Portrait de Rony : composer sa vie comme un morceau de musique

« On ne parle pas bien la langue de l’autre, mais la musique est une langue mondiale et on peut échanger un petit peu. La musique c’est ma passion, on se parle et on se répond avec les instruments, c’est comme un dialogue. Elle nous aide à être et à faire quelque chose ensemble et être proches ».

Tido — tell it differently !
Tido Media
10 min readMay 29, 2021

--

“On ne comprenait plus ce qui se passait dans nos vies”, mais “la musique aide à mieux vivre”

Originaire du Bangladesh, Rony arrive avec une très grande ponctualité pour cette rencontre. Trottinette électrique, casque et masque blanc jusqu’aux yeux, il faudra le temps de l’accueil et de la « bienvenue » pour apprécier son large sourire et la douceur de son regard, tous les masques tombés. Avec le respect des règles sanitaires bien sûr !

Avant 1947, le Bangladesh, l’Inde et le Pakistan étaient un seul et même pays. Cette large colonie portugaise depuis 1498 passe bien plus tard sous l’égide de la Hollande puis de l’Angleterre.

Rony « commence sa vie en France » avec sa femme en 2015 et vit au CADA de St Genis Laval pendant dix-huit mois. Il fait des rencontre et est accompagné par beaucoup de monde, « des personnes très gentilles ». Il se remémore « chaleureusement ce premier jour d’arrivée en France où, avec ma femme, on ne comprenait plus ce qui se passait dans nos vies. » Avant son arrivée en France, Il avait entendu parfois quelques paroles rudes de français à l’égard des étrangers mais il est heureux de pouvoir dire que rien de tel ne lui est arrivé, bien au contraire. Chaque demande, chaque inquiétude ont été entendues et respectées et la présence des équipes au CADA a été essentielle dans leur parcours. Six mois d’attente pour l’entretien à l’OFPRA, six mois de travail pour préparer cette entrevue dans les moindres détails, laquelle s’est bien déroulée et huit mois d’attente pour la réponse. Rony témoigne aussi de cette période comme des temps chaleureux, de rencontres de personnes qui arrivent d’autres pays, où il comprend qu’il n’est « pas seul ici à vivre en France des situations dures comme moi, et davantage encore. Ensemble nous avont aussi partagé des choses tristes parce qu’on ne sait pas ce qu’on va faire, moi et ma femme dans le futur. »

Rony est passionné de musique, il joue du violon, mais aussi de la flûte, de la guitare et de l’harmonica

Alors, pour contrer ces « choses mauvaises » qui peuvent parfois tourner dans sa tête mais aussi celles d’autres personnes au CADA, il a pensé la place de la musique comme aidante pour lui et contributive de la vie collective au CADA. Rony est passionné de musique, il joue du violon, mais aussi de la flûte, de la guitare et de l’harmonica. Au Bangladesh, il était professeur de musique. Alors, il la pense comme vecteur d’intégration de la culture française mais aussi enrichie des tonalités, rythmes et pratiques du monde. Une manière d’apprendre la culture française et de la tisser avec d’autres coloris. Il travaille pendant une petite année avec un professeur de violon qui lui transmet quelques bases de la musique européenne et apprend à lire des partitions, car avant il ne jouait qu’à l’oreille. Ça marche et il fonde avec quelques autres artistes une association VASAF (Voix d’artistes sans frontières — vasaf.fr) et ensemble, ils jouent dans quelques lieux. Rony essaie de travailler une alliance entre les musiques indiennes et européennes (Mozart, Vivaldi…) et son travail a du succès. Chaque artiste du groupe tente personnellement de présenter la musique traditionnelle de son pays et les chansons populaires.

« La musique aide à vivre mieux en France car elle permet de rencontrer beaucoup de français et de se faire des amis. De rencontrer quelques amis guitaristes pour jouer et construire des mélodies nouvelles puis de partager après le repas ensemble. Maintenant on a des amis ! Tout ça était bien pour moi, pour être à l’aise en France. »

“ La deuxième vie commence pour nous ” Apprentissage du français, travail et animations musicales.

La réponse de l’OFPRA est arrivée positive et « c’était la deuxième vie qui commençait pour nous. Nous avons aussi notre fils avec nous. » Le CADA continue son job, accompagne dans les différentes démarches administratives, professionnelles et personnelles. Il s’agit maintenant de trouver un logement, du travail… Les dossiers à monter ne manquent pas pour avancer mais les efforts aboutissent et la petite famille déménage enfin à Givors où ils trouvent un appartement. Les quelques aides financières reçues le temps du CADA s’arrêtent, il faut donc travailler rapidement. Rony prend contact avec Pôle Emploi pour organiser sa recherche d’emploi. Il qualifie l’aide de Pôle Emploi comme des « démarches très systématiques » et en est très content. Ce qui était dur, c’était la longueur du temps, mais toutes les choses « étaient très organisées. » Il pratique la ponctualité aux rendez-vous qui lui sont attribués et suit avec précision par l’intermédiaire d’Internet l’avancée de son dossier. Il commence par une formation en français avec Alinea et apprend à rechercher du travail sur le site de Pôle Emploi. A travers ces entretiens il comprend la nécessité incontournable de maîtriser la langue française et souhaite trouver un emploi qui l’oblige au quotidien à la pratique de la langue. Ayant de l’expérience de l’enseignement de l’anglais, il mettra à profit ses compétences dans un institut de formation continue, lequel dispense des cours d’anglais financés par des entreprises pour leurs collaborateurs. Il signera un contrat de travail deux mois après le début de sa recherche d’emploi dans cette association.

il mettra à profit ses compétences dans un institut de formation continue, lequel dispense des cours d’anglais

Le contrat de travail est modulable et s’adapte à la demande des entreprises. Il y a des périodes chargées en demandes (mars à décembre) et d’autres moins (janvier à mars) ce qui fait fluctuer la rémunération. Rony intervient aussi dans une MJC (lundi et mardi soir) pour 6h de cours d’anglais.

Il joue toujours quelque chose de son pays, quelque chose que les gens connaissent (Hallelujah de Cohen) et quelque chose de français. Il aime mélanger.

Avoir un salaire et une petite aide de la CAF permet d’avoir une vie plus facile et plus autonome. Une petite difficulté réside dans l’éloignement de Lyon. Rony utilise le train pour se déplacer et les horaires, et parfois certains mouvements de grève, ne permettent pas de ponctualité dans son travail ou la capacité de rentrer chez lui en fin de journée. Mais Givors, c’est aussi son engagement bénévole auprès de la mairie qu’il qualifie d’aidante : il enseigne l’anglais bénévolement aux employés de la mairie et en profite pour développer son réseau de connaissances et d’amitié. Il effectue un stage au PIJ (point information jeunesse) de la commune. Il comprend comment les jeunes parlent, comment les choses se formulent. La manière dont les relations se font. Il réalise aussi quelques animations musicales dans un service de bien-être de personnes âgées, lesquelles sont très appréciées. Il joue toujours quelque chose de son pays, quelque chose que les gens connaissent (Hallelujah de Cohen) et quelque chose de français. Il aime mélanger. Il cherche et trouve des opportunités pour partager et donner ce qu’il aime à la société française.

« On doit faire les choses systématiquement, et avec patience, on doit aussi maîtriser internet, ainsi il n’y a pas vraiment de difficultés. Internet m’a aussi beaucoup aidé. C’est facile d’envoyer et de partager les documents, le face à face est moins facile parfois pour comprendre et connaître les choses. »

“l’effet boule de neige des rencontres” Les randos dans le vieux Lyon et les retrouvailles avec les amis de la musique.

Il cherche des informations, on lui donne des renseignements, des adresses de sites utiles. C’est ainsi qu’il effectue une demande de logement social sur le site logement social69.fr. Huit mois après, il accepte l’offre d’appartement qui lui est faite et déménage dans la commune de St Genis Laval. Les trajets à Lyon seront dorénavant plus simples. Rony assure que beaucoup de nouveaux arrivants manquent d’informations sur les procédures et les lieux qui pourraient les accompagner à construire une vie en France et qu’il a eu de la chance d’avoir trouvé sur son chemin les bonnes personnes. Sa stratégie a été d’aller de l’avant au contact et de créer du lien. C’est aussi ainsi que la route s’est peu à peu formalisée, en suivant des conseils d’amis ou de contacts, en ayant connaissance d’usages et de procédures locales.

Beaucoup de nouveaux arrivants manquent d’informations sur les procédures et les lieux qui pourraient les accompagner à construire une vie en France

Sa femme ne travaille pas pendant les trois premières années et s’occupe de leur fils. Puis, elle est engagée comme nounou chez des particuliers et apprend à avoir de bonnes relations avec ceux qu’elle rencontre. Ensemble, ils cherchent à faire fructifier toutes les opportunités qui se présentent à eux.

« La France nous a autorisé à avoir une autre vie, on doit remercier toujours ! »

Le chemin s’est peu à peu construit : 2015 l’arrivée au CADA, 2017 déménagement à Givors et janvier 2021 retour à St Genis Laval. Six années d’apprentissages divers, de solutions innovantes et opportunes pour vivre mieux et bien. Un retour dans la commune pour aussi continuer à vivre les amitiés qu’il a développé et partager son goût et son talent pour la musique de manière amicale et bénévole.

“A l’arrivée en France, on n’a pas envie de faire quelque chose, rien n’est fixé à priori. Pour nous, vivre en France était notre priorité. Parce qu’on ne vient pas ici pour retourner ensuite. Dès la réception de l’accord de l’OFPRA, on a compris qu’on était indépendant dès ce moment. La France nous accorde la protection mais c’est à nous d’avancer maintenant. L’importance est toujours restée d’être en communication et en bons rapports avec les gens. Si on est vraiment sincère et gentil, deux minutes suffisent pour comprendre qui on a en face. Quand on demande les choses poliment, il y a toujours quelqu’un pour nous aider.”

Toutes les choses connues l’ont été par la communication, et ça fait « boule de neige. » Il y a aussi la patience, “ l’attente n’est pas toujours facile, mais ça vaut le coup d’attendre. »

L’école a accueilli leur enfant qui ne maîtrisait pas bien le français, le dirigeant vers une activité le mercredi après-midi qui l’a aidé à appréhender la langue. Rony insiste sur le fait de savoir demander gentiment pour que les portes s’ouvrent.

« L’attente, le temps qui file c’est difficile mais pas impossible. Il y a des aides financières. Pendant ma formation, 450€ ça suffit pour le début et on a reçu des aides par les restos du cœur pour acheter les couches et les repas du bébé. C’est possible car on sait que c’est pour un temps déterminé, alors ça ne nous dérange pas. On sait qu’on n’est pas seuls dans cette situation, il faut pour tout le monde. Il y a beaucoup de personnes qui attendent. Pour la décision de l’OFPRA, pour le logement, pour le travail. On sait que pour l’OFPRA c’est difficile aussi car ils doivent faire leurs investigations. Mais on sait qu’il y a une perspective d’amélioration, alors on patiente. »

Rony rencontre le « Coup de pouce universitaire » à Lyon, dans lequel il s’investit pour progresser en français. Il attrape des occasions pour connaître la ville, participe à une randonnée dans le vieux Lyon, puis visite Pérouges dans l’Ain, village médiéval local. « On utilise toutes les petites choses qu’on a trouvé pour apprendre de la vie en France. »

Avec toujours la musique comme fil rouge, ligne directrice, “langue mondiale qui fait tout oublier, et aussi les désaccords.” Le temps de l’adaptation.

Rony insiste sur le fait d’avoir besoin de s’adapter.

“C’est parfois difficile mais on doit essayer quelque chose. Quand on s’adapte, c’est plus facile pour comprendre les autres personnes. Si nous continuons à faire des choses comme dans notre pays, ça ne marche pas. A notre arrivée, il y avait beaucoup de coutumes très nouvelles pour nous, mais avec le temps, on comprend et on doit respecter. Avec ma femme, on s’est répété tout le temps : il faut adapter, il faut adapter ! Quand on s’adapte, on peut partager facilement. On est plus à l’aise quand nous sommes au même niveau. Il faut être en confiance pour se parler. Il faut aussi être là depuis longtemps en France pour se permettre de porter un jugement sur la France. Nous sommes là depuis trop peu de temps pour nous permettre de parler au sujet de tout. Nous n’avons pas assez de connaissances. Il nous faut gagner le respect. Quand je veux quelque chose, il faut que je donne aussi. »

C’est autour de repas partagés asiatiques que Rony et sa femme expriment leur reconnaissance et leur envie de bâtir des relations durables. Et c’est aussi autour de la musique que la rencontre se joue. Il y a des moments ensemble et du travail individuel avec son instrument.

« On ne parle pas bien la langue de l’autre, mais la musique est une langue mondiale et on peut échanger un petit peu. La musique c’est ma passion, on se parle et on se répond avec les instruments, c’est comme un dialogue. Elle nous aide à être et à faire quelque chose ensemble et être proches. On oublie tout et aussi les désaccords. Ça donne l’opportunité de continuer à parler français parce qu’après les concerts on parle et on reste en lien. On échange les numéros de tel et de site web (vassaf.fr), et on continue de rester amis. »

« La musique a été un support important pour nous intégrer en France et créer notre réseau d’amis très différents et d’âges différents. On partage beaucoup ensemble. On répond avec plaisir aux invitations et on amène toujours quelque chose de typique à partager même pour un petit moment. »

Signé : Isabelle Viry
Photos : Isabelle Viry
#tellitdifferently

Contribuer : contact@tido.media
Qui sommes-nous ? : tido.media
Poursuivre la lecture : medium.com/tidomedia
Nous suivre : Facebook / Twitter / Instagram

--

--

Tido — tell it differently !
Tido Media

Média collaboratif où se retrouvent des histoires sur l’asile qu’on n’a pas l’habitude d’entendre …