Apprendre avec ses enfants à grandir dans un autre pays

« Je ne trouve pas qu’il y ait de formule particulière à suivre pour élever les enfants. Moi je le prends comme si j’apprenais en même temps. » Une interview de Bonney qui aborde avec honnêteté le bousculement des repères, la négociation et la confiance que demande le fait d’élever ses enfants.

Tido — tell it differently !
Tido Media
7 min readJun 28, 2021

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Bonney et ses trois filles

Bonney a débarqué en France en 2014. Avec elle, trois filles qu’elle élève seule. Agée de 38 ans, elle a de la patience et des intuitions à revendre pour accompagner B. l’aînée qui a 15 ans, des talents artistiques plein les poches, M. 7 ans dont la particularité est de poser sans cesse des questions sur le sens et le fonctionnement du monde, et A. la petite dernière de 3 ans ½ qui court derrière ses grandes sœurs et « amasse » tout ce qu’elle peut engranger.

Les élever en France ? « J’ai pensé d’abord que je devais les éduquer comme on m’a éduquée, moi. Après, j’ai vu qu’il faudrait peut-être s’adapter au pays qui nous a accueillies. Enfin, je me suis dit que le mieux à faire serait de prendre tout ce qui fonctionne et marche dans les deux cultures et appliquer ça. Dans toutes les manières d’éduquer il y a des pour et des contre ! »

« Du coup j’essaie de faire un mélange ! »

« Chez moi, on ne tutoie pas une personne qui nous dépasse en âge, ici c’est encouragé, j’ai été très choquée ! »

Bonney réfléchit, pèse le pour et le contre, et définit de nouvelles règles pour ses filles :

« Quand vous vous adressez à des personnes d’ici, vous pouvez parler comme ça mais avec des personnes du pays, par exemple ma tante, quand elle vient nous rendre visite, vous ne l’appelez pas par son prénom, elle c’est Tata ! »

Mais M. n’est pas satisfaite de cette nouvelle règle qui s’impose à elle, elle ne « lâche rien » et s’interroge sur les raisons qui permettent d’appeler sa maîtresse par son nom et pas sa grand-tante ? Alors Bonney s’y colle de nouveau : «

Parce que c’est comme ça dans la culture du pays. Les adultes, on ne les tutoie pas, on ne les appelle pas par leur prénom. Elle est l’aînée, elle ne va pas comprendre et elle va mal le prendre ! »

« Si tu éduques tes enfants uniquement dans ta culture chez toi, à la fin ils vont être exposés à l’extérieur à une autre culture et ils vont être perdus. »

« Il y a plein d’exemples dans la vie de tous les jours où il s’avère qu’il faut appliquer les deux cultures ou n’en appliquer qu’une. Mais Il faut être ouvert à ce qui existe là où on est. C’est ce que je fais, je ne sais pas si c’est le mieux ? »

La nourriture ! Quoi et comment cuisiner ? Bonney navigue entre les saveurs de l’Afrique et les connaissances culinaires françaises de la cantine scolaire ! Car les filles réclament des plats qu’elles aiment bien mais qui n’évoquent pas la moindre idée à leur mère. Alors elle leur explique :

« Pour l’instant on mange ce que moi je sais faire, mais je suis ouverte à regarder sur You Tube et à le reproduire. »

C’est la solution que B. a trouvé pour ne pas se retrouver avec une tonne de nourriture du pays dans son frigo qu’elle a cuisiné en pensant que c’était bien en apport pour ses enfants. Et qu’elle ne va pas finir car sa ligne, elle y tient !

Aujourd’hui, elles me parlent comme à une copine. Ça me choque mais ça ne me fait pas mal parce que je comprends qu’on n’est plus au pays. Au pays ça aurait été différent. Si j’avais répondu à ma mère, j’aurais ramassé une baffe bien chaude !

En France, Bonney trouve la communication entre les parents et les enfants bien plus simple et directe que ce qu’elle a connu. Elle répète souvent que jamais, elle n’aurait répondu à sa mère comme ses filles s’adressent à elle.

« Mais c’est bien aussi parce qu’elles me parlent de tout, elles ne me cachent pas les choses, elles viennent me voir et me demande de leur expliquer ce qu’elles ne comprennent pas. »

C’est ainsi que B. arrive avec une interrogation importante : « Dis, si un jour j’aime une fille et pas un garçon, est-ce que tu vas l’accepter ? » La question ne semble pas déconcerter Bonney :

« Je dis ok, mais avant il y a plein de choses à te demander ? Est-ce que la copine fille tu l’aimes assez pour vivre avec ? Tu l’aimes pour l’affection ? Il faut te poser les bonnes questions avant de te dire lesbienne ou trans ? »

Bonney n’a jamais pu parler de toutes ces dimensions d’identités et d’orientations sexuelles avec sa mère, ce sont ses amies et le cinéma qui lui ont ouvert des horizons à l’aune de ses vingt ans.

« Chaque personne a sa vie à elle, on ne connait pas les problématiques que chaque personne vit, elle choisit ça parce qu’elle a le droit, parce que moi aussi j’ai choisi des choses, je ne suis pas à la place pour juger parce que je ne suis pas meilleure. »

« J’essaie de ne pas reproduire ce que j’ai pensé comme un échec et de ne pas le refaire. Je ne sais pas si c’est la meilleure des choses mais pour l’instant je fais comme ça. Si je garde ce que je pense de bien de ma culture et que je rajoute ce qu’il y a de bien en France, ça va aller. Je suis ouverte à la possibilité d’une orientation homosexuelle car ça va avec mes convictions, avec ce que je crois. Moi ce qui m’intéresse c’est plutôt le bien et le mal. Je préfère insister sur ce côté-là, sur ce que la personne fait, ses actions. Parce que si on mettait la lumière…personne n’aurait la capacité de juger personne. »

« Pour moi, les valeurs c’est l’ouverture, le fait que des enfants peuvent parler à leurs parents »

« Dans ma culture, il y a une période où on est un enfant, et on le reste. A sa place, il y a des choses qu’on n’a pas le droit de dire, pas le droit de questionner. Car nos parents savent ce qui est bon pour nous. Jamais ils ne choisiraient ce qui n’est pas bon pour nous. »

Mais Bonney n’a pas le même point de vue, les lignes ont bougé, elle a fait le tri.

« Enfant, nous sommes des personnes à part entière, nous sommes en train de construire la personne que nous allons devenir. Alors je trouve logique de commencer du plus bas, c’est-à-dire laisser la personne devenir qui elle est, la guider dans ce sens-là et ne pas lui imposer ce que nous pensons qu’il est bien. »

Bonney a revu sa copie concernant ce qu’il lui avait été transmis de la religion chrétienne. Mais elle a trouvé en grandissant que

« c’était complètement hors de la réalité. Mais je reste chrétienne avec une touche de la réalité ! Être chrétienne ça ne veut pas dire aller au paradis et vivre là-bas alors qu’on vit dans le monde, ça n’a pas de sens ! Être chrétienne, c’est accepter qu’il y ait un être supérieur à nous qui nous a créés, qui a créé le monde parce que ça n’est pas apparu de nulle part. J’y crois parce que je pense qu’il est mieux de chercher la paix et l’amour. Ne pas faire du mal, ce qu’on ne veut pas qu’on nous fasse, il ne faut pas le faire à l’autre. C’est ça la valeur qui me porte aujourd’hui et que je veux transmettre à mes filles. »

Sa mère imposait le « pas de péché, pas d’hommes tant qu’on n’est pas mariée » et ne s’interrogeait pas sur l’émergence des sentiments et émotions amoureuses. Bonney, elle se rappelle de cette période de sa vie.

« On est à une période où on sent des choses, on est attirées par des hommes, alors on fait quoi ? C’est là qu’on se trouve à faire des choses en cachette alors que si on avait parlé, j’aurais peut-être choisi d’attendre. Parce que j’aurais compris qu’il y a des risques de grossesse. Mais comme on ne m’a pas expliqué, je vais aller voir ce que c’est. Je vais y aller. »

« Quand mes filles ne comprennent pas des situations ou des conseils que je leur donne, j’essaye de leur expliquer, mais surtout je les invite à expérimenter avant de décider de ce qu’elles vont faire. Je les invite à essayer de voir. »

Bonney tisse sa toile avec ses filles et leurs environnements, le collège, l’école primaire et la maternelle. Tranquillement et sans heurts.

Entre chez soi et l’extérieur, trois langues se conjuguent — la langue du pays d’origine, l’anglais et le français. L’anglais sera la langue de l’expression de leurs émotions. Les deux grandes la parlent bien. C’est celle qui dira leurs chamailleries fraternelles. A. saisit les mots à gauche et à droite dans les trois langues, mais Bonney encourage fortement l’apprentissage du français

« parce que c’est ici qu’on a choisi de vivre. Quand quelqu’un de mon pays nous visite, on parle sa langue. »

Chacune avance à son rythme, selon l’âge d’arrivée en France et la scolarité effectuée. Chacune des filles fabriquera son tissage, il sera fait de fils particuliers pour chacune, chacun coloré de souvenirs du pays et d’acquisitions françaises.

« Mais apprendre le français fait partie du changement et de l’intégration. »

Interview : Isabelle Flye
Photo : Isabelle Flye et Bonney
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