L’impossible transformation digitale

Mickaël David
Think digital
Published in
5 min readNov 30, 2015

En 2015, il était difficile de passer à côté. [edit : 2016, 2017 …]

La transformation digitale était de toutes les conférences, de tous les colloques, de toutes les tables rondes, draînant un nombre impressionnant d’entreprises perdues dans la digi-jungle, à la recherche d’un nouveau souffle, motivée par une nouvelle peur 2.0, celle de disparaître, ou même pire, celle de se faire remplacer. Quel désaveu ultime que celui de se faire doubler par la droite sur son propre terrain par de jeunes pousses d’une dizaine de personnes dont l’âge moyen ne dépasse pas trente ans. Une panique palpable dans les médias, et brillament marketée par le désormais inévitable néologisme “Überisation”. Une véritable révolution Darwinienne a lieu sous nos yeux, prédisant la fin de tous ceux qui préféreront se draper dans le déni.

“ Il apparaît alors comme une évidence : il y a un vrai problème de fond. ”

Seulement voilà, après des années à s’émerveiller sur les possibilités qu’offre le digital et à tenter de les appliquer, beaucoup d’entreprises se sont rendues compte que quelque chose n’allait pas : rien ne marchait vraiment comme prévu, ou du moins, comme le prédisaient les web-gourous. Loin des grandes promesses de croissance et de fidélisation, le digital est devenu pour beaucoup synonyme de difficulté de mise en place, de résultats décevants, de moqueries sur la toile…

Il apparaît alors comme une évidence : il y a un vrai problème de fond.
A vrai dire, il y en a plusieurs : problème d’organisation, de process de décision, de méthodes de travail, de talents. De presque tout en fait.

Il faut donc se transformer. S’adapter.
Malheureusement, de gigantesques freins viennent compliquer l’affaire :
le coût, la culture et le temps.

Le coût

C’est le frein le plus évident. En plus de devoir consolider son métier historique, notre entreprise en cours de transformation doit être capable d’avoir une trésorerie suffisante pour investir massivement dans le digital et l’innovation, mais aussi dans le renouvellement de ses équipes.
Un investissement impossible pour beaucoup, et seuls les groupes les plus solides peuvent aligner un budget confortable, à l’instar d’Axa et de ses quasiment 1 Milliard d’euros entre 2013 et 2015.

Autre point, l’investissement est tel que l’entreprise exige le plus souvent une rentabilité immédiate. Malheureusement, peu de projets innovants sont rentables le premier jour, voire même la première année, et beaucoup d’entre eux finissent rapidement dans un placard numérique, sacrifiés sur l’autel d’une logique comptable implacable.

La culture

C’est un terme un peu générique qui englobe les différentes actions à mettre en place pour que l’entreprise passe du modèle 1.0, centré sur la marque et la communication, à un modèle 2.0, centré sur la data, l’utilisateur et l’itération.

Pour cela, il faut dans un premier temps être capable d’attirer de très bons professionnels du web, ce qui est loin d’être évident quand :

  1. les recruteurs eux-mêmes ne comprennent pas ces nouveaux métiers
  2. la marque employeur ne fait pas rêver
  3. les packages proposés ne sont pas à la hauteur

“ L’entreprise [doit passer] du modèle 1.0, centré sur la marque et la communication, à un modèle 2.0, centré sur la data, l’utilisateur et l’itération. ”

Ensuite, il faut être en mesure de manager tout ce petit monde, ce qui n’est pas une mince affaire, car ces professionnels ont une vision moderne de l’entreprise, avec une pyramide très aplatie, une chaine de décision très courte et veulent une grande agilité à toutes les étapes. Une vision souvent en décalage avec celle d’un board qui a toujours imprimé son rythme à l’entreprise.

Pour l’aider dans cette transformation, l’entreprise peut se doter d’un CDO (Chief Digital Officer), mais une seule personne ne suffit pas pour changer toute une culture, et certains d’entre eux s’en rendent vite compte

Le temps

C’est peut-être l’ennemi numéro 1 des entreprises en cours de transformation. Quelque soit le budget, il y a un temps incompressible de recrutement de talents, de modification de culture, de process, de gain en maturité digitale… Les entreprises que j’ai pu croiser ces dernières années ont toutes le même discours : c’est en cours, mais c’est long.
Malheureusement, les utilisateurs n’attendent pas, et se tournent dès aujourd’hui vers les services déjà pleinement opérationnels. Quand notre entreprise transformée sera en mesure de proposer des services équivalents, il sera trop tard : l’utilisateur sera captif de ses premiers choix, ayant déjà ses habitudes d’utilisation, un historique de données, et au final, une préférence de marque.

“ Malheureusement, les utilisateurs n’attendent pas, et se tournent dès aujourd’hui vers les services déjà pleinement opérationnels. ”

Utilisera-t-il encore un taxi G7 ? (Chauffeur privé / Über)
Utilisera-t-il encore une carte Michelin ? (Google Maps)
Regardera-t-il encore des films sur Canal+ ? (Netflix)
Achètera-t-il encore des livres ou des BDs à la FNAC ? (Amazon)
Louera-t-il encore une chambre chez AccorHôtels ? (AirBnB)

La liste s’allonge de jour en jour, et très peu d’entreprises historiques n’arrivent réellement à contenir la déferlante. Et comme nous l’avons vu précédemment, la question se pose concrètement : peuvent-elles y arriver ? Peuvent-elles gérer à la fois la création d’un nouveau business model, tout en manageant les équipes déjà en place, ceci en un temps record pour pouvoir concurrencer les start-up ?

En d’autres termes, pour beaucoup d’entreprises historiques, la transformation digitale n’est-elle pas, finalement, qu’une béquille servant à ralentir leurs déclins ?

Après 10 ans à travailler sur le digital, à échanger avec les annonceurs, à voir leurs évolutions, à voir celles des start-up, j’en arrive à ce difficile constat. Il paraît clair que les prochaines années vont voir l’effondrement rapide de certaines institutions, emprisonnées dans leurs modèles, engluées dans une masse salariale peu encline au changement. Pour celles qui auront réussi, non sans mal, leurs mues accélérées, il faudra se battre encore et toujours contre ces start-ups, qui elles, n’auront jamais rencontré de résistance lors de la colonisation de ce nouvel espace digital.

Edit :
Dans son dernier ouvrage, Jean Baptiste Rudelle de Criteo met le doigt sur cette même problématique :

“ Je rencontre parfois certains dirigeants de ces entreprises en prise avec une nouvelle concurrence inattendue. Au fond d’eux même, la plupart comprenne avec acuité ce qui se passe. Hélas, il n’y a pas de bonne solution. Adopter le nouveau modèle émergeant, à supposer qu’ils en soient capables techniquement et culturellement, reviendrait à détruire le modèle qui les fait vivre. Et personne n’a envie de creuser sa propre tombe. L’approche la plus pragmatique reste encore de continuer à extraire jusqu’au dernier euro tout le cash qu’il y a encore à se faire dans leur métier traditionnel. Parfois l’agonie peut prendre des années. Il faut l’avouer, ce programme de mort lente n’est pas très excitant pour les équipes qui gèrent la forteresse assiégée. Leur mission est de garder les feux allumés le plus longtemps possible, avant de mettre la clé sous la porte. A ce stade, les plus brillants talents de l’entreprise ont la plupart du temps quitté le navire, ce qui n’arrange pas les choses.”

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Mickaël David
Think digital

French Designer // Planet Activist // Anticipation Writer // Video games & Music lover.