Berlioz

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4 min readMay 22, 2015

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ou la symphonie de l’opium

Mystérieusement inspiré, il ne fallut que deux mois à Hector Berlioz pour composer la Symphonie fantastique. Quel rôle a pu jouer l’opiacé dans sa création ?

L’opium du début du XIXe siècle ne portait en rien à controverse ; il s’agissait d’une substance hautement respectée par le corps médical, prescrite par les médecins dès l’aube de la profession. Thomas Sydenham, médecin anglais du XVIIe siècle, en était un des pionniers dans la préparation : son opium était dilué dans du vin, fortifié avec des clous de girofle et autres épices, et avait été prescrit au litre à Oliver Cromwell ou bien Charles II. Les médecins sont depuis tombés d’accord avec le sentiment de Sydenham que « parmi les remèdes que le Tout-puissant a jugé bon de révéler à l’homme afin d’en atténuer les souffrances, il n’en est pas de plus utile et efficace ».

Portrait d’Hector Berlioz, 1803–1869

L’opium est en effet un remarquable remède. Avant l’ère des antalgiques, c’était le plus puissant des anti-douleurs disponibles. Il était également efficace en particulier contre les fièvres, les maladies gastriques et les maladies infectieuses comme le choléra.

Dans des zones comme les Fens de l’est de l’Angleterre, humides, froides et prises au vent, la plupart des familles ont, depuis les temps immémoriaux, cultivé un petit carré de fleurs de pavot dans un coin de leur jardin, afin d’en faire du thé, consommé comme un remède traditionnel contre les coups de froid, les grippes et les fièvres, très courants dans le monde rural.

C’était aussi bien plus qu’un simple remède. Une dose d’opium ou de laudanum peut avoir un effet bénin sur l’humeur ou le ton émotionnel. Les anxiétés disparaissent, les humeurs noires s’éclaircissement momentanément ; le sujet se sent protégé, non seulement de la douleur physique, mais également des tourments de l’esprit, car émotionnellement indifférent, et libre de s’abandonner à de confortables rêveries. Pour cette raison, il était communément utilisé contre les crises de nerfs, les anxiétés et les grands stress. Ce n’était ainsi pas que l’aspirine du XIXe siècle, mais également son Valium.

En ce sens, l’usage que faisait Berlioz de l’opium durant ses crises de nerfs était parfaitement typique. Il écrivit à son père : « Parfois, je peux à peine supporter cette douleur physique et mentale (il m’est impossible de séparer les deux). » Ses symptômes physiques comportaient des crampes d’estomac et des insomnies, pour lesquels l’opium peut se révéler efficace — mais il aurait tout aussi bien pu calmer ses humeurs fiévreuses, et ainsi le libérer de l’emprise de son idée fixe.

L’image de l’opium dans les années 1820 était dénuée du glamour et du danger auxquels il est associé à notre époque.

Les dangers de l’opium, qui font partie intégrante de son image aujourd’hui, étaient aussi connus du temps de Berlioz. On leur accordait juste moins d’importance. Il était acquis que l’opium consommé imprudemment augmentait la tolérance du sujet, et qu’il fallait alors à ce dernier, en l’espace de seulement quelques semaines, plusieurs fois sa dose initiale pour en retrouver les effets. Mais cette dépendance, comme elle allait être connue, était considérée par la plupart des médecins comme l’effet secondaire mineur d’un médicament indispensable. Nombre de gens prenaient de l’opium régulièrement, mais veillaient à ne pas en augmenter les doses. Ils passaient ainsi leur vie à en consommer à faible dose, ce qui était alors considéré de la même manière que la cigarette ou le vin aujourd’hui : ce n’est peut-être pas encouragé mais pas non plus une crise médicale.

Plus sérieux que le risque de dépendance, il y avait celui de faire une overdose : quelques écarts au-delà de la dose active d’opium suffisent à développer un état de suffocation. Les overdoses fatales n’étaient pas rares parmi les plus imprudents, et il s’agissait aussi d’une méthode de suicide privilégiée, particulièrement chez les femmes. Mais dans l’ensemble, l’image de l’opium dans les années 1820 était dénuée du glamour et du danger auxquels il est associé à notre époque. En faire la source des visions ténébreuses de sa symphonie fit de Berlioz l’un des premiers artistes à en initier cette image moderne.

Lisez l’intégralité de l’histoire sur Ulyces.co.

Une histoire de Mike Jay, traduite de l’anglais par Gwendal Padovan d’après l’article « Opium and the Symphonie fantastique ».

Couverture : Hector Berlioz, par Nadar.

Création graphique par Ulyces.

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