Sensiwall

Alexis Leibbrandt
TheSwissUnicorn
Published in
7 min readFeb 5, 2018

La société Sensiwall, basée à Yverdon, propose des solutions d’entraînements de football interactifs. C’est au technopole Y-parc que j’ai rencontré Valentin Vuagniaux, CEO et co-fondateur, pour discuter des défis liés au développement et à la commercialisation d’un produit hardware tel que le système d’entrainement interactif Prometheus.

Valentin Vuagniaux, CEO de Sensiwall

The Swiss Unicorn: Le produit Prometheus est basé sur ton travail de master réalisé à l’HEIG-VD.

Valentin Vuagniaux: Tout à fait, j’ai travaillé sur un système fait de capteurs qui permettait de rendre la plupart des surfaces tactiles. L’idée était d’utiliser des produits existants, comme des fenêtres de bâtiment, et les rendre interactifs. Partant de ces développements, nous avons réfléchi aux possibles applications de cette technologie et nous sommes arrivés sur les jeux de balles avant de converger vers le football.

Nous avons alors développé ces parois interconnectées qui permettent de localiser les impacts des ballons. Ces parois contrôlées au moyen d’une tablette vont émettre des signaux lumineux ou auditifs au joueur qui s’entraîne. Celui-ci va alors devoir réagir en fonction des consignes qu’il a reçues. Cela peut être très varié et c’est pour cela que cet outil doit être associé à un entraîneur pour être réellement efficace.

Avec tes collaborateurs, avez-vous développé la pédagogie d’entraînement avec des chercheurs en sports ou des entraîneurs ?

Il nous a été demandé à plusieurs reprises de valider scientifiquement les bienfaits du produit. Pour cela, nous aurions eu besoin de fonds importants, ce qui aurait impliqué de nombreuses années de recherche. Nous avons donc préféré travailler directement sur le terrain, avec les entraîneurs. Ceux-ci ont la capacité d’amener une légitimité au produit s’ils l’incluent eux-mêmes à l’entraînement de leurs joueurs. Avec de telles références, la validation scientifique est moins recherchée. Sur le long terme, il serait tout de même intéressant de faire ces études.

Vous tablez donc plutôt sur les références positives de personnalités du milieu ?

Oui, ça peut avoir un impact positif. En 2012, le Borussia Dortmund a installé une salle d’entraînement interactive complète qui a nécessité un investissement à hauteur de 4 millions d’euros. Le Borussia a fait un bon résultat en championnat cette année-là et tout le monde s’est dit que c’était grâce à cette machine révolutionnaire. De nombreux clubs ont voulu l’avoir par la suite.

Ces salles sont des prototypes et non des produits standards.

C’est du sur-mesure à chaque fois. Généralement, nous découvrons ce que le client veut vraiment au fur et à mesure du développement du produit. Pour Prometheus, nous sommes partis d’une technologie pour créer un produit sans avoir clairement identifié les besoins des clients. Et de fil en aiguille, le produit a été modifié pour répondre aux besoins des utilisateurs finaux. Nous sommes par exemple passé d’un seul panneau à quatre pour travailler à 360 degrés.

Ce cercle de développement itératif se fait énormément en software. En hardware, il y a quelques petites limitations.

Oui, c’est compliqué d’un point de vue budgétaire. C’est d’ailleurs un de nos problèmes. Nous avons dépensé beaucoup d’argent pour la conception hardware du produit. Un set complet coûte plusieurs milliers de francs. Nous avons dû faire plusieurs itérations et ça nous a coûté une somme conséquente.

Avez-vous déjà des commandes pour l’année 2018 ?

Plusieurs clubs européens nous ont demandé des devis. Nous pensons installer nos systèmes dans une vingtaine de clubs durant l’année 2018.

Quel est votre type de client ? Est-ce que ce sont plus les clubs d’élite ou alors les semi-professionnels ?

Nous pensions nous tourner vers l’élite mais nous avons vite vu que les semi-pro étaient également très intéressés. Ces derniers ont cependant un budget plus limité. C’est également le cas dans les académies des grands clubs. La différence de budget entre l’académie et la première équipe peut atteindre un facteur cent. L’outil que nous avons développé est d’ailleurs clairement axé sur la formation. Il est dès lors mieux adapté à la tranche d’âge entre huit et seize ans.

Dans le milieu du football, on voit de plus en plus de systèmes d’entraînement connectés sur le marché. Est-ce que c’est quelque chose dans l’air du temps ?

Il y a effectivement plusieurs systèmes à base de GPS pour suivre le joueur. On commence à parler d’entraînement 2.0. Cependant les bases de l’’entraînement n’ont pas beaucoup changé ces dernières années, surtout dans le football. On reste sur des exercices réalisés au moyen de cônes, piquets et simples goals. Le sport de manière général n’a que peu évolué au niveau de l’équipement.

Quelle place a votre produit dans un entraînement en groupe ? N’est-ce pas un outil à utiliser individuellement ?

Pas nécessairement. Il y a plusieurs applications qui mettent en jeu des groupes de joueurs. Le coût de plusieurs systèmes Prometheus est cependant élevé pour ce genre de scénarios. Cependant, nous avons comme objectif à moyen terme de réduire les coûts de production afin de pouvoir proposer un système complet avoisinant les 7’000CHF.

Quels sont vos critères de recrutement au sein de l’entreprise ?

Nous regardons avant tout la capacité d’adaptation de la personne à des problèmes qui ne sont pas dans son expertise de base. Dans une petite structure comme la nôtre, nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir des gens qui ne savent faire qu’une chose. Ces personnes ne seraient pas productives les ¾ du temps. Même nos designers doivent être capable de démarcher des clients, créer du matériel marketing et autre.

Quelle est votre stratégie pour acquérir de nouveaux clients ?

Dans ce milieu, cela fonctionne beaucoup au bouche à oreille, au réseau. Nous avons donc prévu de travailler avec des personnes de référence telles que des préparateurs physiques ou des médecins du sport mondialement connus. Ces personnes nous ouvrirons le marché et génèreront des opportunités commerciales. Notre stratégie est top-down ; c’est-à-dire que nous ciblons les clubs professionnels en premiers puis les semi-pro une fois le système connu de tous.

De quelles aides avez-vous bénéficié ?

J’ai d’abord reçu une bourse Innogrant qui nous a permis de démarrer. Nous avons aussi participé à VentureKick, mais un peu trop tôt car nous n’avions pas de prototype suffisamment abouti pour espérer aller plus loin que l’étape une. Nous avons également reçu le prix Genilem Vaud ainsi que le soutien du SPECO qui nous rembourse jusqu’à 50% de certaines dépenses. Finalement, nous avons bénéficié du FIT seed qui est un prêt de 100kCHF à 0% sur huit ans. Malheureusement, en cas de faillite, ce prêt doit être remboursé en totalité à titre privé.

Tu as également fondé une autre entreprise ?

J’ai créé Ridefreeway avec mon colocataire. C’est une société qui nous permet de tester différents business models et de nous amuser. Nous n’avons pas de charges mais nous avons la structure juridique pour développer ce que nous voulons.

Grâce à nos expériences combinées, nous nous sommes rendu compte que nous savions très bien industrialiser un produit, c.à.d. passer du prototype au produit fini. Nous avons par ailleurs remarqué que les startups passaient beaucoup de temps à industrialiser leur produit et peu de temps à le commercialiser et le vendre, ce qui est une grosse erreur.

Nous souhaitons proposer aux startups un service d’industrialisation externe qui leur permette de produire tant des prototypes que des grandes séries à un coût faible et sans perdre de temps. Nous avons déjà mené à bien plusieurs projets en partenariat avec différentes startups de la région.
Plus d’informations sur VF Ingénierie.

L’entreprenariat est quelque chose que tu as toujours eu en ligne de mire ?

L’entreprenariat m’est un peu tombé dessus. Je ressens tout de même le besoin de créer. J’ai besoin de mouvement, de challenges. Je ne suis pas encore prêt à avoir une vie trop tranquille. J’ai d’ailleurs plusieurs idées à développer une fois que les projets actuels seront terminés.

Il y a un célèbre dicton dans le domaine des startups qui est Hardware is hard. Tu confirmes ?

Le hardware coûte plus cher que le software à développer. Il y a du cash à sortir avant d’être sûr que le business va fonctionner. Il faut trouver les bons fabricants, savoir gérer les délais et parfois les pièces sont mal usinées. Effectivement, ce n’est pas simple.

Est-ce que c’est dur de ne pas faire d’over-engineering ?

Au début c’était dur. Maintenant, je suis devenu très minimaliste. C’est une des grosses expériences que j’ai acquises. Il faut surtout éviter au départ d’amener un produit avec trop de fonctionnalités. Le produit doit pouvoir s’adapter à la demande du marché.

Ce qui n’est pas ce qu’on apprend dans les écoles d’ingénieurs.

Non, effectivement. Il faut garder un produit très KISS (N.D.A. Keep it simple, stupid). D’ailleurs, si je devais redévelopper les parois, je le ferais totalement différemment.

Quel a été votre plus gros challenge ?

Se sortir de problèmes légaux liés à la signature de contrats boiteux. Je pense qu’il faut accepter que nous avons fait des erreurs par le passé. Il nous faut identifier quel est notre strict minimum avec lequel nous nous satisfaisons et repartir de cette base en laissant la porte ouverte à d’autres opportunités.

Quelle est la plus grande leçon que tu as apprise dans cette aventure ?

En entreprenariat, il y a des choses qu’il faut absolument faire soi-même.

Nous avions au départ sous-traité la recherche de financement. Avec le recul, ce n’était pas une bonne solution. De plus, notre contrat était mal formulé et nous a causé des problèmes.

C’est pourquoi il est primordial d’écrire des contrats solides. En tant que startup, il est difficile d’allouer des ressources dans la rédaction de contrats mais ça reste très important. Tout ce que l’on signe a une valeur. Il ne faut pas négliger les clauses de sorties. Il est très important de définir à l’avance la situation en cas de rupture du contrat. C’est toujours plus facile de trouver un accord quand on est en bon terme, au début de la relation.

Quel est le conseil que tu donnerais à quelqu’un qui voudrait créer son entreprise ?

Selon moi, il est très important de pousser l’utilisation client pour avoir rapidement des retours sur le produit. C’est également quelque chose qui peut être mis en avant durant la levée de fonds. Il ne faut donc pas hésiter à prêter le produit, voir le vendre à perte plutôt que de le laisser traîner dans un bureau si cela permet d’avoir des retours clients.

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