Thomas Ker
The Digital Warehouse
7 min readAug 18, 2018

--

Menaces sur les activités d’aide aux personnes migrantes

Revue de presse du 15 août 2018

Les activités des associations d’aide aux personnes migrantes menacées : entraves à l’aide et refus de l’accueil | Conditions de transport et exploitation des exilées lors de leurs passage des frontières : sous le terme « passeur », une diversité d’acteurs impliqués

Entraves à l’aide et refus de l’accueil : vers une criminalisation de la solidarité ?

En France :

A Grande-Synthe, une nouvelle « Jungle » se construit. Selon France3 régions, « sans réponse de l’État, le maire n’exclut pas de recréer un camp humanitaire ». En effet, les évacuations orchestrées par l’État, vers des « centres d’accueil en région » ne concernent qu’une petite partie des personnes habitant les lieux.

La priorité de l’État est claire : « Ces mises à l’abri “seront poursuivies autant que nécessaire pour que ce point de fixation ne porte une atteinte irrémédiable à la salubrité et à la tranquillité publique”, prévient la préfecture », qui refuse par ailleurs d’augmenter les structures d’accueil le long du littoral. Pour la mairie et les associations, ces centres d’accueil sont déjà trop éloignés de Grande-Synthe.

Responsabilités respectives du maire et du préfet dans la politique migratoire :

La qualité de l’accueil des personnes réfugiées sur le territoire français dépend de l’interaction entre les ordres des préfectures et les initiatives des mairies. Le préfet représente l’État au niveau d’un département ou d’une région. Il est chargé de la mise en œuvre locale des politiques nationales. Ainsi les préfets ont le pouvoir de définir la répartition des réfugiés sur leur territoire. Les mairies doivent donc se plier aux ordres de l’État à ce sujet. Les maires ont cependant une marge de manœuvre quant à la qualité des infrastructures qu’ils rendent disponibles sur leur commune pour l’accueil des réfugiés. Ceux-ci se trouvent, pour un grand nombre, sans logement, en dépit des centres d’accueil construits par l’État sur tout le territoire national.

A titre d’exemple, le maire de Grande-Synthe, Damien Carême, (EELV) déplore les conditions de vie des réfugiés dans sa commune. Il interpelle les autorités préfectorales en menaçant de créer officiellement un camp de réfugiés sur sa commune si elles ne font rien pour l’accueil des centaines de personnes qui vivent dehors, dans la nouvelle « Jungle ».

Suivant la politique étatique d’anéantissement de tout « point de fixation » des habitats de fortune des personnes migrantes, la préfecture peut user de son pouvoir d’évacuer et de démanteler par la force les campements de réfugiés sur une commune, cela même si le maire s’y oppose.

A Calais, l’aide aux personnes migrantes est plus encore entravée par le positionnement de la mairie qui suit les orientations politiques de l’État hostile au passages des personnes migrantes et à leur accueil temporaire ou définitif.

Rapport : Calais : le Harcèlement policier des bénévoles

Suite à la médiatisation du rapport des associations qui révèle les intimidations et violences policière subies par les bénévoles, la maire de Calais a réagit, qualifiant ce témoignage pourtant abondement étayé d’« accusations sans fondement ». Les associations attendent fermement que « les services du défenseur des droits organisent une visite sur place sur ce sujet ». Eléonore Vigny, chargée du plaidoyer pour L’Auberge des migrants a expliqué à l’AFP qu’il s’agit d’« une autorité indépendante qui va pouvoir demander des comptes à l’administration et enquêter ».

Sur le plan international :

Les activités de sauvetage menées par l’Aquarius et les autres navires des ONG européennes subissent la pression des gouvernements Européens et de l’extrême droite.

« Le directeur du Port de Sète, l’ancien ministre communiste Jean-Claude Gayssot, a proposé lundi d’y accueillir les 141 migrants secourus vendredi par le navire Aquarius au large de la Libye, “si les autorités françaises le lui permettent”, a-t-il fait savoir à l’AFP. »

Cette sollicitation des autorités fait suite aux refus de Malte et de l’Italie d’ouvrir leurs ports. « “Propriété allemande, loué par une ONG française, équipage étranger, dans les eaux maltaises, battant pavillon de Gibraltar : l’Aquarius peut aller où il veut mais pas en Italie!”, a réagi Matteo Salvini. » selon L’Express. Le Rassemblement National (ex FN), à travers la voix de Marine Le Pen, a lui contesté la demande du directeur portuaire Sètois et s’est prononcé en faveur d’une politique migratoire nationale de fermeture complète des ports français à ces bateaux de secours.

Dans cette situation d’hostilité envers leur action humanitaire, les ONG exhortent les gouvernements à « prendre leurs responsabilités ».

Les activités de l’Aquarius sont par ailleurs attaquées par le gouvernement de Gibraltar qui « a annoncé lundi qu’il allait retirer son pavillon à l’Aquarius après lui avoir demandé de suspendre ses activités de secours pour lesquelles il n’est pas enregistré dans le territoire britannique ». L’Aquarius est initialement enregistré comme navire de recherche, affrété depuis 2016 par SOS Méditerranée et Médecins sans Frontières pour des opérations de sauvetage.

Slate.fr interroge : à quel moment sauver des vies est-il devenu un crime ?

Pour le site internet, ces événements récents manifestent une orientation politique commune : « Entre juin et juillet, utilisant un assemblage de mesures et promesses de circonstance désespérées, les dirigeants européens ont fortifié les frontières de l’Europe à sa périphérie méridionale de façon à restreindre les migrations vers le continent. Ces mesures incluent à présent des tentatives pour maintenir à quai le dernier des navires associatifs de secours humanitaire qui sortent des réfugiés de la Méditerranée, où 10000 d’entre eux ont péri depuis 2014 »*.

Comme l’explique slate.fr, droit d’asile, valeurs humanitaires et morales, chers à de nombreux citoyens européens, sont alors mis en question par les décisions et les compromis de leurs gouvernements.

Les attaques contre l’aide au personnes migrantes ne sont plus réservées à l’extrême droite et se développent sur le terrain médiatique européen. Certains prétendent qu’elle encourage les départs en diminuant les risques du voyage et qu’elle alimente le « trafic des passeurs ». C’est également une stigmatisation générale de l’accueil qui s’opère chez certains opposants à l’aide qui y voient un facteur de montée de l’extrême droite dans les urnes.

Cette vision du problème est largement débattue et contestée par les défenseurs de l’aide, comme le montre une réponse chiffrée où « l’éditorialiste du Zeit Caterina Lobenstein à côté de l’article de Lau, répliquait que le travail des ONG n’affectait pas le nombre de réfugiés décidant de tout risquer, y compris leur vie, pour traverser la Méditerranée ». L’éditorialiste ajoute que « les ONG n’ont à l’origine pas souhaité effectuer de missions de sauvetages mais ont au contraire demandé à l’UE et aux autorités internationales de s’en charger et à faire face à la catastrophe humanitaire sous leurs yeux, avant qu’elles ne se résignent à s’en occuper elles-mêmes ».

La condamnation de l’aide apportée au personnes migrantes en méditerranée conduit à s’interroger sur leur situation de renvoi vers les côtes africaines et notamment en Libye.

Un nombre alarmant de personnes ramenées en Libye et placées en centres de détention.

Le nombre de ces personnes placées en centre de détention officiel « a presque doublé, passant de 5 500 à 9 300 entre 2017 et 2018 ».

La politique européenne tend en effet à rejeter les personnes migrantes en dehors de ses frontières et à déléguer leur prise en charge aux États frontaliers.

Selon intellivoire.net, les garde-côtes libyens enferment systématiquement les personnes ramenées à terre, alors que « L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) indique que son programme de rapatriement volontaire en Libye est incapable de suivre le nombre alarmant de migrants. Ces migrants qui souhaitent rentrer chez eux sont dans les centres de détention du gouvernement Libyen ».

Conditions de transport et exploitation des exilées lors de leurs passage des frontières : sous le terme « passeur », de multiples acteurs impliqués

Mercredi 8 août, un réseau de passeurs a été démantelé en Espagne. Ce dernier est soupçonné d’avoir fait entrer près de 300 migrants en France originaires de Guinée, Cote d’Ivoire, Mali et Senégal. Le réseau utilisait un bateau pour faire passer les migrants jusqu’en Espagne, puis des bus et des trains. L’organisation fournissait des faux papiers aux migrants, ou les poussait à usurper l’identité d’autres étrangers. Si la police espagnole parle d’une organisation criminelle d’origine subsaharienne, un taxi géré par un citoyen espagnol était un des acteurs du réseau montrant la diversité des parties prenantes.

Un autre système de passeur a été démantelé suite à une enquête de plusieurs mois. Des sommes importantes sont rapportées, jusqu’à 5000 euros pour un passage vers l’Angleterre depuis Calais. L’organisation est aussi accusée de violences, notamment envers un réfugié palestinien qui voulait récupérer son argent suite à son renoncement à poursuivre le voyage. De lourdes peines ont été prononcées, allant jusqu’à 4 ans de prison pour l’un des organisateurs.

Si à l’évocation de l’expression « réseaux de passeur », on s’imagine des systèmes criminels très organisés, ce n’est pourtant pas toujours le cas. Les acteurs impliqués sont de différentes natures et rendent le concept difficile à appréhender. Ainsi un chauffeur routier d’origine roumaine explique qu’on lui aurait proposé 2500 euros sur un parking pour transporter cinq migrants et qu’il aurait accepté sur le coup.

Encore, un Belge de 27 ans décide de devenir passeur pour rembourser une dette personnelle après des menaces de mort à l’encontre de sa famille. Comme l’affirme son avocate Madame Gombert « encore des petites mains à cette barre et des passeurs jamais punis ». S’il est intéressant de souligner les différents profils des passeurs pour mieux saisir la complexité des situations, les méthodes employées par la plupart d’entre eux ne sont pas moins dégradantes et dangereuses pour les personnes migrantes. Le passeur d’origine Belge transportait ainsi des exilés recroquevillés entre deux meubles et recouverts de papier aluminium dans un camion sans aération.

Enfin, un réseau calaisien, fruit de la collaboration entre un père français, ses deux fils et « des albanais », promettait des traversées vers l’Angleterre en simple bateau pneumatique, Une entreprise très périlleuse à un coût exorbitant pour les personnes en exile.

* L’Organisation Internationale pour les Migrations annonce 17000 morts. Le décompte des morts en mer méditerranée étant approximatif et souvent sous-évalué.

--

--