Vanessa du Récho

#acteursduchangement #29

Tido — tell it differently !
Tido Media
10 min readMay 29, 2019

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“Le RECHO (REfuge, CHaleur, Optimisme) : Cuisinons ensemble pour restaurer le monde.”

© Alice Barbosa

Rachel (R) : “Comment aimes-tu qu’on te présente ?”

Vanessa (V) : “Mon entourage me décrit comme une personne passionnée (par la création, l’art, la culture, les histoires), volontaire et fonceuse. Je suis polyvalente et ce depuis l’enfance. Ma première passion est le théâtre. J’ai enchaîné les formations entre mes 10 et 25 ans en France et à l’étranger. À 12 ans, ce fut au tour de la cuisine. J’ai donc suivi une double formation. Cela m’a amenée à me demander comment je pourrais faire converger les deux car je ne voulais pas faire un choix. Depuis plus de 10 ans, je crée des liens.

J’aime allier la cuisine et la création

J’ai fait de la cuisine de plein de manières : avec des artistes mais aussi en tant que cheffe de restaurant, pour des traiteurs ou de l’animation événementielle. J’aime allier la cuisine et la création, ce que j’appréciais quand je travaillais au restaurant. Mais il me manquait du temps pour me nourrir intellectuellement. Mon équilibre se joue entre l’art, l’artisanat, la création et la réflexion. Pour ce qui est du théâtre : j’en ai fait sur planche et face caméra. Ce qui me passionne c’est l’humain, l’empathie, l’interprétation et me nourrir des émotions. Je fais partie de la famille des actrices qui se servent de l’émotion pour interpréter. J’ai été formée au conservatoire de Versailles et j’ai fait des études dans un lycée franco-allemand. Puis, à 18 ans j’ai intégré une école pour les acteurs où je suis restée 5 ans. Entre mes 23 et 24 ans, j’ai joué dans des pièces de théâtre avant de partir étudier à New York tout un été à la William Esper School. Je suis ensuite allée deux années consécutives en stage à Bali, en immersion au rythme de l’île, au croisement entre la culture occidentale et la culture locale, entre masques et danses balinaises. Le RECHO (REfuge, CHaleur, Optimisme) est l’aboutissement et la suite logique de ce travail de convergence.”

R : “Présente moi le RECHO en quelques mots”

V : “C’est une association qui œuvre pour un accueil digne des personnes exilées, étrangères, grâce à la cuisine. C’est la cuisine comme langage universel pour mieux vivre ensemble. C’est d’ailleurs ce qu’illustre notre slogan : cuisinons ensemble pour restaurer le monde.”

© Alice Barbosa

Comment en Europe, dans les pays développés, on a pu oublier que l’accueil passait par la nourriture ?

R : “Comment en es-tu venu à faire cela ?”

V : “Il y a eu un enchaînement d’événements, une incompréhension et un sentiment d’impuissance face à ce qui se passait dans ce monde pour lequel je n’avais pas signé. Le soulagement est arrivé au moment où j’ai pu changer quelque chose. Mon histoire personnelle a été déterminante : je suis juive et j’ai hérité de l’histoire de ce peuple qui a été déplacé et qui, je crois, peut parler de la frontière et de cette question d’ « apatride ». C’est d’ailleurs le terme qui était écrit sur la carte d’identité de mon père jusqu’à ses 18 ans. Mais je ne l’ai compris que dans un second temps. Je suis partie à Bruxelles pour écrire un scénario sur ma grand-mère et je me suis retrouvée sur un camp de personnes réfugiées à faire le RECHO en ayant le sentiment d’écrire la même histoire. Il y a évidemment l’actualité qui a joué un rôle : les attentats, quelques films (Demain, Nos enfants nous accuseront) et ce parcours polymorphe de cuisine(s). J’ai vu à quel point la cuisine met les gens sur un pied d’égalité. La catalyseur a été un appel de ma sœur, qui vit en Allemagne, en mars 2016 : elle était choquée car elle venait de croiser un couple de personnes réfugiées syriennes. Lui était médecin, sa femme, ingénieure. Ils ont été accueillis dans un centre d’accueil mais n’avaient pas de quoi manger puisque le seul repas distribué n’était autre que de la soupe au porc. J’ai passé 3 jours à me demander comment en Europe, dans les pays développés, on a pu oublier que l’accueil passait par la nourriture. Cela m’a amené à m’interroger sur ma fonction en tant que restauratrice. Je ne pouvais pas nier le double sens derrière ce mot. J’en ai parlé à quelques amies dont Laura Domenge qui a enrichi le concept avec l’idée de cuisiner ensemble. C’est un échange, l’objectif est de faire ces grands ateliers collaboratifs où l’on va à la fois se rencontrer et challenger des populations qui sont en attente et leur redonner confiance.

© Jérémie Croidieu

Ensuite, tout s’est passé très vite : j’ai arrêté de travailler en avril, nous avons posé les statuts de l’association en mai. Nous étions 8 à ce moment là, dont une moitié d’actrices et 2–3 personnes issues du monde de la cuisine. Nous avions identité Grande-Synthe, un camp de personnes réfugiées, où nous n’apporterions pas la cuisine comme une frustration mais comme un vecteur de lien social. Nous voulions faire du solidaire et non de l’humanitaire. Pour le premier événement, nous avions environ 70 bénévoles sur trois semaines, une vingtaine par jour. En trois mois, nous avons pu obtenir des fonds (crowdfunding, subvention, dons) et financer notre camion : le projet était véritablement lancé ! Nous ne voulions par faire d’insertion professionnelle mais être un trait d’union pour les personnes qui souhaiteraient ensuite se professionnaliser. Ce qui est arrivé à deux reprises : avec Mustapha, qui travaille aujourd’hui chez Akram Benallal. Après un an et demi passés en cuisine, il travaille en salle. Puis avec Rebar, le boulanger du camp, qui a passé une semaine avec Florent Ladeyn (ndlr : finaliste top chef 2013) avec lequel il a préparé des nans à la farine de Flandres et au levain naturel qu’ils ont mis à la carte de son restaurant gastronomique. Ils ont travaillé pendant un an ensemble sur des événements. En septembre 2016, nous sommes passés à l’étape de la structuration. J’ai été accompagnée pendant un an par Antropia Essec sur l’entreprise sociale, le business plan et la méthodologie. Je me suis mise à penser l’association comme une entreprise : c’est important d’avoir une certaine autonomie, et une association se « manage » comme une société, on y retrouve les mêmes problématiques. Entre 2016 et 2018, il y a eu neuf semaines de mission sur différents territoires avec différentes problématiques en France et en Belgique. Le but était d’être témoins actifs de la crise de l’accueil ailleurs. Puis ce fut un grand événement à Arras : le maire nous a sollicité pour organiser un événement sur le territoire. Nous nous sommes dit que c’était l’occasion de faire quelque chose de plus grand dans cette ville de 45 000 habitants afin de faire rayonner la solidarité, l’exemplarité d’un territoire français, en communiquant positivement. Nous avons organisé un festival, le Grand RECHO du 6 au 14 octobre 2018 : nous avons fédéré des partenaires pendant un an (associations locales, musées, chambre de commerce et de l’industrie, lycées et écoles). Il s’agissait d’un restaurant éphémère solidaire où personnes exilées et personnes issues de la société d’accueil cuisinaient ensemble, dans un lieu neutre. Nous servions à prix libre et étions en surbooking tous les jours avec plus de 200 couverts. Nous avons touché 3000 personnes. Un tiers des personnes exilées sont venues cuisiner tous les jours. Le ticket moyen était de 16€ : certains payaient 1€ pour quatre tandis que d’autres en donnaient 100. Personne n’y croyait. C’est ce que nous voulons : sortir les gens de leur zone de confort sans en avoir l’air.

Je souhaite proposer un service de traiteur écologique et social. On ne peut pas passer à côté du sujet du climat.

C’est suite à cela qu’Aurore s’est adressée à nous. L’équipe était à la recherche d’un partenaire : cela nous permet de ne pas être qu’un traiteur solidaire qui permet de faire de l’insertion professionnelle sans s’imprégner de l’écosystème sur lequel l’association veut agir, mais aussi de lever des fonds pour faire des missions. Nous avons pu tout faire converger. Nous sommes dans le 16ème arrondissement (caserne Exelmans, renommée les 5 toits) et nous avons deux ans pour faire évoluer les mentalités. Je souhaite proposer un service de traiteur écologique et social. On ne peut pas passer à côté du sujet du climat. Nous faisons de l’inclusion sociale à deux niveaux : d’abord, les résidents des 5 toits effectuent du portage de repas aux résidents seniors isolés du 16ème à raison de deux ou trois fois par jour. Cela signifie qu’ils leur apportent le repas mais également qu’ils déjeunent ensemble. Ensuite, des ateliers collaboratifs sur le même modèle que ce qui avait été organisé précédemment sont mis en place tous les samedis avec 15 résidents du centre et 15 personnes issues de la société d’accueil qui cuisinent en étant encadrés par des chefs. Le repas est vendu par la suite à prix libre le soir. Enfin, il y a l’insertion professionnelle, avec un tremplin relié à la cuisine éco-responsable puisque notre manière de travailler est axée sur le respect du vivant. Cela passe aussi par le choix de nos partenaires. Je pense notamment à Olivier Darné qui est notre maraîcher et qui va prendre en formation les participants aux ateliers et les renseigner sur le maraîchage, l’apiculture, la restauration responsable, la saisonnalité. Il en est de même pour la fermentation, l’affinage, l’œnologie… Ce sont des personnes engagées, des militants. Nous n’inventons rien mais nous fédérons. Ce qui signifie que les personnes qui souhaiteront poursuivre dans cette voie auront une vision transverse du métier.”

© Alice Barbosa

R : “Qu’est-ce que tu veux changer dans la société ?”

V : “Je voudrais que nous soyons plus simples dans nos rapports aux personnes et aux choses, plus respectueux et plus honnêtes. Ce n’est pas un exercice facile, il est quotidien et à l’échelle individuelle. Nous sommes en permanence face à nos contradictions. C’est une question de courage et d’ambition politique. Pour moi, la société civile est prête. C’est à nous de nous faire entendre.”

R : “La caserne Exelmans — renommée les 5 toits — est un projet à durée limitée (les espaces sont mis à disposition d’Aurore pour deux ans), c’est quoi la suite ?”

V : “Prouver que notre modèle fonctionne. Nous tablons sur le restaurant, le traiteur et de l’événementiel. Après, il s’agira juste de se déplacer : soit sur un autre site d’Aurore, soit sur un lieu similaire parce que l’écosystème est quelque chose qui nous tient à cœur. Nous sommes en relation et rencontrons des personnes et des projets qui nous permettent de nous mettre en réseaux. On peut aussi imaginer des lieux. Jusqu’à présent je ne souhaitais pas développer l’activité à Paris mais plutôt dans des villes de moins de 50 000 habitants. Cela permet de créer des lieux de rencontre, avec une réelle mixité, ce qui est plus difficile à obtenir ici.”

© Alice Barbosa

R : “Qu’est-ce que ton travail t’apporte ?”

V : “Cela me donne un prétexte pour aller vers les autres. Cela me challenge en permanence sur l’humain, je fais des rencontres enrichissantes. Je n’ai jamais rencontré autant de personnes engagées et aux projets passionnants que c’est trois dernières années. Si j’avais eu la capacité de mettre en scène, j’aurais ressenti la même chose : je choisis les acteurs, l’histoire que je veux raconter, nous partons de rien, mettons une énergie et faisons naître quelque chose en collectif. C’est une liberté avec toutes les difficultés qui vont avec. J’ai appris à être résiliente, à grandir en tant que manager, à gérer mon stress. C’est personnel bien sûr, mais aussi plus large. Je veux faire émerger une société telle que j’ai envie de la vivre. Quand tu n’es pas d’accord avec quelque chose, il faut proposer une alternative.”

R : “Peux-tu nous décrire un aspect génial de l’avenir souhaitable ?”

V : “Le respect du vivant. Si demain on simplifie l’acte des consommateurs, on peut réduire notre impact. C’est ce que nous essayons de faire à travers la cuisine : nous réfléchissons à la manière de faire en sorte que notre geste ne soit pas nocif pour l’environnement. Il y a quinze ans, je faisais des animations pour Alter Eco, dont mon frère est le co-fondateur. Je participais à la quinzaine du commerce équitable : les personnes avec lesquelles j’échangeais ne savait pas de quoi il s’agissait. Aujourd’hui, la majorité de la population française consomme au moins un produit issu du commerce équitable. C’est la preuve que c’est possible !”

Vanessa tient le micro © Alice Barbosa

R : “Selon toi, qui devrait être le sujet de notre prochain portrait ?”

V : “Marine et Louis du Refugee Food Festival, le chef Olivier Roellinger qui parlera de l’histoire à travers la route des épices et de la richesse de l’exil et Damien Carême qui a une voix forte et intelligente sur la question du respect du vivant. Et bien évidemment, Mustapha !”

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Signé : Rachel Priest

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