La gestion des risques de corruption dans le cadre de partenariats avec des organisations multilatérales

Les bailleurs bilatéraux et les organisations multilatérales doivent améliorer leurs réponses à la fraude et à la corruption. Nous developpons ci-dessous des recommandations pour soutenir des politiques et procédures anti-corruption plus efficaces.

Les agences multilatérales, telles que les Nations Unies ou l’Union africaine, doivent prendre des mesures importantes pour lutter contre la corruption. L’adoption d’approches “ graduées “, qui ayent plus loin que celles centrées sur la fraude, et l’augmentation du partage d’information à tous les niveaux peuvent contribuer à cet objectif. Photo: Flickr/UN Photo/Mark Garten, Creative Commons.

Écrit par Guillaume NicaiseSenior Adviser, U4 Anti-Corruption Resource Centre at Chr. Michelsen Institute

(Ce post est aussi disponible en anglais.)

Aller au-delà de laU4 travaille avec des bailleurs bilatéraux pour s’assurer que la gestion des risques de corruption dans les programmes d’aide est solide, rigoureuse et suit l’évolution des risques. Aucun système n’est parfait, mais les bailleurs bilatéraux ont tendance à avoir un bon degré de confiance dans le fait que leurs propres dépenses et déboursements directs sont peu exposés au risque de corruption. Il est important qu’ils le soient, car ils doivent s’assurer que l’aide a un impact maximal et rendre compte des milliards d’euros d’aide à leurs propres parlements et contribuables.

Toutefois, la plupart des bailleurs bilatéraux versent également une grande partie de leur budget d’aide nationale par l’intermédiaire d’organisations multilatérales (agences des Nations unies, Union africaine, etc.) et, de fait, se déchargent de la responsabilité de la gestion du risque sur ces partenaires, puis sur les partenaires en aval de ces derniers.

Quelle est la solidité de ces systèmes ?

C’est la question que nos partenaires bailleurs ont posée à U4, et en 2022 nous avons organisé un atelier avec des bailleurs bilatéraux en Afrique de l’Est sur la manière de gérer les risques de corruption lorsqu’ils travaillent avec des organisations multilatérales. Suite à nos recherches et de précieuses contributions et échanges au cours de l’atelier, voici quelques réflexions.

Les organisations multilatérales parlent-elles de fraude ou de corruption ?

Chaque organisation multilatérale s’appuie sur ses propres politiques de lutte contre la fraude et la corruption, avec des procédures claires d’identification et de gestion des risques associés, et un accent mis sur la prévention et la réponse à la corruption.

Les stratégies internes de gestion des risques semblent être plutôt centrées sur la fraude.

Cependant, les stratégies internes de gestion des risques semblent être plutôt centrées sur la fraude. Alors que la fraude se concentre davantage sur le niveau individuel (par exemple, le détournement de fonds), la corruption nécessite une collusion avec une autre personne ou organisation.

Par conséquent, les organisations multilatérales sont souvent capables d’identifier plusieurs types de fraude perpétrée par des individus (par exemple, des fausses factures), en particulier dans les chaînes d’approvisionnement. Mais en se concentrant davantage sur la fraude que sur la corruption, les organisations multilatérales peuvent négliger des pratiques plus “systémiques” telles que le népotisme (utilisation de l’autorité pour favoriser des proches) ou les conflits d’intérêts (lorsque des intérêts privés influencent indûment l’exercice des responsabilités confiées).

L’analyse politico-économique peut aider à contextualiser toutes les formes d’évaluation des risques le long des chaînes de valeur, à travers des recherches spécifiques au secteur et au contexte. Il est clair que cela peut susciter des sensibilités, en particulier chez les partenaires gouvernementaux.

Aller au-delà de la “tolérance zéro”

Certaines agences de bailleurs bilatéraux adoptent une approche de tolérance zéro en matière de corruption. On pourrait qualifier cette approche de “dogmatique”, car aucune corruption n’est tolérée ; elle ne peut tout simplement pas exister. Par exemple, même les petits montants de fonds détournés doivent être remboursés. Une telle approche est admirable dans ses objectifs mais risque de créer un tabou autour de la corruption. En revanche, les organisations multilatérales adoptent souvent une approche plus pragmatique : lorsque la corruption est détectée et prouvée, des mesures sont prises.

Certaines agences de bailleurs bilatéraux adoptent une approche de tolérance zéro en matière de corruption. … En revanche, les organisations multilatérales adoptent souvent une approche plus pragmatique.

Ces interprétations différentes peuvent avoir des implications réelles. Lors de l’atelier, les participants ont mentionné que les organisations multilatérales peuvent craindre d’effrayer les bailleurs avec des projets présentant un profil de corruption élevé, et peuvent donc être tentées de minimiser l’ampleur des risques de corruption. En conséquence, les projets peuvent se développer sans les ressources ou les compétences adéquates pour faire face à ces risques. Les partenaires de mise en œuvre peuvent être directement affectés par ces lacunes.

U4 préconise une approche graduée, ce qui, en termes simples, signifie distinguer les risques acceptables — faible impact et faible probabilité — de ceux qui devraient générer une réponse d’atténuation. Cela pourrait aider les bailleurs à surmonter les nombreux défis liés à une politique de tolérance zéro (par exemple, en réduisant les facteurs dissuasifs pour signaler les mauvaises pratiques).

Les organisations multilatérales sont confrontées à des risques élevés de corruption

Pour les bailleurs, les organisations multilatérales semblent représenter un mécanisme de financement efficace et sûr, avec de faibles risques de corruption. Pourtant, les organisations multilatérales sont exposées à des risques élevés, notamment en raison de leur dépendance vis-à-vis de tiers (fournisseurs et partenaires de mise en œuvre) pour l’exécution des programmes. Les risques sont plus importants lorsque les opérations se déroulent dans des environnements fragiles et sur des sites de projets éloignés.

La responsabilité du suivi et l’atténuation de ces risques élevés tend à être transférée aux bureaux extérieurs. Cependant, l’expertise en matière de gestion des risques se trouve le plus souvent au siège (mondial) ou au niveau régional. Par conséquent, un réseau complexe — et parfois inefficace — de relations est créé entre le siège, les bureaux régionaux et nationaux, et les bureaux équivalents des bailleurs et des exécutants de projets.

Les organisations multilatérales varient en termes de priorités, de modalités de versement de l’aide et de structures organisationnelle. Elles présentent également une grande variété en matière de stratégies de gestion des risques, comme le démontre le Réseau d’évaluation des performances des organisations multilatérales (MOPAN). Les évaluations du MOPAN montrent que la plupart des organisations multilatérales ont effectivement mis en place des politiques et des procédures pour prévenir, détecter, enquêter et sanctionner les cas de corruption. Cependant, selon un rapport de l’ONU de 2016, “dans la plupart des cas, les contrôles, la redevabilité et les dispositifs de gestion existants ne sont pas à la hauteur du risque élevé de fraude et de corruption”.En outre, les cas de représailles contre les lanceurs d’alerte au sein des agences des Nations unies semblent susceptibles de dissuader les dénonciations.

Illustration n.1 : Evaluations MOPAN de six organisations multinationales.

Six organisations multinationales ont été sélectionnées au hasard par l’auteur, mettant en évidence des indicateurs relatifs à la gestion du risque de corruption. Les rouges et les jaunes indiquent les éléments préoccupants, notamment la redevabilité, le suivi stratégique, la gestion des risques et la transparence.

Le défi de la transparence en matière de corruption

On observe une tendance croissante à la transparence parmi les organisations multilatérales au niveau mondial, en particulier les agences des Nations unies. Certaines agences de l’ONU (par exemple, le FNUAP) publient désormais des informations agrégées sur les cas de corruption ainsi que des informations sur les activités d’audit et de contrôle (par exemple, les évaluations du Bureau des services de contrôle interne de l’ONU).

On observe une tendance croissante à la transparence parmi les organisations multilatérales au niveau mondial, en particulier les agences des Nations unies.

Cependant, les informations ne sont pas ventilées par pays, et ne sont pas systématiquement partagées avec les bailleurs au niveau national. Les bureaux nationaux des organisations multilatérales ont tendance à être plus limités quant au type d’informations qu’ils peuvent partager. Par exemple, la communication est souvent gérée depuis le siège et peut être limitée par des politiques et des procédures, notamment celles qui existent pour protéger les parties prenantes.

Le partage d’informations peut également être affecté par de longs processus administratifs. Des entretiens avec des hauts fonctionnaires de l’Union africaine et de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) nous ont appris qu’il faut parfois de 6 à 24 mois pour mener à bien une enquête sur la corruption dans le système de l’Union africaine, et jusqu’à six ans à l’IGAD. Une fois l’enquête terminée, des procédures de surveillance et de suivi sont mises en place. À ce moment-là, le projet de développement peut être terminé, et les coupables peuvent avoir déjà changé le nom de leur organisation et être partis avec les fonds. C’est pourquoi il est peu probable que les sanctions pour les actes répréhensibles (telles que l’exclusion) dissuadent les acteurs corrompus.

Prochaines étapes

  • L’adoption d’une approche graduée de la corruption exigerait des bailleurs et des organisations multilatérales qu’ils soient plus ouverts sur les risques et les cas réels de corruption — et qu’ils partagent ces risques.
  • Une approche plus globale de la corruption — dépassant la gestion centrée sur la fraude — exigerait des organisations multilatérales qu’elles accordent plus d’importance à l’analyse politico-économique et à l’amélioration de la protection des lanceurs d’alerte.
  • Une bonne pratique pour les organisations multilatérales serait de partager régulièrement des informations sur les mauvaises pratiques avec les bureaux nationaux des bailleurs. Cela démontrerait que la corruption est prise au sérieux et cela augmenterait les possibilités de réponses conjointes avec les bailleurs.

A propos d’U4

U4 Anti-Corruption Resource Centre basé au CMI s’efforce d’identifier et de communiquer des approches éclairées aux partenaires de développement pour réduire l’impact néfaste de la corruption et veiller à un développement durable et inclusif.

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