SDC 2017 : chroniques du cerveau (5/5)

laurie Chiara
UCA Labs stories
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3 min readMar 31, 2017

vendredi 17 mars : Francis Eustache présente le programme 13- Novembre

La mémoire collective est-elle le récit des historiens, une collection d’événements vérifiés, partagés mais « certifiés objectifs »? Est-elle, sinon, la somme des mémoires individuelles, imprécises, mouvantes, subjectives? En regard de ces questions, les souvenirs de chacun dépendent-ils de l’histoire commune? Depuis une dizaine d’années, deux spécialistes de la mémoire, le neuropsychologue Francis Eustache et l’historien Denis Peschanski cherchent à comprendre comment s’articulent nos rétentions intimes et collectives. Pour faire travailler ensemble les sciences humaines et sociales, les sciences du vivant et de l’ingénierie, les deux scientifiques ont développé une plateforme technologique (équipement d’excellence), baptisée MATRICE (http://www.matricememory.fr/quest-ce-que-matrice/presentation/). Jusqu’au 13 Novembre 2015, le programme de recherche ciblait les vécus hérités de la seconde guerre mondiale et du 11 septembre 2001. Mais après les attentats perpétrés en France, les scientifiques ont souhaité introduire une « troisième mémoire » à leurs travaux : la mémoire traumatique. Répondant cette fois à l’appel lancé par le président du CNRS, Alain Fuchs, ils élaborent le programme transdisciplinaire 13-Novembre (www.memoire13novembre.fr). Celui-ci s’articulera sur le recueil, pendant douze ans, de témoignages de personnes touchées à différents niveaux par les attaques meurtrières. Les données ainsi collectées seront chaque fois soumises à l‘expertise de sociologues, historiens, psychopathologues, psychiatres, neuroscientifiques, linguistes, juristes, spécialistes de la communication et du traitement des « big datas ». Le premier volet de l’étude a permis d’identifier les 1000 participants à suivre et de délimiter quatre « cercles » correspondant à autant de profils : les personnes directement exposées (les rescapés des lieux visés et leurs proches, les forces de police, les services des secours et de nettoyage étant intervenus sur place etc.), les riverains et travailleurs des quartiers ciblés, les habitants de Paris et de la région parisienne, ceux des villes de Province (Caen, Metz et Montpellier). Parmi ces témoins, 200, choisis dans les cercles « 1 » et « 4 » ont été intégrés à l’étude REMEMBER, réalisée au laboratoire de Francis Eustache à Caen. Cette recherche s’intéresse en particulier aux prédispositions des individus à être envahis par des pensées « non pertinentes » et intrusives. Car face à un événement traumatique, certaines personnes vont développer un état d’alerte quasi-permanent vis à vis de stimuli sensoriels a priori anodins, si ce n’est qu’ils sont associés, dans le cerveau de la victime, au drame. Ce symptôme appartient au tableau de l’état de stress post-traumatique (ESPT). Les chercheurs, pour ne pas réveiller la douleur des personnes touchées, ont comparé l’activité cérébrale d’un groupe « ESPT + » et d’une autre, « ESPT — », dans une tache cognitive appelée « think/no think ». Ils leur ont demandé de mémoriser des couples « mot « x »/image d’un mot « y »». Rapidement, la présentation du mot écrit suffit à activer le souvenir de l’image associée. La suite de l’exercice consistait alors à laisser consciemment venir l’association ou au contraire de la bloquer. Les chercheurs disposent maintenant de toute une collection de clichés d’imagerie cérébrale (IRM), qu’il vont devoir analyser avant de pouvoir en dire quoi que ce soit. D’après Francis Eustache, nul doute qu’une étude non similaire mais d’aussi grande ampleur devrait voir le jour à Nice, en réaction à l’attentat du 14 juillet 2016.

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laurie Chiara
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journaliste scientifique à Université Côte d’Azur