Valérie Pietri : rendre discutables les phénomènes de domination grâce à l’Histoire

laurie Chiara
UCA Labs stories
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3 min readMay 24, 2019

Pour mieux comprendre le monde dans lequel elle vit, Valérie Pietri a choisi de le regarder par la grande lunette de l’Histoire. Elle trouve dans les traces écrites du passé un dépaysement, un détour susceptibles de lui montrer la nature de phénomènes modernes. Cette agrégée d’histoire et chercheuse à l’Urmis s’intéresse en particulier aux mécanismes de domination et de discrimination. « Je veux analyser la genèse de ces constructions pour les dénaturaliser et ainsi les rendre discutables », explique-t-telle.« Il ne suffit peut-être pas de comprendre un processus pour le déconstruire, mais cela permet au moins de donner des armes aux victimes pour ne pas intérioriser les arguments de discrimination et d’inégalité qu’on leur adresse », poursuit Valérie Pietri. Elle a donc débuté sa carrière académique avec une thèse dédiée aux formes de domination sociale et à la notion d’élite. « J’ai beaucoup travaillé sur le rapport à l’ancestralité, sur la noblesse de race. Cela concerne une catégorie de la noblesse qui se pense supérieure aux autres nobles car elle appartient à la noblesse depuis « toujours », donc « par nature » », précise l’historienne. Dans la même veine, elle s’applique aujourd’hui à expliquer l’émergence du concept de race, apparu entre la fin 18e et le début du 19e siècle. « Avant, la race réfère au lignage, à la généalogie », souligne la chercheuse. Mais avec le développement des colonies, l’esclavage, qui existe pourtant depuis l’Antiquité, marque pour la première fois une population individualisée : les noirs africains. Le lien entre race et esclavage vient alors essentialiser la situation d’infériorité dans laquelle sont placées les victimes. « Nous avons aussi beaucoup travaillé le discours scientifique. Car, au moment où les études sur l’évolution des espèces se développent, les naturalistes, qui commencent par repérer et décrire des différences entre les populations, instaurent peu à peu une hiérarchisation entre ces catégories », explique Valérie Pietri. Depuis, malgré les déclarations conjointes des scientifiques et des Nations Unies sur l’inexistence des races, le racisme demeure. De retour de Dakar, au Sénégal, où elle a mené un atelier inédit dans le cadre du projet européen SLAFNET, Valérie Pietri raconte ainsi à quel point ces questions suscitent encore des réactions et des débats très vifs, faisant écho à des problèmes sociaux très forts. « Le racisme, en Afrique, est un question qui reste tabou. Néanmoins, j’ai pu mesurer un très fort intérêt des étudiants pour ce que je présentais sur les sociétés européennes. Car cela fait écho à leur propre rapport à la généalogie et aux stigmates de l’esclavage », rapporte la chercheuse. Valérie Pietri aimerait donc, à l’avenir, développer ces actions de formation auprès des étudiants des pays du Sud, en s’inspirant des partenariats de l’IRD, l’institut faisant partie avec le CNRS et Université Côte d’Azur, des tutelles de son laboratoire.« Je voudrais en même temps établir des liens avec les chercheurs américains, car aux Etats-Unis, les questions liées à l’héritage de l’esclavage demeurent centrales », souligne-t-elle. Au sein d’UCA, Valérie Pietri s’attèle enfin à former les étudiants à la genèse des discriminations et à la mémoire des origines en s’appuyant sur la dynamique de la nouvelle Ecole Universitaire de Recherche ODYSSEE et sur le Master international « Migration Studies », ouvert en septembre 2018 et enseigné en anglais.

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laurie Chiara
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journaliste scientifique à Université Côte d’Azur