Agence, je t’aime beaucoup, mais je te quitte.

Mickaël David
Think digital
Published in
6 min readApr 22, 2017

J’ai longtemps travaillé à tes côtés.
Ton dynamisme, ta créativité, tes équipes jeunes et motivées font de toi un lieu unique et inspirant. Tu m’as donné de nombreux moments de joie, de franches rigolades. De doutes aussi et de réelles souffrances.
Mais j’ai surtout appris avec toi ce qu’était la liberté, de s’exprimer, de créer.

Alors voilà.
Peut-être est-ce moi, peut-être est-ce toi ?
J’aurais adoré passer un peu plus de temps à tes côtés, mais il devient trop compliqué de faire correctement mon métier de Designer avec toi.

Tu t’es un peu perdue

Tu ne sais plus trop qui tu es.
Ce que tu fais, pour qui tu le fais.
De la com ? Du marketing ? De l’engagement ? Du R.O.I ?
Le tsunami digital est venu balayer tes certitudes en quelques années. Tout va plus vite, tout est plus compliqué.
Alors, tu clames haut et fort que tu sais tout faire : design, publicité, CRM, eCommerce, innovation… Encore mieux, tu es devenue spécialiste de la “transformation digitale”, toi qui n’a toujours pas vraiment entamé la tienne.
En attendant, il faut bien manger, et pour cela tous les projets sont bons à prendre, même si cela brouille au passage la compréhension de ton savoir-faire.

“- Ah bon ? L’agence WebSuper, ils font de la pub aussi ?
- Je crois. Ils font un peu de tout en fait.
- Ah, d’accord… ”

Tu surfes sur les tendances et les buzzwords, essayant en vain de montrer à qui veut l’entendre que tu es dans le coup, exhibant le dernier grand prix gagné pour prouver que c’est vrai. Mais il suffit de gratter un peu le vernis pour se rendre compte que ce n’est souvent qu’un habillage fragile destiné à camoufler le fait que tu as du mal à repenser ton modèle.

Ton business model est mis à mal

Car cette course effrénée après le chiffre d’affaire traduit une crise plus profonde, celle de ton business model. Avec le digital, tu as tenté pendant des années de reproduire celui qui te faisait vivre au temps de l’âge d’or de la publicité, mais tu t’es rapidement fait chahutée par un grand nombre d’acteurs, du plus important au plus petit. Entre les grands cabinets de conseil qui proposent souvent des visions de l’innovation beaucoup plus pertinentes et les petits studios experts, dont les coûts de structures sont nettement moins importants, la concurrence est partout : elle ne compte pas ses heures ni ses taux horaires, on la retrouve à l’autre bout du monde, ou plus proche, en province, auprès des freelances et autres auto-entrepreneurs.

On te maltraite

Il t’arrive parfois de te poser pour réfléchir sur tes fondamentaux et revoir ta façon de travailler, mais l’urgence client balaye la réflexion. Une course haletante, épuisante, où tous les coups sont permis, quitte à casser encore et toujours les prix.

“- 20 K€ pour faire un site eCommerce ?
- C’est pas grave, on prend, comme ça on met un pied chez le client pour faire d’autres projets…”

Mais voilà, quand on se sous-vend, on ouvre en grand la porte du low-cost et on autorise le cercle vicieux de la paupérisation s’installer peu à peu. Du coup, lorsque tu essayes de pratiquer des tarifs “normaux”, le client ne comprend pas cette augmentation soudaine, et n’hésite pas à te remettre en compétition pour garder des coûts encore plus bas.

A force d’accepter toutes les conditions de travail imposées par ton client, tu t’affaiblies, tu te rabaisses. En face, les équipes marketing et communication en profitent pour en demander encore et toujours plus, tout en payant encore et toujours moins. La valorisation de ton expertise est souvent bafouée, et tu as parfois du mal à justifier tes idées, ou le temps mis pour réaliser tel ou tel projet. Ce rapport de force a un coût, celui de tes équipes, qui souffrent au quotidien : travail nocturne, réunions désagréables, multiples frustrations. Des conditions de travail qui ne facilitent pas la créativité, et surtout qui n’incitent pas les meilleurs à rester dans tes rangs.

Tes équipes sont fatiguées

D’ailleurs, tu chouchoutes tes plus brillantes recrues, en leur proposant… pas grand-chose finalement, si ce n’est de vagues promesses d’augmentations “quand ça ira mieux”. Malheureusement, tu sais que cela va être dur de les garder longtemps, car au-delà du maigre package, ils doivent travailler dans des conditions souvent difficiles, et surtout, ils doivent côtoyer au quotidien différents types d’individus peu motivants :

Les impostures :
Héritage encombrant d’une époque révolue, où une simple idée suffisait pour gagner de l’argent, ils sont souvent très voyants, très bruyants. Ils racontent à qui veut bien l’entendre leur dernier cocktail dans les locaux de Google, ou arborent fièrement le nombre de retweets d’une bonne vanne sur le dernier GoT. Mais quand il s’agit ne serait-ce que d’écrire un seul slide pour une présentation client, il n’y a plus personne. Alors, bien sûr, ils promettent, mais bottent en touche le plus souvent pour sous-traiter, plus ou moins discrètement, et ne réapparaissent que le jour J pour s’arroger le travail. Un classique.

“Quand il s’agit ne serait-ce que d’écrire un seul slide pour une présentation client, il n’y a plus personne.”

Les digital less :
Ils travaillent dans un milieu où le web est omniprésent, mais sont des utilisateurs laborieux de tous les outils en ligne. Mettre en place un tableau Excel clair et performant prend cinq fois plus de temps que pour le reste de l’équipe. Idem pour une présentation Powerpoint, dont le résultat fait souvent mal aux yeux : 4 masques différents venant de 4 copiés-collés différents, typos non alignées, couleurs par défaut ou très mal assorties. Le digital less devient encore plus problématique pour toi quand il doit manager une de tes équipes, car la maîtrise des outils numériques est pour les Millenials un élément basique de respect hiérarchique.

Que faire alors ?

Il y a sûrement beaucoup de choses à faire.
Il faudrait revoir l’organisation, les manières de travailler, les outils, les lieux de réflexion, les expertises des équipes. Beaucoup de choses en fait.

Il faudrait se transformer avant de vouloir aider les autres à se transformer.
Il faudrait ne plus se faire malmener par des clients qui sont aussi paumés que toi. C’est toute la relation client qu’il faut faire évoluer, à commencer par ne plus accepter les conditions d’attribution des budgets, ces fameuses compétitions qui demandent un investissement colossal, dans l’unique but de passer le grand oral de la séduction. Dans le cas du design d’expérience, il n’est plus question de “Wahou effect”, mais bien d’apporter une solution élégante et efficace à un problème client, ce qui implique un suivi sur le long terme des projets créés.

Comme beaucoup j’ai tenté.
J’ai proposé, agi. Longtemps.
Mais nous avons tous les défauts de nos qualités, et si tu es effectivement très sensible à l’innovation et à la nouveauté, tu n’arrives pas à l’appliquer à toi-même. Car, malheureusement, on n’apprend pas à pivoter en école de commerce, et à l’école tout court, alors que c’est la clé de l’adaptation à l’époque des grands changements.

“Malheureusement, on n’apprend pas à pivoter en école de commerce, et à l’école tout court.”

Je te souhaite bon vent, et bon courage dans cette nouvelle ère, je sais que j’aurais toujours un oeil sur toi et que tu me feras toujours vibrer avec tes belles histoires.

Bisous.

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Mickaël David
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French Designer // Planet Activist // Anticipation Writer // Video games & Music lover.