Contre vents et marées

Notre monde à 1°C de réchauffement

Demand Climate Justice
The World At 1°C
22 min readOct 27, 2017

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Translation by Lise Masson.

Une femme et son enfant, déplacés par les inondations au Népal. Photo: UNICEF Nepal/NShrestha

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Ce mois-ci, les flammes ont ravagé l’Hémisphère Nord. En Colombie Britannique, au Canada, 19 feux de forêt ont fusionné en un gigantesque incendie — le plus important jamais observé dans la région — qui a brûlé plus de 4,500 km2. Dans cette province, les phénomènes incendiaires de cet été ont pris une telle ampleur que le CO2 qu’ils relâchent dans l’atmosphère a fait tripler l’empreinte carbone annuelle de la région.

La sonnette d’alarme avait pourtant été tirée il y a plus de 5 ans par Mike Flannigan, chercheur scientifique principal à Natural Resources Canada, qui expliquait comment la lutte contre les flammes se compliquerait sous l’influence des changements climatiques, qui intensifient ces phénomènes.

“Si l’ampleur d’un incendie est importante, il est impossible de l’attaquer de front, il faut le prendre par les flancs. Si l’ampleur d’un incendie est importantee, les forces aériennes ne sont plus efficaces, donc mêmes les moyens modernes de lutte contre les flammes, dont disposent des pays comme le Canada, les Etats-Unis et l’Australie, éprouveront de grandes difficultés, et j’irais jusqu’à dire que les modèles standards de gestion des incendies ne seront plus efficaces dans le futur.”

Les flammes ont également dévasté des régions plus inattendues comme le Groenland — qui est presque entièrement recouvert de glace. On constate avec stupeur que les forêts boréales à travers le continent Arctique brûlent à une vitesse sans précédent sur les 10 000 dernières années. Cette année, les feux de forêts ont été dix fois plus importants que la moyenne et il semblerait que cela n’aille qu’en s’empirant. Kevin Trenberth, un scientifique de la Section d’Analyse Climatique au Centre National de Recherche Atmosphérique des Etats Unis note la relation directe entre la croissance des phénomènes de feux de forêt et les changements climatiques, qui entraînent une hausse des températures et créent des conditions de sécheresse qui favorisent les départs de feux.

“Beaucoup de ces phénomènes se produisent localement, mais les gens ne font pas toujours le rapprochement avec le réchauffement climatique. Il y a pourtant une réelle composante climatique dans cela et le risque croît à cause du réchauffement climatique.”

Pour un grand nombre de personnes qui étudient l’écologie des incendies, l’idée de saison des feux de forêt semble désormais révolue — dans certaines parties du monde, c’est désormais constamment la saison des feux de forêt. (Par ailleurs, les changements climatiques causent le chaos dans les saisons des ouragans et des moustiques, comme pour de nombreux autres rythmes naturels de la planète).

Les ruines d’une habitation dans la Première Nation d’Ashcroft en Colombie Britannique. Photo: THE CANADIAN PRESS/Darryl Dyck

Quand les incendies brûlent la végétation de régions comme le Groenland, l’Alaska, ou la Sibérie, comme ce fut le cas ces derniers mois, la conséquence est que la couche d’isolation formée par cette végétation, assurant une température relativement stable du permafrost, est détruite. Sans cette isolant, le permafrost est plus prompt à la fonte — qui se produit déjà à un rythme alarmant. Une grande partie du permafrost d’Alaska pourrait avoir disparu d’ici 2050. Une fois de plus, les changements climatiques font voler en éclat nos définitions et conceptions du monde. Le permafrost n’est plus permanent.

Plus inquiétant encore que cette remise en cause de notre vision du monde, est le fait que le permafrost est une bombe carbone à retardement.

“On estime que le permafrost contient environ deux fois plus de carbone que la quantité actuellement présente dans l’atmosphère.”

Si ces quantités gigantesques de carbone sont relâchées, on peut s’attendre à devoir rajouter quelques degrés supplémentaires à n’importe quel niveau de réchauffement que nous avons causé par l’extraction des énergies fossiles et l’exploitation des forêts.

Si les choses se réchauffent dans les parties froides, glaciales, de notre planète, d’autres régions se transforment en véritables fournaises. Des études récentes ont montré que l’Asie du Sud continuera à se réchauffer à tel point que d’ici 2100, de larges étendues seront impropres à la vie humaine. Cela relève presque de l’hyperbole. Ce n’est pourtant pas le cas. Notre capacité à tolérer la chaleur est dépendante du niveau d’humidité: à 90% d’humidité, des températures supérieures à 35°C deviennent fatales. Le type de vague de chaleur qui crée de telles conditions se produisait tous les cent, cinquante, ou au pire vingt cinq ans auparavant. Désormais, on vit ces cauchemars chaque année.

L’un des auteurs de ces études met en évidence le problème:

“Au nord de l’Inde, au Bangladesh et au sud du Pakistan, une grande partie de la population dépend de l’agriculture de subsistance, qui requiert de longues heures de travail difficile en extérieur, protection contre les rayons du soleil.”

Environ un cinquième de la population mondiale vit en Asie du Sud, et alors que les températures et le niveau des eaux grimpent, des dizaines de millions de personnes sont confrontées au choix de fuir ou mourir. Ceux qui fuient des campagnes vers les zones urbaines seront confrontés à des environnements potentiellement plus hostiles encore, les villes en particulier devenant de réelles fournaises, alors qu’ils devront se rabattre sur des emplois plus précaires encore, dans un environnement politique toujours plus agressif et prompt à l’exploitation. Même en restant chez eux, ceux qui peuvent se permettre de rester au frais avec l’air conditionné contribuent directement à empirer la souffrance de leurs concitoyens, l’air conditionné déversant plus d’air chaud dans les villes.

En Inde, les vagues de chaleur prennent éventuellement fin avec les pluies amenées par les moussons. Cependant, loin d’être un soulagement bienvenu, elles apportent avec elles plus encore de violence climatique. Sanjay Vashist de Climate Action Network-South Asia explique:

“Immédiatement après les vagues de chaleur, quand une mousson arrive on se retrouve face à un phénomène d’inondation. Par conséquent, dans les zones rurales, la couche arable — considérée comme la plus fertile — s’érode, rendant la tâche plus difficile encore pour les agriculteurs et ceux dont le style de vie dépendent de l’agriculture.”

Et c’est en effet des inondations spectaculaires qui ont succédé aux vagues de chaleur mortelles du mois dernier. Bombay s’est retrouvé paralysée, les pluies causant des perturbations majeures dont l’inondation d’hôpitaux, où les médecins ont fait part de leur inquiétude:

“On s’inquiète du risque d’infection. L’eau de pluie emporte des ordures qui pénètrent maintenant nos services d’urgence.”

Des inondations majeures ont également frappé l’Asie du Sud ces dernières semaines. Au Népal, plus de 120 personnes ont trouvé la mort dans des coulées de boue causées par des inondations anormalement sévères pendant la mousson dans la région. Des pluies torrentielles au Bangladesh ont tué des centaines de personnes, 600,000 enfants étant affectés alors qu’environ un tiers du pays était sous les eaux.

Au total, au moins 41 millions de personnes ont été touchées à travers l’Inde, le Népal et le Bangladesh, et alors que nous écrivons, 1200 ont perdu la vie, bien que ce chiffre pourrait continuer à croître. Ces inondations succèdent les récentes inondations éclair du mois d’avril, annihilant les cultures et prenant aux agriculteurs tout ce qu’ils possèdent. Des centaines de milliers de personnes sont actuellement dans des camps d’urgence en attendant l’aide humanitaire, mais des villes entières restent inaccessibles en raison des inondations.

Des centaines de milliers de personnes ont été déplacées et vivent désormais dans des abris de fortune le long des voies de circulation, comme ces villageois dans l’ouest du Bengal. Photo: Getty

Rien de cela n’est propre à l’Asie du Sud. La réalité de la violence climatique a également pu être constatée au Niger ce mois-ci, des inondations majeures forçant des milliers de personnes à fuir leur foyer. En Sierra Leone l’arrivée précoce de pluies torrentielles a déclenché un énorme glissement de terrain à Freetown, tuant au moins 500 personnes. Les dirigeants locaux déclarent que ce chiffre est probablement plus proche des 1000 décès. La Sierra Leone n’est que très récemment entrée dans une période de paix après une guerre civile sanglante, succédant le coup dur de l’épidémie ebola en 2014.

La convergence tragique de circonstances d’événement météorologique extrême, de déforestation, de planification politique pauvre, et de pauvreté, a mené à un désastre prévisible mais pas inévitable. Comme c’est toujours le cas.

En Ethiopie, une sécheresse sévère continue à entraîner la mort de jusqu’à deux millions de têtes de bétail, aggravant toujours plus la crise alimentaire qui fait exploser les prix de la nourriture. Les récoltes ont été ravagées par la sécheresse et le légionnaire d’automne, qui s’attaque au maïs, menant les prix à doubler. Près de 9 million de personnes sont en besoin d’assistance immédiate.

La sécheresse, qui a touché non seulement l’Ethiopie mais aussi la Somalie, le Kenya, le Djibouti, et le Soudan du Sud, est la pire des dernières décennies. En Somalie, plus de 3 millions de personnes luttent contre la famine. Un baril d’eau coûte désormais 15 dollars.

La photo ci-dessus tente de raconter l’histoire poignante de la capitale provinciale de Baidoa, où 160,000 personnes ont migré depuis les zones rurales. Une mère handicapée interviewée dans le camp de réfugiés a décrit ce que la perte de bétail due à la sécheresse implique pour les nomades:

“Il n’y a plus d’espoir d’où nous venons. Dans notre village nous vivions auparavant de l’élevage de notre bétail, mais la sécheresse les a emportés. La faim nous a mené ici. Mon mari souffre de problèmes de santé mentale et nous avons dû le laisser au village.”

Inutile d’imaginer ce que la violence climatique signifie. Cela se passe sous nos yeux. Les suicides d’agriculteurs en Inde (dont près de 60,000 liés aux changements climatiques) en sont les témoins. Pas besoin d’allégories ou de métaphores pour expliquer ce que cela signifiera. Nous le vivons déjà. Et parce qu’il y a une limite au niveau d’adaptation que nous pouvons assurer, pour certaines régions qui vivent déjà l’horreur de l’occupation, de la guerre, de la pauvreté, et du “mauvais développement”, comme l’Afghanistan, les changements climatiques sont une sentence capitale.

Et même dans les pays soit disant développés, qu’on pense isolés de ces impacts dramatiques, on commence à observer les signes de faillite face au stress des ondes de chocs climatiques. En Espagne, de nombreuses municipalités font face à une cinquième année consécutive de sécheresse. Les nappes phréatiques s’assèchent et les rivières sont constamment en état d’urgence, leurs niveaux chutant de manière dramatique.

Au nord ouest de l’Irlande, 63% des précipitations moyennes du mois d’août sont tombées sur une période de huit à neuf heures, causant des inondations majeures dans le compté de Derry, ainsi que dans de vastes étendues rurales des deux côtés de la frontière irlandaise.

Les réserves d’eau potable ont dû être testées, les inondations ayant infiltré une décharge illégale contenant 1 million de tonnes de déchets domestiques et commerciaux. La plupart des partis politiques de Belfast et Dublin demeurent résolument engagés à éviter la mention des changements climatiques où même d’une quelconque responsabilité étatique.

Au Yémen, des pluies torrentielles dans l’Ibb et le Taiz ont dévasté les habitations et emporté la vie de 15 personnes. En Argentine, plus de vingt millions d’hectares sont sous les eaux, menaçant gravement les secteurs de l’agriculture et de l’élevage du pays. Au Niger, les inondations dans la capitale de Niamey ont détruit des centaines d’habitations, et tué deux personnes. Dans l’état du Benue, une crise humanitaire se prépare alors que les inondations ont déplacé 100,000 personnes, submergeant 3000 foyers. Au Soudan, de fortes pluies dans l’état d’Al-Jazirah ont causé des dégâts similaires à de nombreuses propriétés.

Il y a une corrélation claire et directe entre les inondations que nous avons pu observer en août et les changements climatiques causés par plusieurs centaines d’années d’industrialisation. A la lueur de l’évènement majeur de ce mois-ci, l’Ouragan Harvey, nous avons une nouvelle opportunité de comprendre ce lien de corrélation comme l’explique bien The Atlantic:

“Alors que le climat de la Planète change, nous pouvons nous attendre à une multiplication des ouragans destructeurs. Alors que le niveau des mers et les températures des eaux de surface continuent de croître, une quantité plus importante d’énergie solaire est piégée dans l’atmosphère, accélérant le cycle d’évaporation et de précipitation de l’eau, ce qui se manifeste parfois par des tempêtes terrifiantes. On y ajoute le développement rapide et parfois négligé des zones urbaines sur des modèles, disons, pas toujours motivés par la planification à long terme, la gestion du ruissellement et la sécurité des quartiers.”

Harvey s’est abattu sur le Golfe du Mexique en déversant 9 trillion de gallons d’eau sur le Texas, causant des inondations généralisées et au moins 20 morts. Dans un état qui se trouve aussi être un pionnier de l’industrie pétrochimique des Etats-Unis et de toute la toxicité que cela implique, un ouragan de catégorie 3 a la dimension ajoutée de causer une vaste quantité de pollution à long terme.

Alors que beaucoup de commentateurs se sont empressés d’annoncer que des ouragans s’étaient déjà abattus sur la région, ils oublient un point essentiel que même le New York Times a relevé: les dérèglements climatiques changent la donne, ils augmentent les probabilités, et chargent l’atmosphère d’incertitudes. Pour faire court, les dérèglements climatiques sont la différence entre de fortes précipitations et un ouragan.

L’Ouragan Harvey a inondé la ville de Houston. Photo: Richard Carson, Reuters

Comme nous avons souffert à le signaler, la violence climatique arrive quand les conditions climatiques rencontrent les privations sociales. Cela se vérifie autant dans le sud des Etats-Unis qu’en Sierra Leone. A Houston, l’étendue des zones à risque a considérablement augmenté ces dernières années, les inondations devenant des phénomènes plus communs.

Des enquêtes récentes ont tenté d’avertir de la vulnérabilité de la ville, la qualifiant de “proie facile pour le prochain ouragan majeur.” Pourtant, malgré la vulnérabilité de Houston comme de nombreuses autres villes américaines, dans la semaine précédant Harvey, l’administration Trump faisait marche arrière sur les mesures de protection contre les inondations. Par la suite, alors que la destruction s’abattait sur le Texas, la police des frontières a déclaré qu’elle garderait les points de contrôles d’immigration ouverts — causant l’inquiétude sur le risque que les sans papiers préfèrent rester en situation dangereuse afin d’éviter d’être arrêtés en fuyant la tempête.

L’indifférence avec laquelle Trump a répondu aux ravages de Harvey n’a eu d’égal que le degré d’amnésie dont il a fait preuve. Prenant la parole lors du douzième anniversaire de l’Ouragan Katrina, il a déclaré: “nous n’avons jamais vu quoi que ce soit de similaire à Harvey.” Il aurait aussi bien pu oublier que son vice-président, Mike Pence, avait à l’époque pris position contre l’envoi de fonds en aide aux victimes de Katrina.

Dans certains recoins d’internet, il est apparemment de bon goût de noter sans sourciller que 1,500 décès en Asie du Sud ne font pas vraiment la une alors que les impacts de l’Ouragan Harvey — parce qu’il s’est abattu sur les Etats-Unis — ont tourné en boucle sur les chaînes d’information.

Bien que le centrisme américain soit une triste réalité de notre monde, que nous essayont ici de contrer, nous devons aussi attaquer les fausses dichotomies et nous méfier des lamentations de personnes qui voudraient que nous restions isolés dans nos souffrances plutôt que d’exprimer une réelle solidarité entre victimes d’un même système qui s’acharne à nous exploiter, et à exploiter la nature qui nous entoure. C’est précisément dans ces moments là que nous devons nous replier sur des notions simples mais profondes de compassion, comme de camaraderie et de solidarité, car nous sommes tous connectés.

No [hu]man is an island,
Entire of itself,
Every [hu]man is a piece of the continent,
A part of the main.
[…]
Any [hu]man’s death diminishes me,
Because I am involved in [hu]mankind,
And therefore never send to know for whom the bell tolls;
It tolls for thee.
— John Donne

Comment aider

Nous voudrions tous nous aider si nous le pouvions. Les êtres humains sont ainsi faits. Nous voulons donner le bonheur à notre prochain pas lui donner le malheur— Charlie Chaplin

C’est une tendance naturelle de l’homme que de vouloir s’entraider, mais en temps de crise la tâche peut paraître accablante. Où commencer? Nous ne sommes pas là pour vous dire ce qui est le plus sensible pour vous et votre communauté mais plutôt pour dire que s’il reste nous une infime chance d’éviter la fin du monde, ce sera en nous rassemblant et en prenant des actions collectives audacieuses pour transformer nos systèmes énergétiques, d’agriculture, politiques, et économiques. Dans les prochains jours nous partagerons des exemples de communautés et mouvements qui le font déjà, pour nous inspirer. En attendant, nous partageons une liste courte et non exhaustive de groupes communautaires de soutien auxquels vous pouvez faire des dons.

Vous pouvez effectuer des dons en faveur des communautés affectées par les coulées de boue en Sierra Leone ici et ici.

Vous pouvez effectuer des dons en faveur des communautés affectées par la sécheresse au Kenya, en Ethiopie, et en Somalie ici.

Vous pouvez effectuer des dons en faveur des communautés affectées par les inondations au Népal, au Bangladesh, et en Inde ici et ici et ici et ici.

Vous pouvez effectuer des dons en faveur des communautés affectées par l’Ouragan Harvey ici et ici et ici et ici.

L’envie a empoisonné leurs esprits.

Contes de mauvais gouvernements et de mauvaises industries dans un monde qui se réchauffe

Allégorie et effets du Bon et du Mauvais Gouvernement, fresque de 1339 par Ambrogio Lorenzetti.

“Le malheur qui est sur nous n’est que le produit éphémère de l’avidité; de l’amertume de ceux qui ont peur des progrès qu’accomplit l’humanité.”

A moins que vous ne soyiez un géographe ou un lecteur assidu du Monde à 1°C, il est assez probable que vous appliquiez le terme de “catastrophe naturelle” aux évènements tels que l’Ouragan Harvey, les glissements de terrain en Sierra Leone qui ont emporté 1000 vies, ou tout autre inchiffrable choc climatique subit le mois dernier.

Le fait est que rien n’est moins naturel:

“Dans chaque phase et aspect d’une catastrophe […] les contours de la catastrophe, et la différence entre ceux qui vivent et ceux qui meurent, est à plus ou moins grande échelle un calcul social.”

Cela s’applique aux événements qui se produisent indépendamment de l’activité humaine, comme les éruptions volcaniques, mais quand il s’agit de sécheresses, de tempêtes, d’inondations, et de famines (et même dans certains cas de tremblements de terre) causés par le dérèglement climatique ou l’industrie extractive, le terme de catastrophe naturelle dissimule non seulement une réalité sur la différenciation des impacts, mais aussi une réalité sur le lien de causalité.

ExxonMobil, par exemple, connaît depuis des décennies les conséquences climatiques de son existence. Et ExxonMobil a menti sur ces connaissances avec une telle nonchalance que désormais même ses ex-employés poursuivent la compagnie en justice (tout comme les communautés californiennes touchées par le réchauffement climatique). Un article publié ce mois-ci a pour la première fois analysé l’ensemble des communications d’Exxon sur les changements climatiques. Il en conclut que la compagnie connaissait les faits grâce à ses propres scientifiques, et a malgré tout continué à encourager le doute et la confusion sur le sujet (y compris en payant des rédactions dans la presse libérale comme au New York Times).

ExxonMobil, qui a désormais un pied à la Maison Blanche via le Secrétaire d’Etat Rex Tillerson, s’est également vu dédouané à maintes reprises par les autorités. Un exemple emblématique récemment publié dans The Intercept explique comment la compagnie a continué à empoisonner des communautés noires pendant des décennies à Beaumont, au Texas, en rejetant des millions de tonnes de produits chimiques toxiques dans l’air en raffinant du “pétrole brut corrosif”. Ces communautés, où les gens souffrent de taux élevés de chute capillaire, d’anomalies congénitales, d’asthme, et de cancer, ont tenté d’appeler l’EPA — l’Agence de Protection de l’Environnement — à agir (la raffinerie ayant enfreint la loi à plusieurs reprises) sans succès pendant 17 ans. Ceux qui pouvaient se le permettre ont déménagé. Ceux qui ne pouvaient pas continuent de vivre dans l’ombre des cheminées d’Exxon, qui se dressent en monuments à l’avidité et à l’indifférence face à la souffrance humaine.

La “logique” de marché d’écoblanchiment du capitalisme veut que les corporations payent les conséquences de leurs actes quand elles — par exemple — ruinent la vie des gens. On est cependant bien loin de la réalité. L’année dernière, la raffinerie d’Exxon a illégalement déversé près d’une tonne de monoxyde de carbone, d’oxyde de sulfure, de dioxyde d’azote, et de sulfure d’hydrogène dans l’atmosphère. Ils ont reçu une amende de $7001. Et même quand les compagnies reçoivent des amendes bien plus conséquentes — comme fut le cas d’Exxon quand l’un de ces oléoducs en décrépitude a explosé en 2013, inondant les communautés de l’Arkansas de 200,000 gallons de sables bitumineux — elles font souvent appel de ces décisions, comme fut le cas d’Exxon.

Si par miracle une condamnation est maintenue, les corporations se permettent parfois d’ignorer royalement le jugement, comme semblent le faire ces 3 compagnies en Indonésie. Malgré la condamnation à des peines qui se chiffrent en milliards de dollars, le gouvernement indonésien a été incapable de collecter les sommes. Alors que les corporations brassent des milliards en exploitant les réserves en minerais et les forêts précieuses d’Indonésie, les communautés qui se dressent sur leur chemin sont laissées dans la misère, ravagées par les mercenaires de l’industrie et les forces militaires étatiques.

Conscientes de la (mauvaise) publicité que cela entraîne, les corporations prennent garde à assurer leurs arrières à coup de “responsabilité sociale des entreprises” et autres phrases vides de sens, qui sonnent bien mais ne veulent pas dire grand chose en pratique. Dans un cas qui fait écho au scandale d’Exxon Mobil, Monsanto a récemment été pointé du doigt dans les Poison Papers pour avoir fabriqué et vendu un produit chimique industriel toxique connu sous le nom de PCB, pas loin d’une décennie après avoir pris conscience, par source scientifique que:

“Les preuves de la persistance de ces composés chimiques et leur présence universelle dans l’environnement sont indiscutables.”

En plus de dissimuler l’impact sur la santé des ses produits contenant du PCB, de nouveaux documents révèlent que Monsanto a également conspiré avec un cabinet de conseil pour rédiger un prétendu rapport des impacts sur la santé de son herbicide phare, le Roundup. Monsanto a depuis tenté de retirer les documents de la toile, hors de vue.

Ce que ces exemples montrent c’est qu’il est clair que les souffrances imposées à l’homme par les systèmes sociaux, politiques, et économiques dominants ne sont ni naturelles ni innées. La souffrance des gens est modelée. Et ceux qui créent ces modèles portent des noms comme Exxon et Monsanto.

La plupart du temps, les gouvernements ne peuvent pas tenir ces corporations responsables parce qu’ils leurs sont redevables. En Australie, par exemple, le gouvernement fédéral commence à céder à une longue campagne de lobby l’industrie minière, et va s’attaquer aux concessions fiscales des organisations de défense de l’environnement, supprimant le soutien à toute activité autre que la restauration environnementale.

Pendant ce temps là, un lobbyiste d’Adani se porte ‘volontaire’ pour supporter la campagne de réélection du gouverneur en faveur du prêt d’un milliard de dollars d’infrastructures publiques pour lequel Adani rivalise. Alors que la construction de la mine est ralentie par des procédures judiciaires initiées par les Peuples Indigènes Wangan et Jagalingou, deux précédents procès ont été rejetés par la cour fédérale la semaine dernière, et Adani a déclaré qu’elle commencerait la construction des infrastructures le mois prochain.

Ce mois ci, alors que la Vallée de la Mort enregistre son mois le plus chaud, et alors qu’un rapport fédéral sur le climat montre que les températures des Etats Unis ont dramatiquement augmenté sur les quatre dernières décennies, l’administration de Trump a formellement notifié sa sortie des Accords de Paris. L’idée que de telles décisions soient prises au bénéfice des travailleurs américains est tout simplement risible: l’industrie éolienne est le secteur d’emploi qui se développe le plus rapidement aux Etats Unis.

Au Brésil, la situation continue d’empirer après le renvoi du Président Rousseff l’an dernier. Depuis que le nouveau Président Temer est au pouvoir, les autorités industrielles et étatiques sont plus proches que jamais. Temer lui même fait l’objet d’une enquête de corruption impliquant la compagnie Petrobras.

Depuis que Temer a pris le pouvoir, le Brésil a ouvert des milliers de kilomètres carrés de la Renca — une gigantesque réserve amazonienne auparavant protégée — à l’exploitation minière, dans ce que les activistes ont appelé la ‘plus grande attaque’ contre l’Amazonie des 50 dernières années. Et c’est à un moment critique pour l’Amazonie, une récente étude sonnant l’alarme sur le besoin urgent d’efforts sociaux-environnementaux et d’une meilleure application de la loi pour combattre l’exploitation illégale de l’or dans l’Amazonie Péruvienne. Une telle exploitation requiert une déforestation à très grande échelle: ce mois ci les scientifiques ont déclaré que l’exploitation de l’or est responsable de la perte de 4,437 hectares de forêt par an depuis 1999.

Que ce soit l’or ou l’or noir, le pillage des ressources de l’Amazonie a des répercussions dans le monde entier — l’Amazonie est considérée comme les “poumons de la planète”. Si on met de côté les coûts économiques et environnementaux (on estime que le coût du nettoyage des quelques sites pétroliers contaminés au Pérou dépasse les 1 milliard de dollars), les impacts humains immédiats de la destruction en cours sont à peine imaginables. Plus tôt dans l’année, le journal péruvien El Comercio rapportait que les colonies établies autour des mines d’or illégales de l’Amazonie étaient des centres de torture et trafic sexuel, y compris d’enfants.

Evidemment, cette branche moderne de l’extractivisme est liée par la source à la conquête historique des Amériques. L’histoire familière d’une culture cupide cherchant à effacer “d’autres” cultures, ontologies, et modes de vies, a fait l’objet de nouveaux visuels ce mois ci, avec une carte qui montre comment l’extractivisme qui se développe en Amazonie — par des barrages, des routes, et l’exploitation de pétrole et de gaz — encercle les communautés Indigènes isolées. L’élevage bovin illicite est responsable pour 23% du déclin des forêts en Amérique Centrale; l’exploitation minière menace 89 communautés Afro-Équatoriales, représentant plus de 80,000 personnes; et l’exploitation du charbon continue à dévaster les communautés Indigènes Wayuu et d’ascendance africaine dans la région de La Guajira en Colombie, où le gouvernement national a officiellement approuvé l’exploitation du gaz de schiste par la fracturation hydraulique — le ‘fracking’ — contre le gré de nombreuses communautés.

La cupidité se manifeste sous bien des formes. Au Honduras, les populations Garifunas ont été poussées hors de leurs terres par le tourisme alors que le gouvernement établit des “zones de libre échange” pour inciter les compagnies étrangères à construire des complexes hôteliers pour les touristes Canadiens et Américains. Au lieu de respecter la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Indigènes, de nombreux États continuent de soumettre les communautés autochtones — et en particulier les femmes autochtones — au racisme, aux impacts des projets de développement destructeurs, et à la violence paramilitaire. Les Etats nient aux Peuples Indigènes l’égal accès aux services et, par dessus tout, l’accès et la propriété sur leurs terres.

Cette question des droits de propriété des Peuples Indigènes est centrale à de nombreux mouvements sociaux récents qui nous inspirent. Du Chiapas, où les communautés Zapatistes ont montré au monde entier ce à quoi une alternative peut ressembler, à la Bolivie, où en 2006 le pouvoir légitime du peuple a permis à Evo Morales d’accéder à la présidence; les suppositions posées par le “développement” capitaliste ont soudainement été remises en question et une nouvelle vision de la relation entre l’homme et son environnement a été articulée par les mouvements populaires qui visent à confronter le néolibéralisme.

Cette défiance envers l’ordre établi donne de l’espoir, pas seulement aux Peuples Indigènes du monde entier, mais aussi à tous les mouvements qui se battent pour un monde socialement juste et écologiquement harmonieux. C’est pourquoi il a été d’autant plus douloureux de voir le gouvernement Bolivien revenir en arrière sur les mesures de protection de l’Amazonie en supportant un projet de construction routière controversé, qui traverserait directement le Territoire Indigène et Parc National Isiboro-Sécure(TIPNIS).

Morales a balayé d’un revers de main l’opposition infatigable à ce projet en la qualifiant de “colonialisme environnemental.” L’usage de ce terme laisse un goût amer qui n’est pas nouveau — c’est exactement le genre de militantisme environnemental pour lequel nous n’avons pas de temps. Mais cela laisse transparaître son inquiétude à l’idée que les voix dissidentes dans les communautés Moxeños, Yurakarés, qui seront plus marginalisées encore par le projet, afin d’ouvrir la voie aux plans d’infrastructures néolibéraux, puissent être les plus fortes.

“Evo Morales ne défend pas Mère Nature, ou les peuples indigènes. Il soutient l’extractivisme et le capitalisme. Nous savons que cette route est synonyme de destruction de notre territoire, nous n’avons besoin de personne pour nous le dire.”

Les raisons de contestation du projet sont aussi nombreuses qu’évidentes; la conséquence inévitable est un accroissement de la déforestation et de l’accaparement des terres, mais aussi l’arrivée de nouveaux projets d’extraction de pétrole et de gaz. Le gouvernement bolivien a d’ailleurs d’ores et déjà passé plusieurs lois en faveur de l’ouverture de nouvelles régions à l’exploitation d’hydrocarbures.

Mais ce serait passer à côté du problème que de se concentrer uniquement sur la destruction engendrée par la cupidité comme c’est le cas en Amazonie. A l’échelle globale, les gouvernements dépensent en moyenne 6.5% du PIB annuel, environ 5 trillions de dollars, en subventions pour l’industrie des hydrocarbures, bien que de nombreuses études suggèrent qu’une transition en faveur du renouvelable serait bien plus facile que ce qu’on pensait. Une récente étude affirme ce mois ci que l’énergie renouvelable pourrait produire de l’énergie pour 139 pays et générer 24 millions d’emplois.

Au même moment, une autre étude révolutionnaire sur l’économie des énergies fossiles montre que nous sommes désormais au delà du point de basculement, les coûts de production continuant d’augmenter alors que les retours sur investissement chutent. Pour faire simple, l’extraction d’une petite quantité d’énergie requiert des quantités d’énergie toujours plus importantes. L’étude continue en affirmant que la croissance économique en terme de PIB “ne peut plausiblement pas être découplée de la croissance dans l’usage des matières et de l’énergie, démontrant catégoriquement que la croissance du PIB ne peut pas être maintenue indéfiniment.”

Nafeez Ahmed analyse cette étude de la sorte:

“Le 21ème siècle représente la fin de l’ère de l’expansion économique industrielle, initialement introduite par les innovations technologiques rendues possibles par l’abondance des sources d’énergie fossile.”

Les gouvernements comme le Royaume-Uni continuent à traîner des pieds quand il s’agit de projets d’énergie renouvelable, mais font tout ce qu’ils peuvent (y compris aller devant les tribunaux) quand il s’agit de projets d’extraction d’énergie fossile inutiles et indésirables comme à Preston New Road dans le Lancashire. Beaucoup de gens bénéficieraient largement d’un système énergétique propre et démocratique, alors que seule une poignée tire les bénéfices du système actuel. Comment alors expliquer l’endurance de ce système, si ce n’est par la cupidité qui empoisonne non seulement nos esprits, mais nos vies entières?

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Global justice writings on the climate crisis and the struggles for a dignified life