Au coeur des ténèbres — La taxe sur la pauvreté dont vous ne soupçonnez par l’existence

Tristan Kochoyan
TurnThePowerOn
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7 min readJan 27, 2017

Si vous connaissez Power:On, alors vous savez probablement que plus d’1,3 milliard de personnes dans le monde vivent encore sans électricité. Rien qu’en Afrique, 630 millions de personnes n’y ont pas accès. Il difficile d’imaginer ce que cela veut dire. Vivre sans les services les plus essentiels que nous utilisons chaque jour sans jamais y penser. Appuyer sur un interrupteur et allumer la lumière. Tourner un robinet et se servir un verre d’eau. Allumer son ordinateur (est-il seulement jamais éteint ?) et espionner un ami sur Facebook.

Une fois de temps en temps, pendant l’hiver par exemple, il peut arriver qu’on subisse quelques coupures de courant. On nous alors dit d’économiser l’énergie, de faire attention. C’est vrai, ces coupures sont irritantes. Mais se passer d’électricité pendant une journée n’est pas si terrible. Certains y trouvent même un côté charmant et en profitent pour organiser un petit dîner aux chandelles. Nous ne savons pas réellement ce que cela signifie de vivre chaque jour sans électricité. Cela demande un réel effort d’imagination, ou une expérience bouleversante.

On ne sait pas ce que ça fait d’être dans les zones sombres.

J’ai vécu cette expérience lorsque Louise, ma cofondatrice, m’a emmené à Igbérè pour la première fois. Encore une fois, si vous connaissez Power:On, vous savez qu’il s’agit d’un village très isolé au Bénin, situé à des kilomètres de tout réseau électrique. Louise y avait travaillé par le passé dans le cadre d’un programme de lutte contre l’excision. Elle a remporté ce combat (parce que c’est une femme extraordinaire), mais cela vous donne une idée du chemin qui a été parcouru. Louise connaissait le village comme sa poche. Nous avons passé la journée à discuter avec les habitants, apprenant un peu sur la vie de chacun. J’étais à la fois fasciné et désorienté. Ces gens, cet environnement, ces conditions de vie étaient à des années-lumières de ce que j’avais toujours connu. C’était incroyable de voir comment une communauté entière pouvait fonctionner sans accès aux services modernes les plus basiques. Il n’y avait pas de réseau GSM, sauf à un point bien précis devant la maison du chef du village (comme c’est pratique !). Il n’y avait pas d’eau courante, mais les familles trouvaient quand même de l’eau potable à la pompe du village. Mais le plus choquant était l’absence complète d’électricité. Ce problème-là, impossible de le contourner.

Comme dans la plupart des communautés rurales, les femmes et les enfants étaient ceux qui en payaient le prix le plus fort. Ils passaient des heures à ramasser du bois pour pouvoir cuisiner et se chauffer. Ils étaient de plus exposés à de dangereux niveaux de pollution de l’air dans les maisons et à des risques élevés de très graves brûlures. Dès 19h, tout fut plongé dans l’obscurité. Le village n’était alors éclairé que par les feux de bois, les bougies, les lampes torches et quelques lampes à kérosène dont la lumière ne suffisait pas pour lire. Il n’y avait rien d’autre à faire que de dîner avec nos hôtes et d’aller se coucher.

Cette journée fut une expérience déterminante, et la raison pour laquelle Louise et moi avons lancé Power:On à Igbérè. Je crois que c’est quelque chose qu’il faut vivre pour vraiment comprendre, mais une bonne façon d’appréhender toutes les conséquences de la crise de l’accès à l’électricité est le concept de la pénalité de pauvreté. Les habitants des régions coupées du monde, qui sont parmi les plus pauvres de la planète, paient plus cher que les riches habitants des grandes villes pour des biens et services analogues — ces derniers étant de surcroît d’une qualité bien souvent très inférieure. Voilà la pénalité de pauvreté. Pour faire simple, cela revient à être taxé parce qu’on est pauvre.

Prenons l’exemple de l’éclairage. Une famille à Igbérè utilisera typiquement des lampes torches, des bougies et des lampes à pétrole pour s’éclairer, tandis qu’une famille à Cotonou (la plus grande ville du Bénin) utilisera une ampoule électrique. Comparons les services auxquels ces deux familles accèdent, et ce qu’il leur coûte.

Les lampes torches ne suffisent pas.

Une bougie émet environ 12 lumens (unité de mesure du flux lumineux), une lampe à kérosène émet environ 50 lumens, et une lampe torche basique émet 100 lumens. Une ampoule électrique classique de 60 watts émet quant à elle 730 lumens. Notre famille d’Igbérè peut donc prétendre à un service dont la qualité sera comprise entre le septième et le soixantième de celui auquel la famille de Cotonou accède lorsqu’elle appuie sur son interrupteur.

Ce n’est pas vraiment surprenant : nous savons tout qu’une ampoule électrique est bien plus efficace. Ce qui est choquant est le fait que la famille rurale soit contrainte de payer plus que la famille urbaine pour ce service de moindre qualité. Au Bénin, allumer une ampoule de 60 watts pendant une heure coûte 1 centime d’euro. En moyenne, notre famille sans électricité d’Igbérè dépense 5 fois ce montant !

C’est une double peine : si vous ne pouvez pas accéder à l’électricité, vous paierez plus cher pour une qualité très inférieure.

Mais cela ne s’arrête pas là. Les bougies et lampes à pétroles sont non seulement sous-efficientes, mais elle représentent aussi un danger pour la santé de toute la famille. Les lampes à pétrole sont responsables chaque année de la mort de 265.000 personnes suites à de graves brûlures. Les fumées toxiques qu’elles émettent, combinées aux feux de charbon et de bois, tuent plus que le paludisme et le SIDA combinés : 76.000 morts… par semaine. Il a également été démontré que le plomb utilisé dans les bougies se retrouvait dans l’air à des niveaux de concentration bien supérieurs aux standards de sécurité. Brûler une bougie pendant quelques heures dans une pièce fermée entraine ainsi une concentration de plomb suffisante pour causer des dommages foetaux et avoir des impacts significatifs sur le développement mental des jeunes enfants.

Cuisiner à l’extérieur limite les dommages des émission toxiques, mais ça ne suffit toujours pas.

Voici pourquoi cette pénalité de pauvreté est extrêmement sérieuse. Être en situation de pauvreté n’est pas uniquement un question monétaire ou de qualité des bien et services auquel on peut prétendre. C’est littéralement une question de vie ou de mort. Ce qui a été dit plus haut sur l’éclairage n’est qu’un des nombreux exemples des effets de cette pénalité sur les communautés pauvres et isolées. Elle s’applique en effet également à aux autres services énergétiques (chauffage, cuisine, stockage et transformation agricole, etc.), ainsi qu’à d’autres domaines dépendant de l’accès à l’énergie tels que les services médicaux, le transport, les services financiers, les télécommunication…

La pauvreté énergétique — et la pauvreté en général — prend de multiples formes. Et elle est aliénante. Cette aliénation est la source d’une dimension supplémentaire de la pénalité de pauvreté : le poids des traditions empêche souvent les pauvres d’adopter de nouvelles technologies, plus sûres, même lorsqu’elles leurs sont rendues accessibles. Cet effet a été démontré dans une étude du J-PAL en Inde, sur l’utilisation de fours de cuisson améliorés pour émettre moins de fumées. Les auteurs, après avoir mené une étude randomisée et contrôlée sur une période de quatre ans, ont montré qu’après seulement une année « les foyers n’utilisaient plus les fours correctement ou de façon régulière, ne réalisaient pas les investissement nécessaires pour les entretenir, et leur utilisation n’a fait que progressivement décliner ».

Nous savions tout ceci lorsque nous avons fondé Power:On. L’éradication de la pauvreté est un combat long et difficile. Il n’y a pas de solution simple pour y parvenir. Mais le savoir ne nous a pas découragé. Au contraire, cela nous a forcé à nous concentrer sur les choses importantes : comprendre les gens et leur offrir quelque chose qui leur corresponde et qu’ils aiment.

À Igbérè, plus de 100 familles, entrepreneurs et services publics ont accès à l’électricité depuis plus d’un an grâce au réseau de Power:On. Nous savons que nous sommes sur la bonne voie car ils sont aujourd’hui nombreux à ne plus savoir où se trouve leurs vieilles lampes torches.

Il y a encore beaucoup d’endroits dans le monde où la vie ressemble à ce qu’elle était à Igbérè lors de ma première visite. Mais c’est loin d’être une fatalité. Nous mettrons fin à la crise de l’accès à l’électricité parce que nous savons comment le faire.

Vous faites partie de la solution. Rejoignez le combat et découvrez comment vous pouvez nous aider à changer le monde. Il est temps de détruire cette pénalité de pauvreté. Turn The Power On !

Come help us, buddy!

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Tristan Kochoyan
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