Littérature francophone indienne

by Ari Gautier

Le thinnai kreyol
Thinnai Revi
7 min readMay 21, 2021

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A view of Pondicherry in the 1970s (source: https://www.jvanderw.nl/indiatrek/08Pon/Pon.html)

2020… j’aurais dû et j’aurais pu tout gagner, car c’était l’année de tous les succès. Le rêve d’un écrivain : être reconnu. Depuis un an, lorsque je sus que le succès allait frapper à ma porte ; j’avais tout préparé. Je m’étais préparé à porter les lauriers de la gloire et parader dans les salons littéraires des quatre coins du monde. Mais, en ce mois de Mars, tout s’écroula. Étrange de parler d’une année alors qu’elle n’est pas encore écoulée, n’est-ce-pas ? Malheureusement, pour moi, elle est finie. Cette fin brusque m’a surpris dans mon sommeil pendant que j’étais occupé à rêver de succès et d’adulation. Je me réveillais en plein cauchemar. Le Salon du livre de Paris est annulé. Fini la séance de dédicace et l’opportunité de rencontrer de nouveaux éditeurs pour mes prochains ouvrages. Fini les déplacements et mes discours. Fini, la reconnaissance. Les heures qui suivent d’autres mauvaises nouvelles vont suivre. Mes deux évènements littéraires à Strasbourg sont annulés suite à la propagation du virus dans la région la plus touchée de France. Un autre évènement encore plus important sera annulé lorsque le soleil apparaîtra à l’aube. Une dizaine d’éminents universitaires des quatre coins du monde étaient prêts pour m’écouter, découvrir et disséquer mes ouvrages dans la prestigieuse école EHESS. Toute personne voyageant en dehors du territoire sera mise en quarantaine à son retour. Mes rêves furent confinés.

Littérature francophone indienne… Un phénomène encore inconnu dans le monde de la littérature et dans le monde de la publication. Pourquoi et comment les indiens écriraient- ils en français ? La présence et la culture française en Inde est quasi-inconnue ou oubliée dans le monde. Même les français ne s’en souviennent plus. Et pourtant des indiens écrivent en français…

Pondichéry, un îlot perdu dans la péninsule indienne qui, pendant des décennies fut longtemps oublié dans la mémoire du labyrinthe colonial. Endormie pendant longtemps, cette petite ville se réveille brusquement dans l’ère moderne où la classe moyenne indienne prise de frénésie consumériste se rue pour découvrir un art de vivre français. Les vestiges coloniaux sont devenus un vrai marché touristique qui attire des milliers d’indiens et d’étrangers qui veulent connaître la douceur de vivre pondichérienne. Le marché de souvenirs qui a flairé la bonne affaire redouble d’ingéniosité pour satisfaire ces touristes qui repartent les valises pleines de babioles d’Auroville, de l’Ashram de Sri Aurobindo et du temple de Manakula Vinayagar. Mais, aucun souvenir littéraire local. Lorsque je visite un pays, le plus important pour moi est de lire et d’acheter la littérature locale produite par les habitants du pays. Ceci permet de mieux comprendre les us et coutumes du pays à travers le regard d´un autochtone qui est plus intéressant qu’une version étrangère. Or, à Pondichéry, il est surprenant de constater qu’il y ait autant d’écrivains et de littératures différentes pour une si petite région. Très peu de villes en Inde peuvent se targuer de vendre des livres en français, anglais, espagnol, allemand, italien et en d’autres langues indiennes.

Ceci à cause de son caractère cosmopolite et grâce à la présence française d’Auroville où vivent des personnes de plus de vingt différentes nationalités et de l’Ashram qui représente toute l’Inde. Cette ville est une vraie aubaine pour tout touriste en quête de lecture pour peu qu’il s’intéresse à la littérature locale. Au moment où on se réjouit de ce foisonnement de littérature, on est très vite interpellé par une anomalie. Pourquoi n’y a-t-il pas d’écrivains francophones pondicheriens ? Ahurissant, n’est-ce-pas ? Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il existe très peu d’écrivains pondicheriens qui écrivent en français. Comment expliquer que cette ville qui fut le siège de la présence française en Inde pendant plus de trois siècles n’ait pas produit de littérature locale en français. Il est difficile de comprendre comment et pourquoi cette communauté franco-pondichérienne qui est française depuis trois siècles n’arrive pas à raconter son histoire et produire une littérature francophone. Pour comprendre ceci, il faut se tourner vers la présence française et l’impact qu’elle a eu sur cette communauté et la population locale.

Bien avant que les français s’installent à Pondichéry la littérature pondichérienne était connue dans la région à travers des écrivains tels que Veeraraghavan Kavi au 15e siècle, Adi Madura Kavi qui avait constitué un groupe de 64 écrivains et poètes sous le roi Thirumalai Rayan au 16e siècle et d’autres éminents écrivains.

D’après Nilakantha Sastri, l’éducation populaire n’existait uniquement dans les temples et monastères. Cela consistait à des récitations de textes mythologiques et religieux. Le village de Thirubuvanai avec son ancien temple et son Pattasalai composé de 260 étudiants et de 12 professeurs est un exemple magnifique pour illustrer ce système.

Toutefois, les marchands locaux bien versés dans le commerce local et extérieur parlaient couramment Portugais, Arabe, Tamoul et Telugu. En plus, il y avait des interprètes appelés dubash qui étaient au service de riches marchands. De ce fait, l’éducation n’était pas une priorité pour les habitants de Pondichéry, jusqu’à ce que cette responsabilité tombe sur le dos des missionnaires.

Au début, les écoles furent uniquement dirigées par les différentes institutions religieuses. Soucieuses de justice sociale, elles ont démocratisé l’éducation dans ce pays rongé par le système de caste où les basses castes n’avaient pas accès à l’instruction. Pendant cette période, bon nombre de Pondichériens écrivaient. La plupart des livres écrits et publiés sont des ouvrages académiques et religieux. De grands intellectuels voient le jour qui écrivent abondamment. Vaithilingam Pillai écrit la légende de Pondichéry, Gnanou Diagou traduit le Thirukkural en français et produit d’importants ouvrages sur la littérature tamoule, ainsi que des livres sur la justice. Savararayalu Naicker qui fut le premier fondateur de l’éducation pour les filles a écrit de nombreux livres sur la situation politique et la société pondicherienne du 19e siècle. Ainsi, la littérature pondichérienne francophone et tamoulophone atteint son apogée à cette période pour rapidement connaître un déclin désastreux.

La Troisième République déclarée en France en 1870 déploie son étendard de mission civilisatrice pour assimiler et aliéner les peuples que la France avait conquis. Le roman national s’écrit à travers le prisme de buveurs de potion magique qui obtiennent des pouvoirs surnaturels. Doté de ce pouvoir magique, la France va transformer africains, indiens, arabes, malgaches, kanaks, maoris et indochinois en fils de Gaulois. En leur effaçant l’histoire de leurs mémoires, la France s’assure en même temps de briser les ailes de leur imagination ; plus particulièrement celles des pondichériens qui perdirent tout repère identitaire. Comme un malheur ne vient jamais seul, l’acte de renonciation vient aggraver une situation qui était déjà compliquée. Le sujet colonial, en devenant citoyen de la nation est devenu un objet à exploiter. Depuis l´invasion de l’Indochine, les établissements scolaires tel que le Collège Colonial devint une usine à fabriquer des mercenaires de la République qui partaient aux quatre coins du monde pour aller administrer d’autres colonies. Le système pervers colonial avait produit une caste de sous-colons dont le seul but est de travailler dans l’administration française. Gravir les hauteurs du système administratif et se trouver une vie sécurisante devient l’ultime but du Pondichérien qui perd toute créativité. Toute une communauté, depuis trois siècles, vit au service de l’État sans repère historique, identitaire et ayant perdu tout sens artistique et créatif. La littérature dans tout cela ? Quasi inexistante. Que voulez-vous écrire lorsque vous ne possédez pas votre propre histoire. Que raconter aux futures générations quand votre imagination s’arrête aux portes d’un quelconque bureau administratif. Quelles mémoires évoquer, lorsqu´elles sont enfouies, bardées de médailles militaires dans les cimetières pondichériens. Mort pour la patrie. La mémoire pondicherienne morte pour la France !

Mais il arrive que dans ce désert littéraire, certains bédouins pondichériens arrivent à se trouver une oasis littéraire. L’ancien juge David Annoussamy, l’ancienne professeure Madana Kalyani, Venkata Subha Naiyakar, Professeur Krishnamurthy et K Madhavan écrivent de très bons ouvrages en français, sans que pour autant on peut parler de véritable tradition littéraire francophone indienne.

Alors que je luttais pour écrire ce roman sans pouvoir voyager pour accéder à diverses archives et que je commençais à désespérer, une double lueur d’espoir est apparue. Tout d’abord, j’ai cofondé Le Thinnai Kreyol, une plateforme culturelle avec Ananya Kabir, qui a repris l’idée centrale de mon deuxième roman, Le thinnai, et l’a diffusée dans le monde entier grâce à ses intérêts de recherche sur les “Indes créoles”.

Cette plateforme diffuse les histoires et les cultures créoles de l’Inde, et pas seulement de Pondichéry, elle apporte une visibilité à la culture et au patrimoine linguistique uniques de Pondichéry. Dans le cadre de cette évolution, mon roman en cours a changé de titre pour s’intituler : Pondichéry, une saga kreyole.

Deuxièmement, une grande maison d’édition française qui va publier mon recueil de nouvelles me demande de diriger une anthologie de nouvelles écrite par des indiens. Je lance immédiatement un appel sur Facebook. Et le miracle se produisit. Des personnes qui ont l’habitude de me voir dans différents événements littéraires et d’autres qui ont entendu parler de moi m’envoient des dizaines de nouvelles. En deux semaines je reçois des travaux de treize écrivains amateurs. Tout n’est pas perdu. La littérature francophone indienne existe bel et bien. Il a fallu ce confinement, pour que l’imagination enfouie depuis des siècles prenne son envol.

Ari Gautier is a French novelist from Pondicherry of Indo-Malagasy origin, based in Oslo. He writes historical fiction about Pondicherry’s place in the world. In May 2020, Ari Gautier co-founded along with Ananya Jahanara Kabir, the online cultural platform, Le Thinnai Kreyol, that promotes their shared vision for a plural, multicultural, and creolised India. He has published two novels, Le carnet secret de Lakshmi (2016) and Le Thinnai (2018), and he is currently working on his third novel, Pondichéry: une saga kreyole.

Email: gautierari@gmail.com

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