Une autoroute de la drogue
dans les montagnes du Cachemire

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4 min readMay 21, 2015

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À Uri, la drogue a remplacé les conflits armés. Dans cette région isolée, les postes frontières sont les derniers remparts face à ce nouveau danger.

Uri, au Cachemire.

L’après-midi du 17 janvier 2014, un camion peint à la main transportant un chargement d’amandes pakistanaises s’arrête à Uri, une ville de montagne isolée et pittoresque du Cachemire. Les agents des douanes ont déjà fouillé le véhicule multicolore du conducteur au moins trente fois au cours des dernières années, sans rencontrer le moindre souci. Par ailleurs, les agents se sont liés d’amitié avec ce chauffeur. Ils ont partagé à plusieurs reprises ce thé local sucré et légèrement épicé appelé kahwa. Les douaniers connaissent ses enfants, sa femme et ses voisins vivant de l’autre côté de la ligne de contrôle, dans la région du Cachemire occupée par le Pakistan.

La ville d’Uri, nichée dans les montagnes. Crédits : Sami Silva

Le contrôle des frontières est un travail solitaire, surtout dans une région isolée qui donne souvent l’impression de disposer de plus d’armes à feu que d’hommes pour les porter. Les agents considèrent le conducteur comme un ami. C’est pour cette raison qu’ils veulent satisfaire sa demande lorsqu’il les supplie d’accélérer leur fouille parce qu’il est en retard pour sa livraison. Et sans le regard suspicieux de Kameshmar Puri, de la police d’État du Jammu-et-Cachemire, c’est ce qu’ils auraient fait.

« L’homme avait l’air nerveux », se rappelle Puri, 30 ans, au sujet du conducteur. Le policier est alors sur le point de faire la plus grosse saisie d’héroïne de l’histoire du Cachemire.

Si, jadis, le principal soucis des agents frontaliers tels que Puri étaient les activistes violents et les menaces de conflits avec le Pakistan limitrophe, de nos jours c’est l’héroïne échappée d’Afghanistan qui constitue une menace inédite. Les postes frontaliers comme celui d’Uri ou d’autres à la frontière indienne avec le Pakistan, au Cachemire et au Pendjab, sont devenus la dernière ligne de défense face à l’épidémie grandissante de dépendance à l’héroïne dans le pays. Épidémie qui menace de transformer la culture de la région pour les décennies à venir.

Cachemire, police d’État

Puri n’occupe son poste à Uri que depuis quelques semaines à l’époque, supervisant une équipe d’officiers qui assurent la protection des agents des douanes. Il fait froid cet après-midi là, et les agents croisent les bras sur leur torse pour se tenir chaud tandis qu’ils observent Puri enfoncer une baguette métallique dans un sac d’amandes choisi au hasard.

Un sac d’héroïne confisqué par la police d’Uri. Crédits : Sami Silva

Tandis qu’il donne de petits coups dans le sac, les officiers remarquent que la tige tape contre quelque chose. Puri ouvre le sac. Sous une petite marée d’amandes, il trouve un bloc solidement emballé, avec à l’intérieur quelque chose qui ressemble beaucoup à de l’héroïne. La moitié d’un afghani rose, un billet presque insignifiant d’une valeur d’environ 0,02 euros, est attachée sur le paquet.

D’autres hommes de son équipe arrivent sur les lieux. Le conducteur laisse alors tomber sa tête contre la paroi de sa cabine.

« Nous avons trouvé 148 sacs d’amandes, et 114 d’entre eux contenaient un bloc d’un kilogramme de monoacétylmorphine — un type d’héroïne — enfoncé au centre », témoigne Puri. « La drogue était totalement pure donc les fournisseurs indiens auraient facilement pu tirer 500 kilogrammes d’héroïne de ces 114 paquets, voire plus, avant d’en envoyer en Amérique et partout dans le monde. C’était une sacrée prise. »

Avec le temps, la police de l’État de Jammu-et-Cachemire a appris que chaque billet afghani comportait un numéro de série aux deux extrémités : d’après Puri, les billets étaient coupés en deux puis rattachés aux paquets afin d’établir une sorte de système de suivi. L’autre bout de chaque afghani était envoyé en Inde, afin que les destinataires des billets coupés puissent ensuite faire correspondre les numéros de série avec la moitié accrochée au paquet d’héroïne qui leur revenait dans le camion.

« Dites-vous bien que le conducteur a consacré plusieurs années à se lier d’amitié avec les forces de sécurité aux frontières, afin de gagner leur confiance », explique Puri en décrivant la saisie et en secouant la tête. « Il s’agit d’un système sophistiqué et bien organisé qui rapporte des millions de dollars américains. »

Le camion pakistanais transportait 114 kg d’héroïne pure. Crédits : Sami Silva

À une trentaine de kilomètres de la ligne de contrôle qui sépare la région occupée par l’Inde de la région pakistanaise, dans la zone contestée, le village d’Uri, un no man’s land montagneux et luxuriant au terrain aussi vaste qu’irrégulier, est un endroit que connaissent peu d’étrangers.

La région n’en finit pas de fasciner, à la fois par sa beauté naturelle mais aussi par son climat miné par les conflits. De larges contingents de policiers et de militaires font tampon entre ces nations séparées.

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Une histoire de Michael Edison Hayden traduite de l’anglais par Anastasiya Reznik d’après l’article « Kashmir’s Heroin Highway », paru dans Roads & Kingdoms.

Couverture : Poste frontalier d’Uri, par Sami Siva.

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