SDC 2017 : chroniques du cerveau (3/5)
mardi 14 mars : Quand l’émotion persiste
Un cerveau « en bonne santé » suit une ligne de temps. L’émotion (la peur) appartient à l’instant et se situe dans l’action. Le sentiment (l’angoisse) qui en découle obéit à une forme de détachement. Il n’a pas d’objet concret et admet une durée. La pensée cognitive (le mauvais souvenir), enfin, permet la narration. Elle requiert une articulation temporelle des événements vécus.
Ce processus est intimement lié au bon fonctionnement des structures cérébrales. Parmi elles, l’amygdale, un petit noyau très ancien dans l’histoire de l’évolution humaine, fonctionne pour ainsi dire comme une « éponge à émotion ». Plus celle-ci sera forte, plus le cerveau fixera durablement les « mots » (correspondant à des sons, des images) qui lui sont liés et qui sont normalement destinés à construire une phrase, un épisode narratif (ce que l’on pourra raconter). L’hippocampe, un autre noyau, proche des amygdales, est très impliqué dans cette capacité déclarative. Ainsi, quand l’une ou l’autre de ces structures cérébrales dysfonctionne, le cerveau perd le fil de son histoire et le système nerveux dérape. C’est ce qui se passe par exemple suite à un stress intense. Dans certains cas, les amygdales, suractivées au moment des faits, ne parviennent plus ensuite à retrouver un niveau de fonctionnement « normal ». Cette altération fonctionnelle crée une hypermnésie émotionnelle. « Dans le traumatisme, même quand la source a disparu, la peur persiste », explique le Pr André Quaderi, chercheur au LAPCOS et psychologue clinicien. Placé en état de vigilance intense, le cerveau, dans un réflexe « primaire », va tout faire pour éviter de se retrouver de nouveau en situation de vulnérabilité. « Il mémorise alors tout l’environnement lié à la situation de peur et identifie peu à peu chaque élément comme un signal de danger », poursuit le psychothérapeute EMDR (1). En découlent les états dits de stress post-traumatiques (ESPT). Cette pathologie s’accompagne également d’une baisse de l’activité de l’hippocampe, avec pour conséquence une impossibilité pour le patient à intégrer son vécu émotionnel à son histoire. En l’absence de narration, le traumatisme se trouve ainsi comme bloqué en dehors de toute temporalité. Il persiste à vif.
Or, face à ce qui pourrait paraître ici comme un excès de mémoire, Alzheimer, décrite comme la maladie de l’oubli par excellence, connaît des altérations cérébrales moins éloignées qu’il n’y paraitrait de celles décrites jusqu’à présent. « Dans ce cas, l’hippocampe est une cible majeure. Il est graduellement altéré jusqu’à destruction complète. Or, c’est lui qui apporte du sens aux émotions. Il permet par exemple de dire de quoi on a peur et ainsi de contenir l’émotion », révèle André Quaderi. Sans cela, les amygdales tournent pour ainsi dire en roue libre, ce qui crée des troubles du comportement, avec au premier rang l’agitation. « Avec les malades Alzheimer, nous n’avons pas d’autre choix que de privilégier la non information sensorielle. Nous devons créer autour d’eux un environnement doux, serein, bienveillant », assure le chercheur, également ancien directeur d’EPHAD et auteur de plusieurs ouvrages sur l’approche non médicamenteuse dans la maladie d’Alzheimer.
(1) À l’heure actuelle, trois psychothérapies sont reconnues efficaces dans la prise en charge des ESPT : les thérapies par désensibilisation progressive, l’hypnose et l’EMDR (http://unice.fr/vie-etudiante/culture/culture-sciences/contenus-riches/documents-telechargeables/le-kiosque/juin-2013-dossier-emdr).