cependant, l’ITIE ne surveille pas les dépenses précises engagées avec ces revenus ni leur efficacité. En outre, la transparence à elle seule ne conduira pas à un développement accru sans une participation active des citoyens, qui doivent demander davantage de redevabilité et de réactivité de la part de leurs gouvernements nationaux et locaux. C’est là que les citoyens et la société civile locale ont un rôle important à jouer. Les enquêtes de suivi des dépenses publiques ou les audits sociaux fournissent des outils pratiques qui permettent aux citoyens d’évaluer la manière dont les ressources extractives sont utilisées et avec quels résultats en matière de développement. Cela complète également les initiatives de transparence telles que l’ITIE et contribue à combler le fossé de la redevabilité dans les zones extractives. C’est aussi une approche qui stimule directement une plus grande réactivité des responsables gouvernementaux et des hommes politiques devant les besoins de développement local.

Ultimement, favoriser une gestion plus efficace des revenus tirés des ressources naturelles est un moyen essentiel de financer et stimuler le développement dans les pays et les communautés où les industries extractives sont présentes. Pour que cela devienne une réalité, trois conditions critiques sont nécessaires :

  1. Les politiques de gestion des ressources naturelles doivent être conçues et mises en œuvre de manière à effectivement améliorer le bien-être des populations africaines;
  2. Les gouvernements nationaux et locaux doivent être redevable et réactif aux demandes des populations;
  3. Et les citoyens et la société civile doivent dialoguer activement avec leurs gouvernements locaux et nationaux sur la base d’informations transparentes.

Dans de telles conditions, la combinaison de l’extraction des ressources naturelles, de la bonne gouvernance et du développement peut cesser d’être une aspiration et devenir une réalité!

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Geoffroy Groleau
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