SunnySide Games

Alexis Leibbrandt
TheSwissUnicorn
Published in
9 min readFeb 8, 2018

Les milieux économiques suisses ainsi que les médias spécialisés dans les startups n’ont pas pour habitude de se pencher sur la question du jeu vidéo helvétique. Et pourtant, il existe dans ce pays de nombreux studios qui proposent des produits de qualité.

Les Lausannois de SunnySide Games font partie de ces quelques élus. Cette équipe de passionnés a déjà deux jeux à leur actif, The Firm et Towaga, ainsi qu’une collaboration sur Anshar Wars 2, jeu de réalité virtuelle sur la plateforme Oculus.

C’est dans le quartier du Flon que je rencontre Gabriel Sonderegger, CEO et co-fondateur, pour une discussion passionnante sur le marché du jeu vidéo en Suisse.

Gabriel Sonderegger dans les locaux lausannois de SunnySide Games

The Swiss Unicorn: D’où vient votre nom, SunnySide ?

Gabriel Sonderegger: C’est la garderie dans le film d’animation Toy Story. Il faut savoir que nous venons du dessin animé. Au départ, nous avions envisagé de nous lancer dans l’animation mais nous avons vite vu qu’il serait très difficile de se lancer dans ce domaine et nous ne voulions pas être dépendants des mandats. Nous nous sommes donc tournés vers le jeu vidéo, d’où SunnySide Games.

Comment avez-vous fait pour pivoter du dessin animé à la conception de jeux vidéo ? Avez-vous dû recruter des gens dans le domaine ?

Il se trouve qu’un des fondateurs avait une formation d’ingénieur EPFL et également d’une école d’art. Il avait donc des compétences en informatique. Avec notre expérience dans l’animation et ses connaissances de programmeur, nous avons pu pivoter plus facilement.

Vous étiez donc trois au départ ?

Nous avons en réalité débuté à six. Les premiers mois, nous avons quelque peu tourné en rond. Il a fallu définir le type de produit que nous voulions développer et de quelle manière nous voulions le faire. Il y a alors eu des départs et nous nous sommes finalement lancés à trois. Une des premières choses que nous avons faites a été la campagne WeMakeIt sur Towaga.

Vous n’avez donc pas commencé « petit » avec The Firm avant de vous lancer sur Towaga qui est un projet plus conséquent ?

Nous aurions aimé avoir cette présence d’esprit !

C’est une bonne approche entrepreneuriale de revenir à quelque chose de plus simple quand on a vu trop grand au départ.

Malheureusement, nous n’avons pris cette décision qu’après six mois de développement. Nous nous sommes rendu compte que le projet était trop complexe et qu’il nous fallait sortir un jeu rapidement pour comprendre comment fonctionne le marketing, la traduction et identifier les coûts liés à une mise sur le marché. Nous nous sommes donc retrouvés un vendredi soir à sept et avons décidé de produire un jeu en un weekend. C’est ainsi que The Firm est né. Nous avons sorti le jeu quelques semaines plus tard et le succès a tout de suite été au rendez-vous (N.D.A. approx. 1 million de téléchargements à l’heure actuelle).

Jackpot.

Oui. Nous avons tout de même dépensé beaucoup d’énergie pour faire connaître le jeu quand il est sorti.

Il y a deux composantes dans ce que tu dis. D’une part le jeu a fonctionné de lui-même et d’autre part vous avez activement contacté les médias. Quelle était la stratégie pour être visible ?

Le fait d’être Suisse et de traiter une thématique financière a été bien perçu à l’étranger. Des journaux comme Le Monde et Le Figaro ont trouvé cela intéressant et ont publié du contenu. Ces publications ont été bien reprises. Nous avons également fait la couverture du 20minutes en Suisse. Cela nous a amené de la crédibilité et d’autres journaux ont suivi.

La campagne Wemakeit a été clôturée avant The Firm ?

Oui, nous avons fait cette campagne pour vérifier s’il y avait une demande pour le jeu que nous voulions développer. Nous avons alors demandé 10'000 francs et en avons reçu 26'000. Bien que la campagne de crowdfunding fût une réussite, nous ne sommes pas allés bien loin avec ce financement. C’est alors que nous avons décidé de sortir autre chose sur le marché avant Towaga.

Est-ce que vous avez reçu d’autres financements à vos débuts ?

Non, pourtant nous avons essayé partout. Il y a plusieurs facteurs qui expliquent cela. Le jeu vidéo est trop volatile pour intéresser des investisseurs, les salaires sont trop élevés en Suisse et le domaine reste incompris. Nous savions que ce serait difficile ici mais nous voulions faire grandir le marché en Suisse. Sans financements externes, nous nous sommes sous-payés, nous avons rendu nos appartements et avons dormi dans les bureaux pendant quelques temps.

C’est le cliché de l’entreprise qui démarre dans un garage !

Exactement. Au début, nous étions six dans 12m2. C’était compliqué mais nous avons décidé de vivre à la dure plutôt que d’abandonner.

Allez-vous rechercher des investissements supplémentaires maintenant que vous avez une certaine reconnaissance ou voulez-vous croître de manière organique ?

La plateforme d’aide aux startups Innovaud nous avait conseillés de ne pas devenir dépendants des aides. Notre but a toujours été de croître organiquement grâce à nos produits. A la suite du succès de The Firm, nous avons décroché un partenariat qui nous a permis de travailler sur le jeu de réalité virtuelle Anshar Wars 2. Le projet était financé par Oculus qui nous a amené un flux d’argent continu et nous a ainsi permis de nous stabiliser. Nous travaillons maintenant sur un projet qui va nécessiter une trentaine de collaborateurs et nous recherchons des fonds pour cela.

Est-ce que Lausanne est le bon endroit pour ce genre de projet ?

Nous avons la chance d’avoir dans la région l’EPFL et l’école d’arts visuels Ceruleum qui forment des gens très compétents. De plus, le fait de faire du jeu vidéo en Suisse reste étonnant et nous donne accès à une couverture médiatique facilitée.

Votre équipe de cofondateurs a toujours eu ce besoin d’entreprendre ?

Oui, nous avions d’ailleurs lancé une première entreprise par le passé. Mes deux associés qui travaillaient dans la publicité connaissaient mes travaux de fin d’études et sont venus me chercher. Nous avons alors lancé un premier projet ensemble.

Vous avez pour l’instant développé The Firm qui est très ludique, Towaga qui est très abouti au niveau design et vous avez collaboré sur les graphismes de Anshar Wars 2. Quelle est la direction de développement que vous voulez maintenant emprunter ?

A vrai dire, nous avons toujours voulu faire du jeu sur console. Nos précédentes expériences étaient un moyen de nous professionnaliser. Towaga et The Firm sont les piliers qui nous permettent de faire notre apprentissage avant de passer à la console. Le projet Anshar Wars 2 nous a également appris toutes les rigueurs techniques nécessaires à l’élaboration d’un jeu plus ambitieux. C’est grâce à l’expérience accumulée que nous pouvons maintenant travailler sur un jeu pour les consoles Playstation 4 et Switch.

Quels sont les métiers présents chez Sunnyside ?

Nous avons des ingénieurs en informatique, des animateurs 2D, des animateurs 3D et un musicien. Nous avons beaucoup appris mais il nous manque toujours quelqu’un en management. Heureusement, nous avons pu bénéficier d’un cours gratuit sur l’entreprenariat à l’EPFL qui nous a donné certaines bases.

Au-delà de l’aspect technique, quels sont les critères à l’embauche chez SunnySide ?

Nous cherchons à créer une famille.

Nous ne cherchons pas forcément des gens qui nous ressemblent mais qui partagent les mêmes valeurs et qui ont envie d’aller dans la même direction. Nous cherchons des gens passionnés. Il faut également que la personne soit consciente de ce que cela représente de travailler pour une startup. Il y a parfois un côté très informel et même un peu fouillis. Cela peut dérouter certaines personnes habituées à des cadres plus rigides.

Vous êtes donc dans une phase de professionnalisation mais gardez un état d’esprit startup. Travaillez-vous selon les principes de développement agile ?

Nous avons eu la chance de rencontrer un coach agile durant une campagne de financement qui nous a aidés gratuitement. Nous sommes tombés amoureux de SCRUM. Du point de vue de la professionnalisation, cela nous a tout de suite fait avancer. C’est une des plus grandes découvertes qu’on a faites.

Le marché suisse des jeux vidéo a évolué ces dernières années de manière positive. On parle d’une « Swiss Touch » identifiable à l’étranger. Est-ce que c’est quelque chose que tu as ressenti ?

Oui, mais ça reste très Zürichois. Il y a là-bas la ZHdK qui a été la première vraie école de game design. Ils ont imprégné une touche subversive, plus politique, plus engagée, et également plus abstraite et épurée, en relation avec le graphisme suisse. Nous sommes cependant en dehors de ce mouvement. Nous sommes quelque part plus traditionnels, avec des visuels plus mainstream, moins graphiques.

Est-ce que vous êtes seuls à vous trouver en dehors de ce mouvement ?

C’est une différence entre suisse romande et suisse alémanique. En Romandie, il y a une approche plus arcade, plus grand public. Du côté suisse allemand, on est plus dans l’art du jeu vidéo. Ce n’est pas péjoratif du tout ; ce sont simplement deux approches différentes.

Il y a actuellement un exode de talents vers les grands pays du jeu vidéo. Comment peut-on stopper cet exode de talents suisses ?

On ne peut pas. Les jeunes diplômés rêvent de travailler dans les équipes qui développent les franchises les plus populaires du jeu vidéo. Les entreprises qui sont derrière offrent de bons salaires, de la stabilité et une structure forte. C’est quelque chose que nous ne pouvons pas promettre en tant que startup.

Quel est le plus gros défi que vous avez dû surmonter ?

Nous avons des phases de développement assez longues. Ce sont des périodes où il faut travailler dur sans pour autant recevoir une quelconque récompense. Il faut pourtant maintenir la pression et garder l’équipe motivée à un moment où on accumule les dettes.

Quelle est la leçon que vous en tirez ?

Il faut être sûr que les collaborateurs sont alignés sur la direction à prendre en cas de succès et en cas d’échec. Dans notre cas, quand l’argent est tombé, il y a eu des divergences d’opinions quant à la stratégie à adopter. Certaines personnes voulaient investir dans l’entreprise, d’autres auraient préféré se verser un plus gros salaire et alléger les efforts fournis.

Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui voudrait créer son entreprise ?

Je recommande de suivre le cours gratuit du CTI sur l’entreprenariat. Ce cours nous a beaucoup aidé. Nous aurions également pu éviter certaines erreurs si nous l’avions fait avant !

Tu as un exemple d’erreur ?

Sur The Firm, nous avons introduit des achats en jeu sans faire d’analyse de marché auparavant. Nous nous sommes fait insulter de tous les côtés et avons dû corriger le tir (rires).

Tu me parlais avant de MVP (minimum viable product) qui fait partie du jargon des principes Lean Startup. C’est un concept qui explique entre autres qu’il ne faut pas attendre d’avoir un produit totalement fini avant de le mettre sur le marché pour récolter les premiers retours d’utilisateurs.

C’est ce que nous faisons sur The Firm et Towaga. Chaque mois nous récupérons les feedbacks des utilisateurs pour sortir des nouvelles versions qui répondent mieux aux besoins du public. Il faut savoir que pour The Firm, nous n’avons pas vendu le plus durant le buzz médiatique du départ mais seulement après, suite à une mise-à-jour. Le mobile permet un développement itératif.

Qu’est-ce qui manque à la Suisse pour atteindre le niveau supérieur ?

Il faut accepter que chaque pays à son domaine de prédilection. Nous ne sommes pas un grand pays de production de divertissements. Il manque des écoles et les salaires sont encore trop hauts. Il y a une petite forme d’impossibilité. La réalité fait que c’est plus compliqué ici. Il faut l’accepter et jouer avec les règles. Il y a cependant un bel espace médiatique, une communauté très soudée et la possibilité en tant que startup d’avoir un impact sur le marché.

Est-ce que tu te verrais tenter une autre aventure que le jeu vidéo ?

Nous nous sommes toujours dit que le jour où cette entreprise atteindra une totale maturité, nous en ferions une autre. Ce serait même envisageable dans un autre domaine.

Il y a beaucoup d’expérience engrangée en startup que tu peux transposer à n’importe quelle industrie.

Au final, c’est la volonté de faire quelque chose, de mettre les choses en mouvement qui importent.

Quels sont les ingrédients du succès de Sunnyside ?

Il n’y a pas vraiment de recette miracle mais si je devais énumérer certains ingrédients, je dirais :

- La persévérance. L’échec peut être un échec et une réussite suivant comment on le regarde. Il faut savoir prendre le bon.

- La passion. Il n’est pas possible d’aller au bout sans la passion.

- La formation. C’est un métier et il faut l’accepter.

- L’aspect humain. Il faut s’entourer de gens qui ont la même vision.

Un dernier mot ?

Maintenant que nous sommes depuis quelques temps dans le domaine des startups, je peux dire que c’est quelque chose à faire. Il faut se lancer car c’est une aventure formidable quoi qu’il arrive. Tant qu’on est passionné par ce que l’on fait, on prend beaucoup de plaisir.

Chez Sunnyside, on a su garder une âme d’enfant…

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