Les vraies ruptures d’internet : la valeur d’usage

De l’économie réelle à l’économie numérique

Mickaël David
Think digital

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En 2010, j’ai découvert une petite vidéo qui a été le déclencheur de beaucoup de réflexions personnelles sur l’expérience utilisateur. Cette conférence de 15 min environ, donnée par Serge Soudoplatoff (ça ne s’invente pas), est un cours magistral sur les modifications profondes qu’Internet est en train d’opérer dans notre société. Loin des démonstrations parfois trop nébuleuses, la pédagogie hors pair de l’orateur permet de prendre de la hauteur sur cette révolution que nous vivons de l’intérieur, et de comprendre en quelques secondes des phénomènes qui nous entourent, et qui ont déjà une influence majeure sur nos modes de vie.

http://dai.ly/xchhe2

La valeur d’usage

Parmi les notions abordées, l’une d’entre elles me semble être un élément clé de la nouvelle économie, à savoir la valeur d’usage, qui correspond à ce que l’utilisateur est prêt à débourser pour pouvoir utiliser un service. Pour illustrer son propos, notre ami Serge explique qu’à son époque (indéfinie, mais probablement dernier quart du 20ème siècle), la valeur d’un bien répondait globalement à l’équation :

Prix = Coût + Marge

En gros, j’achète de la matière première, je la transforme, et je fixe un prix qui valorise cette valeur ajoutée, qui me permet dans un premier temps, rembourser cette matière première et dans un second temps de dégager un bénéfice.

Cette équation a été challengée avec l’apparition des services digitaux, à commencer par ceux disponibles par Minitel. Pas de matières premières, à part peut être quelques bases de données, et surtout un accès à une information pour laquelle j’étais prêt à payer, comme par exemple les cheatcodes de Rick Dangerous sur PC.

Un aperçu de ma joie après avoir fini ce foutu stage

Ah ! Le Minitel. Si vous croisez d’anciens briscards de cette époque (Niel, Simoncini pour ne citer qu’eux), tous vous en parlerons avec nostalgie. Le business model était on ne peut plus clair : je paye tant que je suis connecté et surtout, je paye ma connexion via ma facture de téléphone, ce qui était un usage communément acquis. Un Graal économique, qui a permis à la première génération d’entrepreneurs digitaux de poser les bases de leurs futurs empires. En un sens, certaines marques comme Apple essayent de reproduire cet univers fermé, pour mieux maîtriser les flux d’argent et d’information.

Shut up and take the money

Le passage au digital a été un peu plus complexe. Par essence, c’est un réseau ouvert, accessible via une connexion internet que l’on a vite payé en format illimité, sans notion de temps passé, comme l’était le Minitel. Impossible donc de ponctionner l’utilisateur directement, et il a fallut ruser pour qu’il sorte sa carte de crédit.

Les premiers sites qui ont su s’imposer auprès du grand public, tout en mettant en place un business pérenne, ont contourné le problème en proposant des services basés sur le freemium, à savoir, “je donne mon coeur de métier principal et je me rémunère à la marge, sur des services complémentaires”. Il est effectivement plus facile d’établir une valeur d’usage sur un service complémentaire que sur un service pur. Le cas d’école est bien sûr Google, qui met à disposition son moteur de recherche et se rémunère sur la publicité. Comme le souligne Serge Soudoplatoff : “Si demain Google rend l’accès à son moteur de recherche payant, Google ferme”. (C’est peut être moins vrai aujourd’hui avec leur stratégie de diversification, mais je pense que ça resterait une mauvaise idée).

Globalement, à l’époque, le paiement d’un service dématérialisé n’était pas encore très répandu (Hormis les problèmes de confiance dans le paiement en ligne), et je me souviens très bien du jour où copains d’avant est devenu payant en 2004, après 3 ans de gratuité :

“ Whhaaat ? “

A l’époque, j’avais même sorti ma plus belle plume pour leur signaler que je ne comprenais pas très bien cette modification de stratégie, preuve que j’étais choqué de devoir payer pour ce type de service.

10 ans après, il subsiste encore une réticence non négligeable auprès d’un grand nombre d’utilisateurs sur le paiement en ligne des services digitaux, mais il y a de grandes chances que le Cloud et le travail de l’UX vont petit à petit démocratiser cet usage.

Premiers arrivés, premiers servis

Aujourd’hui, je paye de nombreux services en ligne qui me permettent d’accéder à des informations spécifiques comme par exemple Spotify avec la musique. Grand consommateur de CDs dans les années 90 et au début des années 2000, j’avais stoppé net ma contribution financière à l’industrie musicale à partir du moment ou j’avais connecté l’ADSL à mon appartement.

Le challenge à l’époque pour cette start up, au delà du fait de convaincre les Majors de donner accès à leurs catalogues, a été de fixer un prix d’usage au lancement de son service, en prenant en compte différents paramètres qui n’avaient pas de précédents : comment déterminer qu’un utilisateur serait capable de payer 9,99 € par mois pour accéder à un catalogue illimité de musique ? En 2008, seul iTunes avait vraiment posé les premières briques d’un business model digital autour de la musique, en proposant l’achat au titre pour 0,99 €.

Du coup, concernant la valeur d’usage, la question se pose : Et si les Majors ne s’étaient pas bornées à essayer de lutter contre le raz de marée Internet, et avaient mis en place un Deezer like dès le début des années 2000, n’auraient-elles pas réussies à imposer une valeur d’usage bien supérieure aux tarifs actuellement en vigueur ? Nous voyons bien que dans les milieux des télécoms, les opérateurs historiques ont pu maintenanir une valeur d’usage très élevée (une des plus élevées d’Europe), jusqu’à ce que le trublion Free vienne annoncer le glas de la fête.

Rien n’est gratuit

Les services en ligne s’imposent petit à petit dans nos vies, et la conquête des plus réticents est l’un des enjeux majeurs de l’économie numérique : il va falloir faire preuve de patience et de ruse pour leur faire avaler la pillule d’une valeur d’usage pas toujours très bien comprise.

Spotify a récemment mis en place une stratégie intéressante en opérant une évolution de ces offres commerciales : le service de streaming propose aux utilisateurs la possibilité d’écouter en illimité de la musique en mode aléatoire, avec insertion d‘un spot publicitaire tous les trois ou quatre titres. Une valeur d’usage qui s’exprime autrement que par un paiement régulier, mais qui peut générer une certaine gène.

Gène qu’il n’est possible d’éviter qu’en passant en mode premium…
Rien n’est gratuit ;-)

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Mickaël David
Think digital

French Designer // Planet Activist // Anticipation Writer // Video games & Music lover.