Pourquoi est-ce si compliqué de faire simple ?

C’est vrai ça, pourquoi ?

Mickaël David
Think digital
5 min readFeb 15, 2016

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En tant qu’utilisateur d’un service digital, il nous arrive parfois d’avoir des difficultés à utiliser une fonctionnalité. Un champ mal placé, un intitulé maladroit, un contraste trompeur… Quand nous trouvons enfin le moyen d’arriver à nos fins, souvent après plusieurs allers-retours sur différentes pages à bien lire et relire les instructions, une question se pose :

Mais … Pourquoi n’ont-ils pas fait plus simple ?
Il aurait juste fallu mettre le bouton ici … Je ne comprends pas …

Et pourtant.
Même pour un professionnel du design digital, le chemin de la simplicité est loin d’être un long fleuve tranquille, et il n’est pas rare que les premières versions d’une expérience digitale soit truffée d’erreurs de conception qui nuisent au confort d’utilisation.

Qu’est-ce que la simplicité ?

Tout le monde s’approprie la simplicité alors qu’elle peut être perçue différemment d’un utilisateur à l’autre. Par exemple, une fonctionnalité va vous paraître extrêmement simple, alors qu’elle est incompréhensible pour votre voisin, votre conjoint ou votre collègue de bureau. Cette différence de perception repose sur une particularité fondamentale de la simplicité : elle est multi-contextuelle, s’appuyant sur le contexte d’utilisation, le degré de maturité de l’utilisateur et son état émotionnel

Le contexte d’utilisation

Il réunit l’ensemble des informations propres à la navigation à “l’instant t” :

  • Sur quelle page étais-je juste avant ?
  • Etait-ce une page du même site, d’un site différent, ou une page de résultat d’un moteur de recherche ?
  • Sur quel lien ai-je cliqué sur cette page ? Quelle était sa promesse ?
  • La page sur laquelle je suis maintenant est-elle bien en phase avec ma recherche, répond-elle bien à ma promesse ?
  • Me propose-t-elle des actions qui me permette de bien comprendre que j’évolue dans le bon sens ?

Le degré de maturité

Il prend en compte l’historique de l’utilisateur et sa courbe d’apprentissage de l’interactivité en général :

  • Ai-je déjà utilisé cette fonctionnalité auparavant, ou des fonctionnalités similaires sur d’autres plateformes ?
  • Suis-je aguerri(e) avec la manipulation des informations sur le web ?
  • Suis-je à l’aise avec l’ordinateur/la tablette/le mobile que j’utilise ?

L’état émotionnel

C’est de loin le plus difficile à anticiper.

  • Suis-je en situation d’achat ? Ou juste de flânerie ?
  • Suis-je stressé(e) ou pressé(e) lors de mon utilisation ?
  • Ai-je déjà un apriori sur la marque dont j’utilise le site ?
  • Suis-je sensible à l’aspect esthétique des choses ?

Concevoir une expérience digitale d’une simplicité universelle semble alors quasi impossible : lors de l’utilisation d’une interface, ces trois éléments s’imbriquent pour former un contexte global, qui est unique pour chaque personne, et qui a une incidence directe sur la perception de la simplicité d’une interface.

Créer l’utilisation

Aujourd’hui, beaucoup de designers ne prennent pas en compte ce contexte global et cherchent avant tout à faire naître un sursaut émotionnel chez l’utilisateur en proposant une interface esthétique, oubliant de prendre du recul sur l’ensemble du contexte. C’est ainsi que l’on peut parfois entendre des dialogues du genre :

- Tu es sûr(e) ? Je ne trouve pas ça très clair… ?
- Ce n’est pas grave, l’utilisateur, au bout d’un moment, il comprendra !

Eh non.
L’utilisateur, il s’en ira.

Maîtriser Sketch ou Axure est une chose. Mais les vraies qualités d’un designer sont plutôt l’observation, l’empathie et la décision.

L’observation

Que ce soit en amont ou en aval d’un projet, l’observation est souvent négligée alors qu’elle la base du design digital. Je considère aujourd’hui que l’endroit où j’ai le plus appris mon métier est derrière une vitre sans teint, à observer des utilisateurs bloqués devant des fonctionnalités pourtant si brillamment designées…
Ainsi, les phases de “User research” et de “User test” permettent de partir sur de bonnes bases pour offrir à l’utilisateur ce qu’il souhaite, et de valider ensuite que l’expérience est bien compréhensible.

L’empathie

Une fois que l’on a pris une bonne claque lors d’un test utilisateur, on se rend compte que tous nos préjugés et convictions ne font pas le poids face à la réalité implacable d’un utilisateur qui, seul devant son écran, ne dépasse pas le formulaire d’inscription. Pour paraphraser une citation de Françoise Giroud :

“ Ce n’est pas la peine d’avoir brillamment conçu tout un site si l’utilisateur vous quitte dès la page d’accueil ”

Pour éviter ces situations désagréables, l’empathie est une alliée idéale pour nous pousser à nous mettre dans la peau de l’autre. Exercice délicat, qui demande un certain entraînement, et surtout de mettre en place des outils tels que les personas, et autres parcours utilisateurs.

La décision

Une chose est sûre, la simplicité passe souvent par l’épure.
Il va donc falloir, en cours de conception, éliminer des fonctionnalités qui paraissaient intéressantes jusque-là. Choisir, c’est renoncer.
Or, trop peu de marques sont vraiment prêtes à faire cette coupe drastique, car, dans l’imaginaire marketing, la profusion de choix fait partie d’une promesse de marque premium. Aujourd’hui, c’est souvent l’inverse : il vaut peut-être mieux ne proposer qu’une seule chose, mais le faire très bien.

“ La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer. ” Antoine de Saint-Exupéry.

Autre ennemi de la décision : la multitude d’avis. Plus le nombre de personnes travaillant sur la conception d’une expérience digitale sera grand, moins elle aura de chance à converger vers la simplicité, car chacun aura tendance à mettre en avant ses priorités, c’est-à-dire son propre contexte global, en oubliant au passage celui de l’utilisateur final.

Et c’est … tout ?

Il m’est arrivé d’avoir ce genre de réactions face à une proposition de design.
Eh oui, c’est tout.
La simplicité est déroutante, car beaucoup pensent qu’elle découle d’un travail presque bâclé, contrairement à la complexité, qui est souvent respectée car elle est la démonstration qu’il faut être d’une grande intelligence pour la créer.
Malheureusement, la complexité est aussi et surtout la traduction de l’incapacité de l’équipe de conception à choisir pour l’utilisateur final les fonctionnalités essentielles, le fameux Minimum Viable Product.

Alors, apprenons à respecter la simplicité d’une expérience d’utilisation pour ce qu’elle est vraiment : un atout qu’il est très difficile à atteindre, et qui valorise votre marque à chaque étape de la relation client.

P.S. : Vous pensez vraiment que chez Apple, ils demandent l’avis de tout le monde ? ;-)

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Mickaël David
Think digital

French Designer // Planet Activist // Anticipation Writer // Video games & Music lover.