Oubliez vos grands principes, ils condamnent des millions de personnes à vivre dans la pauvreté

Le retour de la taxe sur la pauvreté

Tristan Kochoyan
TurnThePowerOn
8 min readMar 17, 2017

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Atteindre les villages isolés, c’est compliqué

En 2017, 1,3 milliard de personnes vivent encore sans électricité. Power:On est en mission pour régler cette crise mondiale.

Mais avant de s’attaquer de front au problème, il est important de comprendre pourquoi tant de monde vit encore dans le noir.

Nous savons tous comment l’électricité arrive chez nous. Elle est produite dans des centrales, puis transportée jusqu’à nous grâce au réseau électrique. Dans les pays développés, le réseau est partout. C’est loin d’être le cas dans un grand nombre de pays en développement. Au Bénin, le taux global d’électrification n’est que de 31%, avec de grandes disparités entre les centres urbains et les zones rurales. Dans les villes, 58% des gens ont l’électricité, tandis que dans les campagnes, ce taux s’effondre à 6% !

L’explication principale à ce phénomène est bêtement économique. Fournir de l’électricité aux communautés pauvres et isolées s’avère bien plus coûteux que pour les classes moyennes des grandes villes :

C’est aussi moins rentable :

  • Les communautés rurales ne consomment pas beaucoup d’énergie. Même si les habitants des villages isolés peuvent parfois s’offrir une connexion au réseau (qui coûte tout de même souvent de 100 à 300$), la plupart ne sont en mesure d’acheter que quelques ampoules, un téléphone portable et une radio. Guère plus à court terme. C’est typiquement ce que j’observe à Igbérè, bien que la connexion au réseau soit gratuite. Seuls les foyers les plus riches et les clients professionnels ont les ressources pour acheter directement un frigo, une télé, un moulin…

Je ne parlerai même pas du fait qu’il n’y de toute façon a pas assez de centrales électriques pour répondre aux besoins du pays. C’est un problème, bien sûr, mais ce n’est pas le plus important. Le principal problème est que les prix de l’électricité sont fixé par l’Etat au niveau national. C’est plus que légitime, car cela permet de garantir l’égalité de traitement et d’accès au service sur tout le territoire. Mais la conséquence est que le fournisseur d’électricité national perd de l’argent à chaque fois qu’il tente d’atteindre les villages les plus pauvres ! Ces entreprises publiques étant souvent déjà en très mauvaise santé financière, on comprend à présent pourquoi elles n’ont jamais été très efficaces pour étendre le réseau électrique dans les zones isolées.

Cette situation est absurde ! Les grands principes d’équité et de péréquation condamnent de fait des millions de personnes à vivre dans les ténèbres et à en subir les terribles conséquences !

Alors quelle est la solution ? L’électricité devrait-elle être vendue à un prix plus élevé dans les zones rurales ? Est-ce le seul moyen pour que les fournisseurs d’énergie puissent permettre aux régions les plus pauvres d’accéder à l’électricité de façon durable ? Et si on laissait le marché fonctionner librement ?

Écoutez le prof Yunus

Cela vous semblera peut-être étrange, mais savez-vous que c’est exactement comme ça que la microfinance a permis à des milliards de personnes à travers le monde d’accéder aux services bancaires ? Son inventeur, Mohammad Yunus, a même reçu le Prix Nobel de la Paix.

Je vous explique. Le coût de la microfinance est bien plus élevé que le coût de la banques traditionnelle. Les taux d’intérêt des microcrédits sont de l’ordre de 20% à 100% selon les pays. Ce sont des taux que vous n’accepteriez jamais ! Pourtant, ils sont absolument nécessaires pour permettre aux institutions de microfinance d’opérer de façon durable et rentable, car les montants qu’elle prêtent en valeur nominale sont extrêmement faibles.

Prenons un exemple très simplifié. Vous êtes une banque, et vous avez besoin de 20 simplement pour couvrir vos frais de fonctionnement.

Si vous prêtez un total de 1000, vous avez besoin de gagner 20 sur ce prêt. C’est 2%. Un taux d’intérêt de 2% est acceptable.

Mais si vous ne prêtez que 100 en tant qu’institution de microfinance, vous devez toujours gagner 20. C’est normal : vous faites essentiellement le même job qu’une banque. Sauf que le taux d’intérêt est maintenant de 20% :(

Au final, même si certains restent sceptiques quant à la microfinance, le fait d’appliquer une pénalité de pauvreté aux services bancaires s’est révélé, contre toute attente, totalement bénéfique ! Donc si la libéralisation du marché de l’énergie pouvait permettre la même révolution et permettre à des milliards de personnes d’accéder enfin à l’électricité, pourquoi ne pas le faire ?

Cela semble toujours choquant car nous considérons que l’électricité est un service public. En tant quel tel, une démocratie dans un Etat égalitaire et juste devrait garantir que chaque citoyen puisse y accéder sous les mêmes conditions. Dans certains cas, le marché doit être contrôlé : faire payer les pauvres plus cher que les riches pour l’électricité serait inique.

“Allô ? Allô ?… Ce gouvernement ne décroche jamais quand j’appelle !”

Je pense exactement l’inverse. Dans ce cas précis, je crois que le statu quo est de loin l’alternative la plus injuste. C’est très facile d’avoir des principes quand on travaille dans le confort d’un bureau en ville, avec la clim à fond qui refroidit la salle à 18°C quand il en fait 40 dehors. On a l’impression d’être un grand humaniste, garantissant la justice et l’égalité pour tous les citoyens. Mais en réalité, on fait sciemment le choix d’ignorer qu’au même moment, à seulement quelques centaines de kilomètres, des milliers et des milliers de personnes payent déjà leur énergie plus cher que nous. Heureusement, il ne s’agit pas de l’électricité du réseau national ! Ce ne serait pas éthique ! Tant qu’il s’agit d’énergie issue de carburants toxiques, qui tuent des millions de personnes en silence, tout va bien, on a les mains propres.

La traduction en VF est pas top, mais ça reste bien dit, Kofi !

C’est n’importe quoi, et on le sait tous. La bonne nouvelle est que cette opinion est de plus en plus partagée par les leaders Africains. Dans son dernier rapport, l’African Progress Panel, dirigé par Kofi Annan (un autre Prix Nobel de la Paix), prend des positions très fortes en faveur de mesures destinées à permettre au secteur privé de développer des solutions durables et efficaces pour apporter l’électricité aux populations les plus pauvres. Ces mesures incluent notamment la mise en place de tarifs de l’énergie en adéquation avec les coûts des projets implémentés dans les zones que le réseau national ne pourra pas atteindre.

Il s’écoulera un certain temps avant que ces propositions ne donnent naissance à de véritables lois et réglementations, mais un certain nombre de pays africains ont d’ores et déjà fait quelques pas dans la bonne direction. En Afrique de l’Est, la Tanzanie et le Kenya ont déjà une bonne longueur d’avance. L’Afrique de l’Ouest montre également quelques signes encourageants. Au Bénin, le processus est engagé depuis quelques mois. Je me réjouis de voir qu’il existe enfin une forte volonté politique pour développer l’accès à l’électricité, et je suis heureux de partager l’expérience de Power:On avec ceux qui oeuvrent en ce sens.

“Pardon j’ai pas bien compris… Je dois payer une taxe parce que je suis pauvre ??”

Malgré tout, la question de l’équité demeure. Une pénalité de pauvreté sera bien appliquée au plus pauvres afin qu’ils puissent accéder à l’électricité. Ils réaliseront des économies, car cette électricité sera toujours moins chère que ce qu’ils dépensent aujourd’hui en piles électriques, bougies, essence, lampes à pétroles… Mais quand même.

La solution à ce problème, ce sont l’assistance sociale et la redistribution des richesses, qui sont la responsabilité de l’Etat. Il serait plutôt ambitieux de s’attendre à ce que l’Etat décide de couvrir une partie des coûts d’investissements et/ou des frais opérationnels des entreprises apportant l’électricité aux villages les plus reculés, ou qu’ils reversent directement une allocation aux villageois eux-mêmes (après tout, le revenu universel est à la mode, en ce moment). Beaucoup d’entre eux sont souvent opposés à ces programmes — ou n’ont tout simplement pas les moyens de les financer.

Mais ils devraient garder ceci à l’esprit : l’argent investi dans l’électricité, c’est aussi de l’argent investi dans les politiques de santé publique, d’éducation, de panning familial… et il produira un retour en termes de taxes collectées et de richesses créées. L’analyse de l’impact des politiques publiques et le concept du Social Return On Investment (SROI) sont des sujet assez complexes sur lesquels je ne m’étendrai pas ici. Mais considérons simplement ceci : En France, il y a 10 ans, chaque euro investi dans les entreprises d’insertion en produisait 4 ! 2,1€ étaient reversés à l’Etat sous forme de taxes, et 1,9€ qui auraient normalement été consacrés à des programmes d’assistance chômage étaient économisés. Je n’ai pas connaissance d’étude analogue qui pourrait donner des statistiques de ce genre pour les programmes d’électrification rurale dans les pays en voie de développement — si vous en connaissez, dites le moi dans les commentaires ! Mais je suis certain que cet argument financier serait très efficace pour motiver les gouvernements !

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Tristan Kochoyan
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