Être product designer chez Alan

Julien Pelletier
The Design Crew
Published in
8 min readDec 1, 2020

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Nous avons rencontré Marion Doumeingts, Product Designer chez Alan pour parler de leur façon de travailler et de l’influence que celle-ci peut avoir sur le métier de product designer.

En général ces interviews commencent par une petite présentation, du coup : est-ce que tu peux nous raconter ce qui t’a mené chez Alan ?

J’ai commencé avec un Bac STI arts appliqués (maintenant STD2A) pour rapidement m’intéresser aux comportements des individus, leurs relations avec tout ce qui les entourent (les autres, la société…), ce qui m’a mené à un BTS Communication Visuelle option Multimédia. Ma carrière professionnelle a démarré en agence et en parallèle de ça j’ai commencé à parler des nouvelles technologies sur YouTube et dans des podcasts. Ça m’a permis d’être contactée par Dailymotion et de participer au repositionnement de la marque et du produit en 2017. Puis de fil en aiguille, j’ai été contactée par Édouard Wautier, le premier product designer d’Alan à un moment où ils cherchaient à faire grandir l’équipe design. On a discuté de la mission : permettre à chacun de gérer sa santé facilement et ne plus subir la complexité du système de soin, mais aussi des ambitions de l’équipe et de leurs méthodes de collaboration. Ça a fait écho à des questions que je me posais déjà et c’est comme ça que j’ai décidé de rejoindre Alan.

Ces questionnements dont tu parles, autour de la façon de travailler d’Alan, tu peux m’en dire un peu plus ?

Ça concernait la culture de l’écrit présente dans l’entreprise. Je passais mes journées dans des meetings dans lesquels l’objectif et les décisions prises n’étaient ni clairs ni consignés par écrit. Re-challenger des décisions lorsque de nouveaux éléments apparaissent peut avoir du sens, mais avoir de nouveau les mêmes discussions parce qu’on ne se souvient pas des décisions prises précédemment ça n’aide pas à faire avancer le navire.

Il y avait aussi la place du design dans la définition de la stratégie d’Alan. Le fait qu’Édouard soit arrivé assez tôt et que les co-fondateurs comme les premiers employés aient également cette sensibilité utilisateur facilite beaucoup les choses.

Quel est votre rôle et votre impact dans la stratégie et la roadmap d’Alan ?

On est sur des cycles de développement produit de 7 semaines et pour chaque cycle on a une période de planning durant laquelle on va aligner les ressources avec les initiatives qui pourraient avoir le plus d’impact en équilibrant un peu vision long terme et court terme. Un petit comité de personnes responsables du processus de roadmap vont ensuite attribuer les resources à chaque crews en fonction des priorités d’Alan: certaines seront créées, d’autres vont continuer sur leur sujet. Chacune va définir ses OKR (objectifs et résultats clés) en fonction de leur mission et on va ensuite définir la répartition des resources (design, ingénieurs, etc.) … Le rôle des designers ici c’est d’apporter le point de vue de nos membres pour comprendre de façon plus tangible quel problème utilisateur on cherche à résoudre.

On donne beaucoup d’importance, dans notre organisation, à la définition et à l’exploration des problèmes. En début de projet on rassemble toutes les informations utiles pour connaître la criticité d’un problème et le coût nécéssaire à le résoudre. Une fois ces éléments en main, on est capable d’arbitrer si c’est un sujet qui est crucial pour nous à ce stade de développement. En étant rigoureux lors de cette étape, on se rend compte que les solutions sont parfois extrêmement simples, comme changer du texte dans un email par exemple.

Lorsque les designers se penchent sur un sujet motivé par des considérations utilisateurs , ils deviennent responsables de ce sujet. Lorsque l’enjeu est plus technique on ira chercher un.e responsable dans l’équipe dev et lorsqu’il sera stratégique ce sera vers un.e PM qu’on se tournera plus naturellement. Ensuite, cette personne devra aller rassembler les infos auprès de nos data analysts, nos user researchers, etc. et de définir si il est plus coûteux de directement tester quelque chose et échouer rapidement ou d’investir dans plus de recherche.

La conséquence de permettre à chacun d’être responsable d’un projet, c’est que ça demande à chacun d’avoir des compétences en project management et en leadership. Vous ne recrutez que des gens qui ont ces qualités ou c’est des choses sur lesquelles Alan aide en interne ?

Je pense que c’est un peu les deux. Les valeurs d’Alan sont très liées à la responsabilisation et à l’autonomie des personnes et c’est quelque chose qu’on va essayer de discerner pendant le process de recrutement. Chacun arrive avec plus ou moins de facilités sur ces aspects en fonction de leur profil et c’est donc aussi quelque chose qu’on va chercher à développer en interne en se donnant du feedback. Ca fait partie du coaching qu’on a mis en place.

J’ai pas mal entendu parler de ce coaching au sein d’Alan, ça prend quelle forme ? C’est quelque chose qui est généralisé ?

Pendant toute ta carrière chez Alan tu auras un coach pour te permettre d’évoluer. On va d’abord déterminer qui peut être coach en prenant les gens les plus seniors dans l’entreprise et dans leur rôle. On essaye de garder de la cohérence dans l’expertise (designers avec designers, PM avec PM etc.) mais en fonction des souhaits de développement de chacun, on va adapter le coaching en fonction.

On prévoit généralement un créneau régulier de 45 minutes par semaine au début. Ca permet de bien échanger et de parler de plein de sujets. Par la suite le rythme peut se réduire quand on a pris nos marques et ne faire ça qu’une semaine sur deux.

C’est quoi la différence entre un coach et un manager du coup ?

Il n’y a pas de managers chez Alan. En revanche nous avons distribué les responsabilités d’un manager au sein des communautés de métier. Le coaching/mentoring est réparti sur plusieurs personnes tout comme le recrutement ou les actions qu’il faut prendre pour améliorer l’efficience d’une l’équipe.

Vous êtes connus pour avoir une forte culture de l’écrit et du “no-meeting”, jusqu’où ça va et est-ce que vous avez déjà entrevu des limites à ces méthodes ?

Ça été poussé par une volonté de laisser chacun organiser son travail et sa vie personnelle comme il le souhaite et aussi pour dégager plus de temps pour de la réflexion que pour des réunions. Avoir tout par écrit ça permet aussi d’avoir une base de connaissance commune rendant facile l’accès à l’information.

Tout se fait sur Github avec les issues (qui ressemblent un peu à des articles de blog où l’on peut structurer des réflexions pour les soumettre à l’équipe et avoir leurs retours) qu’on utiliser pour discuter et documenter l’avancée d’un projet. Ces issues sont publiques et accessibles à quiconque chez Alan (c’est d’ailleurs un art d’écrire des titres d’issue accrocheurs 😄).

Concernant les limites, il faut voir les issues comme un support qui ne fonctionnera pas pour tout. Si on veut se mettre d’accord sur le contenu d’un email on va ouvrir un Google Doc et collaborativement contribuer à la création du contenu parce que ça ne fonctionnera pas sur Github.

Une autre limite c’est lorsqu’on a besoin d’avancer rapidement. Pour ça on organise des workshops et on met plusieurs personnes dans une salle pour qu’ils se concentrent sur le même problème au même moment. Alors qu’avec les issues Github il faut anticiper un peu et laisser 1 ou 2 jours aux personnes pour leur laisser le temps de contribuer.

On y voit quand même plus d’avantages pour le moment que d’inconvénients, même en étant passé de 60 (quand je suis arrivée), à 250 (aujourd’hui) et en voyant la quantité de contenu écrit fortement augmenter. D’ailleurs on a une page dans Notion avec des astuces et bonne pratiques pour rester concentré, gérer ses notifications…

Quand on est designer, il est souvent intéressant d’avoir des moments pour se retrouver à plusieurs et faire de la co-création. Est-ce que c’est quelque chose que vous faites pendant ces workshops ou vous avez d’autres formats pour ça ?

On a essayé d’être fidèle à notre culture et d’être inventif en décorrélant la notion de co-création et de synchronicité. Ca repose beaucoup sur les choix d’outils : il est possible de collecter des enseignements utilisateurs de manière asynchrone en utilisant des sondages par exemple et on peut également faire contribuer plusieurs personnes sans à avoir à être au même moment dans la même pièce avec des outils comme Mural, Miro ou Excalidraw (gratuit, pas de création de compte).

Comment vous faites des design critiques en asynchrone sans que ça ne parte dans des échanges interminables d’immense pavés de textes ?

On a mis en place quelque chose cette année justement : c’est un bot sur Slack avec lequel on peut solliciter le temps d’une personne dans l’équipe pour bénéficier de ses retours. Il faut simplement lui donner très brièvement du contexte sur le problème à résoudre et le type de feedback attendu. Pour l’instant j’ai rarement vu des “débordements” et quand ça arrive on ne s’interdit pas de prendre un moment en live pour pouvoir s’aligner plus rapidement. Autre chose, les critiques se font uniquement en 1–1 pour ne pas prendre trop de temps à l’intégralité de l’équipe design et aussi éviter que les designers se retrouve devant un “panel de juges”.

Comment vous assurez une cohésion dans l’équipe design ? Quelle est la place pour l’informel ?

Depuis janvier 2020 nous sommes maintenant 7 dans l’équipe. Il a fallu trouver des moments pour tisser des liens personnels les uns avec les autres et aussi pour discuter des sujets propres à notre communauté design. On a commencé à faire des design lunches en laissant la possibilité de choisir entre le lundi ou le mercredi pour avoir maximum 4 personnes et ainsi garder une taille propice aux échanges où tout le monde a la possibilité de parler.

Avec le confinement ce n’était plus possible donc on a mis en place une chaîne #chill-room sur Slack pour partager les choses qui nous ont plu récemment.

On a aussi créé un format live de partage de nos projets où régulièrement (toutes les 3 ou 4 semaines) 4 designers vont montrer ce qu’ils ont fait à l’équipe et générer des discussions.

La mascotte d’Alan. La légende raconte qu’il s’agirait d’une loutre mais l’entreprise n’ayant pas donné de version officielle, le mystère reste entier.

Est-ce qu’il y a quelque chose que je en t’ai pas demandé et dont tu aimerais parler ?

Récemment on a mis en place une organisation un peu mixte où on va avoir des designers dans des crews lorsque leur sujet est très lié au design et 2 designers dans une forme de “design studio” qui vont recueillir les demandes des autres crew ou alors de ceux qui ont déjà un designer mais avec des besoins en design plus importants. On pense que c’est intéressant pour pouvoir se pencher sur des sujets différents et aussi pour onboarder des nouveaux designers et leur donner un petit aperçu de la diversité de nos projets.

Merci énormément à Marion d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Sachez qu’Alan recrute actuellement (décembre 2020) 4 product designers en France, en Espagne et en Belgique.

Marion est mentor sur notre programme de formation Advanced à destination des designers et product managers souhaitant se perfectionner dans le product design. Pour plus de détails rendez-vous sur notre site : www.thedesigncrew.co

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