Les années 2000 et leurs soirées LAN — Partie 1

Tout est parti d’une phrase anodine

C’est un soir d’automne 2019, lors d’une soirée chez TRACTR. On discute de nos adolescences (1995 ~ 2005) et de nos passions passées. Tout en buvant des bières et grignotant des chips, on évoque nos consoles de jeux désuètes : Megadrive, Saturn, N64. La conversation glisse tranquillement sur Windows 98 et ses fameux écrans bleus jadis si familiers. De là, on explore les jeux de cette époque : Half-Life, Quake, Command & Conquer. S’installe alors un sentiment de nostalgie en se remémorant ces week-ends LAN durant lesquels on allait les uns chez les autres en transportant nos lourds et encombrants PC. Une LAN (Local Area Network) consiste à se regrouper chez une personne, en amenant son propre PC. On branche ensuite les PC les uns avec les autres, ce qui peut prendre du temps. Une fois cette étape finie, après plus ou moins de frustrations, on peut jouer en multi-joueurs à divers jeux.

Un de nous sort alors cette phrase, anodine en apparence : “Ça serait marrant de rejouer à Counter Strike sur des vieux PC qui soufflent”.

C’est fait, l’idée est dans nos têtes. Elle germe au cours de la soirée pour finalement devenir un défi : ressusciter des anciens PC, les brancher en réseau et jouer à nos jeux d’enfance.

Définir un cadre

Mathieu et moi-même décidons de réaliser ce défi comme un projet long terme qui contiendra plusieurs itérations. Nous passons le reste de la soirée à définir les contours de ce projet.

Afin de ne pas s’éparpiller, nous définissons une contrainte principale : recréer des PC sous Windows XP. Ce choix impose que les PC soient du début des années 2000, car Windows XP ne s’installe pas sur des architectures trop récentes. Nous visons alors des PC et des composants de 2000 à 2003 : l’âge d’or des LAN et des écrans 4:3.

Le but est de garder le maximum d’authenticité. Nous listons plusieurs composants et détails qui font d’un PC un PC de début 2000 : écran 4:3, écran cathodique, souris à boule, clavier ergonomique, port PS2, lecteur disquette, tour jaunie (avec logo Windows XP), disque dur bruyant, ventilateurs a bout de souffle, etc.

Cet objectif défini, nous sommes alors prêts à débuter notre épopée et nous mettre à la recherche de matériel.

Recherche et assemblage du premier PC

Notre premier objectif est de trouver des sources de matériel. Nous épluchons alors Marketplace et autres sites de petites annonces. Les annonces sont rares mais nous parvenons à trouver un bon candidat. Une vieille tour avec un logo Windows XP. La description est vague mais on pense qu’il possède un port pour y ajouter une carte graphique. Nous achetons ce premier PC pour $20.

Dès l’achat, nous ressentons une excitation d’enfant qui vient de recevoir un nouveau jouet. On le démonte, prudemment, pour voir ce qu’il renferme : AMD Sempron 2400+ 1.67Ghz, 1Go de RAM et un port AGP 8x (sans carte graphique).

Il fonctionne, matériellement du moins. Nous formatons le disque dur et réinstallons Windows XP.

Nous retrouvons rapidement nos habitudes d’antan et parvenons, après plusieurs tentatives, à installer les drivers. Pour qu’il soit pleinement fonctionnel, il nous faut une carte graphique AGP et une carte son.

Les cartes graphiques de cette époque sont quasi introuvables sur Marketplace. Nous achetons une carte graphique GeForce FX 5200 sur un site spécialisé en vieux composants de seconde main. Pour la carte son, je fais 20 km à vélo pour récupérer une Sound Blaster Live à $5.

Enfin, nous faisons une expédition chez Renaissance pour trouver une vielle souris Logitech, un écran LCD 4:3 et un clavier Microsoft.

Nous avons alors tous les composants nécessaires pour notre premier PC. Après plusieurs essais-erreurs, nous réussissons à tout installer.

Afin de valider le fonctionnement nous installons Quake III et Unreal Tournament. Ils tournent correctement. Ça y’est ! Nous venons d’assembler le premier PC de notre LAN. Notre compagnie se nomme TRACTR. Nous choississons alors de baptiser les PC avec des noms de tracteurs. Pour ce premier, ce sera Massey Ferguson.

Assemblage du deuxième PC

Nous réitérons cette opération pour remonter un deuxième PC puis tester le réseau et le mode multi-joueurs. Le schéma est le même, petite annonce pour un PC de base, puis on cherche des composants pour le rendre plus puissant et donc supporter les jeux. Ce sera un Pentium 4 avec une GeForce FX 5600 Ultra que l’on nommera John Deer.

Nous installons les drivers des cartes réseaux et branchons les deux PC en LAN. C’est notre première partie de Quake III en réseau depuis 20 ans. Nous sommes vraiment heureux.

Ce succès nous donne envie d’aller plus loin et encore plus loin : et si on en faisait 4 ? voire 6 ? voire 8 !?!

Travail de fond

Au fur et à mesure, nous nous perfectionnons dans la recherche et l’installation du matériel. Nous documentons nos travaux, nos procédures et gardons de coté les combinaisons qui fonctionnent.

Nous gardons toujours un oeil sur Marketplace afin de ne pas rater les vieux PC qui sont sur le point d’être jetés. Je saute souvent sur mon vélo pour traverser la ville, quelque soit la météo, pour aller récupérer une alimentation par-ci, une barrette de RAM de 512Mo par-là ou encore une carte mère.

Aussi, nous trouvons souvent du vieux matériel sur les trottoirs. Dès que l’on se déplace à Montréal, notre oeil scrute les coins de rue à la recherche d’un clavier, d’une tour ou autre composant. Grâce à cela nous trouvons de nombreux composants gratuitement. Bien que la plupart étaient non fonctionnels, ceci nous aide beaucoup.

Deux ou trois fois par mois nous passons chez Renaissance en espérant y trouver une pièce qui nous permettrait de finaliser un PC supplémentaire.

Récupérer des morceaux de PC devient une obsession. On ne cherche plus des pièces précises, on chine de l’informatique désuète et on monte de nouveaux PC en fonction de ce que l’on a pu obtenir.

Pour illustrer cette quête voici quelques anecdotes.

Résurrection

Un jour, Mathieu trouve une annonce pour 2 PC de gamer datant de 2000. $10 les deux, avec cartes graphiques. A l’époque, ils devaient coûter $600 chacun.

L’un d’eux est parfaitement fonctionnel. Pour l’autre, l’alimentation et la carte mère ont un problème. Nous avons une alimentation en stock, on la remplace sans trop de difficulté. En ce qui concerne la carte mère, nous lisons ses LED de contrôle et sa documentation pour comprendre le problème. Il semblerait que le BIOS soit mort. Le BIOS c’est une petite puce de la taille d’un ongle et qui, sur ce modèle de carte mère, peut-être remplacé. Après quelques recherches nous trouvons un site allemand qui revend encore ce type de puces. Étrange! On en commande une ($15 avec frais de port). Une semaine plus tard, on reçoit la nouvelle puce, on l’installe et (roulement de tambour) le PC démarre.

On a l’impression d’avoir ressuscité Frankenstein. Après réinstallation de Windows et des drivers, ce qui n’est pas toujours simple, les jeux tournent correctement. 90 FPS sur Quake III, notre benchmark.

Poubelle de composants

En allant au bureau, je vois à un coin de rue quelques meubles déposés sur le trottoir pour le ramassage et un fil qui traine. Ce fil m’intrigue, Je suis pressé ce matin là, mais au bout d’un fil, il y a parfois une souris ou un clavier. Je décide alors de revenir sur mes pas et de vérifier ce qu’il se trouve entre ces meubles jetés là. Surprise, un grand sac poubelle. À l’intérieur, des cartes informatiques et des câbles. C’est mon jour de chance. Le sac est lourd mais je me hâte de le ramener au bureau. Comme si une autre personne allait s’intéresser à cette trouvaille.

En arrivant au bureau, on sort tout le contenu du sac : des dizaines de cartes graphiques (entre les années 2000 et 2002), cartes son, cartes réseau, ventilateurs et autres pièces détachées.

Les 3/4 des cartes graphiques se révéleront être HS, mais le quart restant et les cartes son et réseau se révèleront très utiles. Tout ce stock nous servira de fond de placard. Au final, près de la moitié des PC de la LAN utilisent des pièces qui viennent de cette source.

Abondance de mémoire RAM

Un soir, je tombe sur une annonce Marketplace d’une personne voulant se débarrasser de ses anciennes mémoire RAM. Lorsque j’arrive chez lui, il me tend une boite rempli de barrettes de DDR, environ une vingtaine de 512Mo. Cela peut paraître anodin aujourd’hui, mais en 2000, une telle quantité de RAM était à peine imaginable. Grâce à ce don, on a pu gonfler toutes nos machines.

Rencontre fortuite

Un autre jour, alors que je venais de récupérer un PC Acer sur une annonce Marketplace, je marche sur la rue Clark avec ce dernier sous le bras. Un homme m’interpelle en me demandant ce que j’allais en faire. Je lui explique brièvement notre projet de LAN. Il trouve ça marrant et me dit “Attends 2 minutes, j’habite au coin, j’ai des trucs pour toi.” Je repars avec une carte graphique, une alimentation et 2Go de RAM en plus.

Dans un prochain article je décris comment ce projet a pris de l’ampleur et où nous sommes rendus 3 ans après.