The Green Condom Club

Alexis Leibbrandt
TheSwissUnicorn
Published in
11 min readDec 16, 2017

Vous êtes-vous déjà demandé ce que contiennent vos préservatifs ? … Et comment une capote peut-elle être végane ?

C’est pour tenter de répondre à ces questions que j’ai rencontré Gabrielle Lods, fondatrice du Green Condom Club. Assise face à un chai tea latte, cette jeune entrepreneuse pleine de vie me parle de l’industrie du préservatif, d’entreprenariat en solo et de la vie de digital nomad.

Gabrielle tenant ses préservatifs végans

The Swiss Unicorn: Tu proposes ta propre marque de préservatifs durables sans ingrédients toxiques et certifiés végan. Si j’ai bien compris, cette idée a germé d’une discussion entre amis lors d’une soirée un peu arrosée.

Gabrielle Lods: Ça a commencé comme une blague. Un jour avec des amis à Berlin, nous nous sommes demandé comment je pouvais attirer plus d’hommes vers mon site d’e-commerce. La discussion a vite dérivé sur les préservatifs. Après une rapide recherche sur internet, je me suis rendue compte qu’il n’y a actuellement aucune visibilité sur les ingrédients contenus dans les capotes. De plus, peu de marques proposent des produits certifiés végan et sans ingrédients toxiques. Je me suis dit qu’il y avait sans doute un marché pour ce genre de produits.

J’ai donc commencé à revendre des préservatifs de la marque Glyde. J’ai lancé le site en décembre 2015 et j’ai tout de suite eu de l’intérêt de la part des médias. Cela m’a amené les premiers clients en dehors de mon cercle d’amis. Quelques mois plus tard, j’ai démarré une collaboration avec une association française qui s’appelle Génération Cobayes et qui vise à sensibiliser les 18–35 ans sur les perturbateurs endocriniens et l’impact des pesticides sur la santé. Une région de France m’a alors contacté au travers de cette association pour une grosse commande. Après m’être renseignée chez mon fournisseur, j’ai remarqué que la marge que je pouvais espérer de la revente était très faible. J’ai alors saisi cette opportunité pour me lancer dans la production de mes propres préservatifs.

C’est pourtant un grand saut de passer de revendeur à producteur.

Tout à fait. Cependant, cette commande me payait environ un tiers de ma production, ce qui réduisait les risques pour le business. J’ai donc cherché une usine qui voulait bien faire des préservatifs végans et être complètement transparente au niveau des ingrédients. Sur les 40 que j’ai contactées, une seule était prête à le faire. C’était pour moi un point central. Les gens ont le droit de savoir ce qu’ils mettent sur leur peau.

Tout s’est alors rapidement enchaîné. J’ai reçu la demande pour la production en novembre et j’ai lancé la nouvelle marque fin mai. Autant dire que je n’ai pas beaucoup dormi durant cette période.

C’est tout de même un pari risqué de débarquer avec ton premier prototype sur cette large commande.

Oui, tout est allé très vite. Après quelques mois et de nombreux échanges de mails au sujet, entre autres, du prix et de la composition des préservatifs, j’ai pris l’avion direction le nord de la Chine pour visiter le site de fabrication. Heureusement, j’avais déjà visité d’autres usines par le passé et j’étais déjà familière avec l’exercice. Je savais à quoi il fallait faire attention et quelles questions il fallait poser.

Cette entreprise produisait-elle déjà des préservatifs ?

Oui, pour moi c’était essentiel. Ils ne faisaient cependant pas de préservatifs végans. J’ai dû être la cliente la plus difficile qu’ils ont eue. Je posais sans arrêt des questions. Mais nous avons eu une très bonne relation dès le début. Ils sont très transparents et m’ont toujours rapidement fourni toutes les informations dont j’avais besoin.

Qu’en est-il de la qualité du produit dans le temps ? Tu as toute confiance ?

Complètement. J’ai écrit un blogpost qui détaille toute la régulation qu’il y a derrière la production de préservatifs. Il y a un certain nombre de directives à respecter. Mes préservatifs ont le label CE ainsi que ISO 4074, sans quoi il serait impossible de les vendre en Europe, et sont également certifiés ISO 13485 et ISO 9001. C’est un domaine extrêmement régulé et la production suit la législation. 100% des préservatifs sont testés électroniquement.

« Testés électroniquement » ?

Un préservatif sans trou est isolant. Il suffit donc de placer le préservatif sur un élément conducteur et de mesurer si un courant passe au travers pour savoir si le préservatif est bien imperméable.

Le label végan assure que le produit ne contient pas de caséine et qu’aucun test n’a été réalisé sur des animaux. Quel genre de tests sont normalement effectués sur des animaux ?

Le test principal est un test de biocompatibilité. On va découper un petit carré de préservatif et le mettre en sous-cutané sur des rongeurs. Les gens me posent souvent la question en imaginant des trucs affreux (rires), mais non, ce n’est pas le cas.

Dans mon cas, je n’ai pas besoin de réaliser ces tests pour passer les certifications car je fais seulement varier la formulation de base à l’intérieur d’une certaine fourchette acceptable.

Tu as donc développé avec l’entreprise chinoise ta propre recette.
Cela veut dire que tes compétiteurs ont fait le même parcours.

Chacun a sa propre formulation mais ça reste très opaque. Il n’y a pas de loi qui stipule ce que tu as le droit de mettre dedans. C’est sur le plan de la fonctionnalité du produit que tu dois atteindre un certain standard.

Un compétiteur américain a un produit similaire au mien mais en dehors de ça, toutes les autres marques véganes manquent de transparence.
On souhaite pour les consommateurs que cela évolue.

The Green Condom Club n’est pas ta première entreprise. Tu as également lancé Sustain a Bum et Sustain a Living qui sont également des e-commerces.
Pourquoi ce type de business ? Est-ce que c’est venu d’une opportunité ou est-ce un moyen pour toi de vivre une vie de digital nomad ?

Lors d’un séjour en Hollande en 2008, je suis tombée par hasard sur le livre La Semaine de 4 Heures de Tim Ferriss dans la bibliothèque de mon logeur. J’ai lu le livre et à la fin, j’avais cette tête d’émoticon avec les cœurs dans les yeux (rires). Il y certaines choses que j’ai retenues du bouquin, d’autres non. Pour moi, il était essentiel d’avoir des types de produits qui réduisent l’impact sur l’environnement et l’exposition aux produits toxiques. Les solutions en ce qui concerne le développement durable existent. Est-ce que je peux rendre ces solutions plus accessibles ? Je suis donc partie de ce postulat. J’avais toute une liste de critères sur le plan logistique et stratégique et je me suis décidée pour les couches lavables [1].

J’ai construit un site de e-commerce et je me suis lancée. J’en ai parlé à mes amis et la troisième commande était déjà de quelqu’un que je ne connaissais pas. L’avantage du e-commerce est que tu n’as pas besoin d’être à côté de ton business en permanence.

La logistique est sous-traitée ?

Au départ, j’ai commencé avec des piles de couches lavables dans ma chambre. Maintenant, je collabore avec une organisation qui travaille avec des individus en réinsertion sociale et ce sont eux qui ont mon stock et qui s’occupent des envois.

Et c’est ce qui te permet de voyager et de pouvoir gérer ton business à l’étranger.

Exactement. Il y a tout de même eu plusieurs étapes avant d’arriver à une logistique automatisée de mon site d’e-commerce. J’ai dû beaucoup m’impliquer au départ mais maintenant ça fonctionne sans mon input.

Comment fais-tu pour acquérir de nouveaux clients ?

J’ai plusieurs stratégies. La presse amène des clients. Quand j’ai lancé le site fin mai, il y a eu plusieurs publications qui ont été bien perçues. De la même manière, si je publie du contenu sur mon blog, ça attire également de nouveaux clients. Le partenariat que j’ai avec Génération Cobayes m’en amène aussi.

En revanche, ce qui ne marche pas du tout, c’est de donner des produits gratuits. Ça aide à faire connaître la marque mais ça ne convertit pas du tout.

Est-ce que tu avais une stratégie bien définie au départ pour approcher le problème ; faire beaucoup de marketing, tabler sur le bouche à oreille ?

Le bouche à oreille marche très bien. Les gens en entendent souvent parler au travers de leurs partenaires. Mais ça reste quand même toujours du tâtonnement. J’avais par exemple été surprise que le fait de faire de la promo en offrant des échantillons gratuits ne marche pas du tout.

J’ai une stratégie mais je la développe et l’affine constamment. Mon côté ingénieure me pousse à structurer les tâches, à produire les choses correctement mais je dois avouer que je ne suis pas spécialiste marketing à la base.

Il faut également bien pouvoir cerner le client. Je me demandais d’ailleurs à quoi le client est sensible : le côté végan, l’odeur moindre ?

Il y a plusieurs types de personnes. Il y a les végans convaincus qui trouvent dans mon produit une alternative convenable. Il y a des gens qui ont des problématiques de sensibilité. Ils peuvent être allergiques à certains produits utilisés dans la transformation du latex. Ce qui peut parfois passer pour une allergie au latex mais qui parfois ne l’est pas.

Est-ce que tu as une idée de la proportion des clients que cela représente ?

Malheureusement non. Mais il faudrait. C’est encore un petit truc dans ma TODO liste.

Et finalement il y a la question de l’odeur qui joue un rôle. Certaines personnes y sont très sensibles.

Il y a un article de TechCrunch qui est très critique au sujet des abonnements en ligne pour les préservatifs. C’est quelque chose que tu as expérimentée ?

Oui, je pense qu’ils n’ont pas tort. J’ai beaucoup plus de ventes pour les packs de 3 et de 10 que pour les abonnements. Je continue cependant à proposer des abonnements. Ça fait peut-être rire les gens mais ils s’en rappellent. C’est un moyen comme un autre de marquer les esprits et cela ne me demande que peu d’efforts.

Comment as-tu fixé les assortiments et les prix ?

J’ai déjà commencé par regarder ce que faisait la compétition. Il y a également eu une réflexion assez poussée sur le packaging et l’aspect logistique. Il était essentiel pour moi d’avoir des capotes qui soient allongées et qui me permettent d’avoir un pack de 10 qui se replie et ne prenne que peu de place. Grâce à cela, je peux envoyer mon produit au moyen d’une enveloppe, ce qui me permet de proposer une expédition gratuite sur la terre entière.

Pour ce qui est du pack de 3, je voulais offrir aux gens la possibilité de tester le produit sans investissement significatif. Je suis convaincue que tout le monde devrait avoir accès à des produits non toxiques. C’était donc important de pouvoir proposer ce pack de 3 à un prix réduit.

Quel est ta proportion de clients en dehors de la Suisse ?

Je dois avoir 85–90% des clients hors de la Suisse.

Principalement en Europe ?

Oui, mais aussi en Nouvelle Zélande, à Singapour, au Canada, au Mexique, au Brésil…

Qu’est-ce que ça fait d’avoir créé un produit qui est vendu dans le monde entier ?

C’est trop cool. Je suis très contente. Surtout quand les clients m’écrivent après avoir tester le produit pour me remercier.

Est-ce que tu as reçu des aides de certains programmes, des financements ?

Pour les 2/3 restant de la production, je suis passée par les amis et la famille. Je n’ai pas participé à ces programmes et compétitions à startup car je ne corresponds jamais à ce qu’ils recherchent. De plus, cela peut prendre un certain temps de préparer la documentation pour ces programmes. J’ai plutôt tendance à me dire que je pourrais investir ce temps dans la recherche de nouveaux clients.

J’ai la même approche pour la levée de fond. C’est un effort conséquent qui peut t’accaparer pendant des mois et, pendant ce temps, ton business ne se développe pas. Ça reste quand même une question que je me pose régulièrement.

Quel est le plus gros challenge que tu as eu à surmonter ?

Je n’ai que 10 doigts et un cerveau. J’essaie de sous-traiter certaines tâches mais vu que je suis un peu perfectionniste et un peu têtue, j’ai tendance à faire les choses d’abord par moi-même. Cela me permet de comprendre la problématique avant de donner le travail à quelqu’un d’autre. Par conséquent, il m’est toujours difficile de trouver le bon équilibre entre sous-traiter et faire moi-même les choses.

Quelle est la leçon la plus importante que tu as apprise ?

C’est que c’est possible. C’est que tu peux. Si tu t’assois suffisamment longtemps et que tu fais les choses, c’est possible. Tu peux lancer ta propre marque, tu peux toucher des milliers de personnes.

C’est une leçon d’espoir ça.

A fond !
Mais pour ça il faut faire les choses. Il ne faut pas juste en parler et cogiter. C’est souvent la problématique de beaucoup de gens qui veulent lancer leur entreprise. Ils réfléchissent mais ne font rien.

Est-ce que Genève est le bon endroit pour lancer une startup ?

Non.

Tu n’as pas voulu opter pour Berlin par exemple ?

Je me suis bien évidemment posée cette question. Mais, pour moi, il était primordial d’être dans un environnement où j’ai de la famille et des amis. C’est très important pour assurer une bonne hygiène de vie. Sans ça, il est facile de se mettre à bosser 20 heures par jour. J’ai préféré faire le sacrifice d’être ici avec des coûts élevés mais garder le contact social. C’est un choix très conscient.

Tu as tendance à te mettre la pression ?

Oui, j’ai souvent envie de faire mieux. Et comme j’apprends assez vite, je me dis toujours que je pourrais faire plus de choses moi-même. Comme je n’appartiens à aucune structure, je dois faire preuve de discipline. Je dois trouver l’énergie pour faire une bonne réflexion stratégique et également assurer l’implémentation. C’est parfois assez dur de faire la part des choses.

Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui voudrait lancer sa startup ?

Fais. Commence. Commence aujourd’hui. Fais un truc. Arrête de réfléchir. Tu as sûrement bien assez réfléchi. Test. Essaie de voir s’il y a de l’intérêt pour ton idée. Ne construit pas quelque chose d’énorme pour te rendre compte que ça ne plaît à personne. Commence.

Il y a des gens qui sont très bons dans l’exécution. Est-ce que c’est ton cas ?

Je dirais que j’ai une bonne vision structurelle d’ensemble et mon exécution n’est pas parfaite mais elle est pareto (N.D.A. 20% d’effort, 80% de résultat). Ça me suffit.

En tant qu’ingénieure, on a tendance à retarder le plus possible la sortie d’un produit, de faire de l’over-engineering. Estimes-tu avoir les compétences pour faire la différence ?

Sans aucun doute. Mon passé associatif m’a conditionnée dans ce sens et j’ai tendance à me fixer des échéances claires. Ça me pousse à ne pas peaufiner sans fin et repousser l’impact réel de mon travail.

Pour clore l’entrevue, j’ai demandé à Gabrielle de choisir une citation parmi plusieurs citations d’entrepreneurs célèbres. Son choix :

Stop sketching and start building.
Dennis Crowley, Co-Founder of Foursquare

C’est ce que tu me disais avant. Il faut oser, essayer et avancer. Et c’est dans l’ordre du possible.

Oui, c’est d’ailleurs mon principal message.
Tu peux. Il faut te donner les moyens mais tu peux.

[1] Sur son site Sustain A Bum, Gabrielle propose des couches pour bébés lavables et sans produits toxiques. Cela permet aux parents de faire des économies et ça permet de lutter contre la génération de déchets.

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