Thomas Ker
The Digital Warehouse
9 min readAug 18, 2018

--

Politiques de contrôle des frontières contre stratégies de passage

Revue de presse du 8 août 2018

Calais : répression judiciaire des passeurs et des personnes migrantes | Sous-traitance du contrôle des frontières, une affaire politique | Paris, le décès d’un exilé confirme une situation sanitaire insoutenable à porte de la Chapelle | De la Côte d’Ivoire à la Libye : départs et retours | 42 des 78 exilés soudanais débarqués en France par l’Aquarius ont obtenu « solennellement » le statut de réfugié.

Calais : répression judiciaire des passeurs et des personnes migrantes

De la prison ferme pour des passeurs et pour des exilés

Le contrôle de la frontière britannique sur le sol français consiste pour les autorités françaises à empêcher les tentatives de passage des exilées et exilés vers l’Angleterre. C’est « au péril de leur vie » que les personnes s’embarquent dans les remorques des camions, clandestinement ou grâce à des passeurs. Ainsi, comme le rapporte La Voix du nord, en juillet dernier 14 conducteurs de poids lourds se voient condamnés à plusieurs mois de prison ferme par le tribunal de Boulogne-sur-Mer pour avoir facilité, « moyennant de fortes sommes d’argent », la traversée de la manche de personnes migrantes.

La répression s’exerce particulièrement dans les situations de tensions qui éclatent lorsque les chauffeurs font appel à la police pour déloger les passagers clandestins. Il y a quelques jours, deux exilés ont été fermement condamnés à trois et cinq mois de prison pour avoir été rendus coupables d’un jet de pierre sur des CRS qui venaient les disperser. L’alcoolisation des personnes exilées et leur vulnérabilité psychique étant de manière alarmante un facteur qui aggrave ce type de tensions.

« Sauvetage » de trois migrants qui tentaient de traverser la manche en canoë.

Cette difficulté à traverser la Manche via le trafic routier conduit certains exilés à entreprendre la traversée de la Manche dans des embarcations de fortune. Repérées samedi dernier par des plaisanciers britanniques alors qu’elles semblaient pagayer vers l’Angleterre à bord d’un canoë, trois personnes ont été arrêtées au tiers de leur trajet. A douze kilomètres au large des côtes calaisiennes, elles ont été recueillies par les sauveteurs en mer (SNSM) avant d’être remises à la Police aux frontières (Paf).
Depuis 2016, plus de quarante tentatives ont été avortées par « une action de sauvetage préventive » de ce genre, selon une expression de la préfecture maritime.

Les grillages et dispositifs de vidéosurveillance entourant le site d’Eurotunnel à Calais. / © PHILIPPE HUGUEN / AFP

Le contrôle des frontières : porosité, politiques de fermeture et sous-traitance de la surveillance aux États frontaliers.

La surveillance de la frontière britannique sous-traitée aux autorités françaises

La surveillance de la frontière et la répression des tentatives clandestines de passage sont devenues une préoccupation centrale des politiques anti-immigration de fermeture des frontières. Sur les points de passage les plus fréquentés, s’opposent alors les moyens mis en œuvre par les États pour empêcher et réprimer le passage clandestin des frontières, aux stratégies développées par les personnes migrantes et les passeurs pour échapper aux contrôles et contourner les infrastructures de barrage et de surveillance.

A Calais, selon Elisa Perrigueur, rapporté sur blogs.médiapart, la Manche constitue un obstacle particulièrement dangereux à traverser sur une embarcation de fortune en raison des courants marins et du trafic maritime. Réseaux de passeurs, principalement kurdes et albanais, privilégient ici le trafic routier pour faire passer discrètement des personnes migrantes en Angleterre. Les prix varient autour des 3000 euros, et peuvent chuter en fonction de l’émergence, hors réseaux structurés, de passeurs opportunistes. Il existe également des réseaux intracommunautaires comme celui des communautés vietnamiennes.

Pour Elisa Perrigueur, la politique franco-britannique de contrôle de la frontière se résume à trois axes : « murs anglais, “non fixation” et destruction des réseaux ». La reconstruction systématique des réseaux de passeurs et le retour persistant des populations dispersées démontre chaque jour l’inefficacité de cette politique de destruction des réseaux et de harcèlement des populations migrantes toujours présentes, mais plus précarisées et prêtes à prendre des risques plus importants.

Soulevant l’indignation des défenseurs des droits des personnes en situation de migration, cette politique française est « qualifiée d’inhumaine, de brutale et d’épuisante par les ONG locales : Auberge des migrants, Salam, Help refugees… mais aussi des migrants et de nombreux citoyens… ». Le mur anglais, quant à lui, est soutenu par une volonté de rendre la frontière britannique fermée, au moyen de financements des dispositifs français de surveillance et de répression, destinés à bloquer le passage par les camions (accords du Touquet 2003, financement à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros d’équipements de surveillance et de murs, entre 2015 et 2018).

Méditerranée, la vie des migrants là encore soumise aux aléas politiques

Libye, mardi 31 juillet, cent huit personnes en migration secourues dans les eaux internationales par un navire commercial italien et reconduites sur les côtes libyennes en violation du droit international.

Selon Le Monde, la nouvelle politique migratoire italienne n’accepte plus de conduire les personnes secourues en Méditerranée sur son sol : « depuis juin, Rome se défausse sur les garde-côtes libyens, qui ont demandé au navire de ramener les migrants à Tripoli ».

Une violation du droit international que dénoncent le Haut Commissariat aux Réfugiés, certaines ONG européennes et plusieurs hommes politiques italiens. La situation n’est pourtant pas sans précédent puisqu’en 2012, la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné l’Italie après qu’un navire militaire italien eut ramené des personnes migrantes en Libye. Pourtant, la situation déjà très préoccupante à l’époque au regard des conditions de passage de ces personnes sous le régime de Mouammar Kadhafi, s’est nettement dégradée depuis la chute du « guide ».

Politique de déplacement de la frontière européenne au plus près du littoral africain

C’est un mouvement de déplacement de la frontière européenne au plus près des eaux territoriales libyenne qui s’opère depuis le lancement en 2013 de l’opération Mare Nostrum destinée à garantir le contrôle de cette frontière et le sauvetage des personnes chargées par centaines sur de gros bateaux : désormais, selon Elisa Perrigueur, « les garde-côtes italiens, ONG et quelques navires Frontex interviennent toujours non loin de cette frontière maritime pour des opérations. Les passeurs se sont adaptés, envoient désormais des petits bateaux pneumatiques au large de Sabratha, en direction des navires internationaux ». Cette politique européenne est contractualisée en 2017 par un accord signé avec la Libye qui vise à empêcher les départs des côtes libyennes et favoriser la reconduite des personnes sur le continent africain.

Qu’il s’agisse des îles de Lampedusa entre la Libye et l’Italie, de Lesbos entre la Grèce et la Turquie, ou de la ville de Calais, entre la France et la Grande-Bretagne, chaque voie de passage connait ses populations de passeurs, qui profitent d’une nouvelle niche économique pour se reconvertir ou s’organisent autour de « mafias », selon l’expression répandue, proposant des passages qui coûtent plusieurs centaines d’euros à quelques milliers.

L’action politique à chacune de ces frontières européennes dépend d’accords particuliers passés avec les différents États frontaliers quant au contrôle des voies de passage, au moyen de dispositifs sécuritaires comme des murs et des instrument de surveillance et à travers la répression des passeurs et des personnes migrantes. La rétention des exilées et des exilés dans les pays limitrophes est alors monnayée par les États de destination qui refusent l’accueil des personnes migrantes : l’Union Européenne et le Royaume-Uni.

Paris, une situation sanitaire insoutenable pour les exilées et les exilés

Paris, porte de la chapelle. Selon les bénévoles interrogés par Le parisien, le camp de réfugiés, qui s’est immédiatement reconstitué après sa destruction par les pouvoirs publics en juin dernier, connaît une situation sanitaire très préoccupante : « Les réfugiés, qui sont déjà dans un état de santé physique et psychologique très précaire, sont à la merci des trafiquants et crackers de toutes sortes, témoigne une bénévole dans le journal ». Cette situation insoutenable conduit « le collectif Solidarité migrants Wilson qui a distribué au total quelque 250 000 repas, » ce mois de juillet dernier à fermer son local boulevard Ney. Le collectif dénonce notamment l’insuffisance d’accès à l’eau avec seulement deux points d’eau pour plus de 700 personnes, rétablis par la ville sous la pression continue du collectif.

Le décès d’un exilé soudanais la veille de la fermeture confirme l’indignation du collectif devant la dangerosité de la situation : « De très nombreux réfugiés sont malades, blessés de guerre, il leur est très compliqué de se faire soigner. Des gens meurent de manque de soin ou se suicident. Sans parler des personnes qui sombrent dans la folie, à force de tourner en rond, pour certains parfois depuis des années, déplore la bénévole ».

Depuis la fermeture de son local, le collectif dénonce « des rafles » de personnes migrantes par les services policiers de l’État qui, sous le motif de « mise à l’abri », seraient destinées à éparpiller temporairement la population du camp avant de la relâcher à plusieurs dizaines de kilomètres de Paris.

De la Côte d’Ivoire à la Libye : départs et retours

Des rapatriés

« Plus de 150 migrants ivoiriens en situation de « détresse » en Libye, regagneront Abidjan jeudi prochain, a annoncé vendredi, Alassane Diamouténé Zié, le directeur de cabinet du ministre ivoirien de l’intégration africaine et des ivoiriens de l’extérieur » (http://apanews.net/index.php/news/en-detresse-en-libye-plus-de-150-migrants-ivoiriens-regagneront-abidjan-jeudi)

Cette action s’inscrit dans le projet « initiative conjointe Union Européenne — Organisation internationale pour les migrations pour la protection et la réintégration des migrants en Côte d’Ivoire ». Cent cinquante-cinq personnes ont bénéficié de ce rapatriement en novembre dernier. Il s’accompagne d’une aide à la réinsertion des personnes rapatriées à travers des aides financières, de formation et de création d’activité.

Pourquoi migrer ?

« “Mon diplôme ne vaut rien. Si tu ne connais personne ici, tu n’as pas de travail” »

Daloa, Côte d’Ivoire, « un des points de départ de l’émigration clandestine en Afrique de l’Ouest ». Le correspondant du Télégramme raconte sa rencontre avec des jeunes de la troisième ville du pays.

En manque d’argent pour financer leurs études ou de relations pour trouver un emploi, de nombreuses et nombreux jeunes âgés de seize à vingt-cinq ans se retrouvent quotidiennement par dizaines avec l’intention d’embarquer pour le Burkina Faso dans des bus affrétés par des « passeurs ». Ils souhaitent entreprendre le voyage vers l’Europe à travers la très dangereuse route qui parcours le Niger et la Libye. Racket, enlèvement, tortures, viols, chantage avec les familles sont les sévices couramment infligés au personnes en migration par divers groupes qui contrôlent les espaces de passage, en témoigne l’interlocuteur du télégramme qui a décidé de faire demi tour après plusieurs mois passé sur la route.

D’après les témoignages, La pression sociale nourrie l’aspiration à « réussir » qui constitue une forte motivation au départ. Elle s’exerce d’une part à l’intérieur d’une même génération : « “C’est dur de voir tes anciens amis en Europe sur les réseaux sociaux qui ont réussi, et pas toi. Ici, depuis mon retour, on se moque de moi. Certains disent que je suis un fainéant ou que j’ai peur de l’eau, mais ce n’est pas vrai !” » ; et d’autre part à travers l’injonction des aînés envers les garçons, cadets, d’aider la famille.

Certaines ONG européennes (italienne notamment : Cevi), interviennent localement pour convaincre les mères de ne pas encourager les jeunes au départ et dissuader ces derniers de partir, non plus en arguant la dangerosité du voyage, mais en leur parlant « “des vraies réalités de l’Europe, qu’une fois sur place, c’est plus difficile qu’ils ne l’imaginent” ».

L’imaginaire d’un eldorado européen imprègne également les enfants. Arouna, onze ans, confie au Télégramme sa honte d’avoir été ramené de force en Côte d’Ivoire et témoigne de sa détermination : « “je suis parti avec un ami pour rejoindre l’Europe. J’ai vu plein d’enfants sur la route, je n’avais jamais peur”, relate-t-il d’une voix fluette. L’enfant évoque les laissez-passer et la prison libyenne comme un adulte qui a déjà tout vécu » et « n’espère qu’une chose : repartir en Europe pour devenir pilote de ligne ».

42 exilés soudanais obtiennent solennellement le statut de réfugié

Selon Le Monde avec AFP, quarante-deux des soixante-dix-huit personnes migrantes recueillies par l’Aquarius et débarquées en France il y a environ deux mois ont reçu solennellement le statut de réfugié. La Maire de Lille n’a pas manqué de leur déclarer un accueil remarquable, faisant au passage l’éloge des organismes nationaux de gestion des populations en situation de migration tels que l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration), et La Sauvegarde du Nord, sous les applaudissements.

Un sursis de dix ans pour ces hommes venus du Soudan et ayant fui la guerre civile. Qu’en est-t-il de tous les autres ?

D’après des propos de Frédéric Rouvière, président de la Sauvegarde du Nord, rapportés par Le Monde :

« “Les gens bougent, changent de continent pour des raisons climatiques, économiques, éducatives… Ils fuient les conflits armés. Et rien ne pourra jamais les empêcher de bouger.” Et d’observer : “ Quand on parle de quelqu’un qui vient de l’hémisphère Nord, on parle d’expatriation, quand on vient du Sud, on parle de migration. Les mots ont un sens et retracent nos peurs et nos réticences. Mais j’ai la conviction que l’accompagnement et l’intégration sont forcément possibles.”

Mercredi, deux mois après l’épisode des 630 migrants refusés par l’Italie et Malte, l’Aquarius a repris la mer en direction des côtes libyennes. »

--

--