Au-delà du Monde connu

Les premiers succès dans la difficile quête des transuraniens

Bertrand Pelloux
Une brève histoire de l’atome
14 min readSep 10, 2022

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📅 14 décembre 1940

Ce jour-là, les physiciens et chimistes américains Glenn Seaborg, Joseph Kennedy et Arthur Wahl réalisent une expérience qui mène à l’identification d’un élément aussi effrayant que fascinant : l’élément 94. Cette découverte fait suite à celle de l’élément 93, première étape d’une aventure au-delà du Monde connu. Retour sur les découvertes historiques des deux premiers transuraniens : les éléments 93 et 94.

En liminaire, quelques notions pouvant faciliter la lecture de l’article :
la radioactivité est un phénomène au cours duquel un noyau instable va se désintégrer en donnant naissance à un noyau plus stable et en émettant des particules (α, β, etc.) ;
le noyau d’un atome est caractérisé par son nombre de protons (Z), de neutrons (N) et de nucléons (A), ces derniers étant simplement la somme des protons et des neutrons (A=Z+N) ;
le nombre de protons, également appelé numéro atomique (Z), détermine l’élément chimique. Par exemple, le noyau d’hydrogène contient un proton (Z=1) et celui d’uranium 92 protons (Z=92) ;
un même élément peut avoir un nombre de neutrons différents (même Z mais N différent), on parle alors d’isotopes. Par exemple, l’uranium 235 (Z=92, N=143, A=235) et l’uranium 238 (Z=92, N=146, A=238) sont deux isotopes de l’uranium.

🎲 Retour à la case départ

La découverte du neutron par James Chadwick en 1932 puis l’hypothèse d’Enrico Fermi de l’utiliser pour bombarder la matière ont ouvert de nouvelles perspectives, notamment dans la recherche de nouveaux éléments. En 1934, Fermi a montré que le bombardement d’éléments (Z) par des neutrons peut les transformer, par l’intermédiaire d’une désintégration β- (“bêta moins”), en d’autres éléments disposant d’un proton supplémentaire (Z+1). À ce moment-là, le tableau périodique des éléments ne compte que 88 éléments connus, l’élément le plus lourd étant l’uranium (Z=92). Dès lors, le bombardement de l’uranium par des neutrons devrait logiquement conduire à la formation d’éléments encore inconnus, situés au-delà de l’uranium et appelés à ce titre “transuraniens” (Z=93, Z=94, etc.).

Tableau périodique des éléments en 1939 ©source

[🤯 Le tableau (ou classification) périodique des éléments est un tableau représentant l’ensemble des éléments chimiques et dont l’ordonnancement permet de refléter leurs propriétés physico-chimiques. Il permettait entre autres d’identifier les éléments restant à découvrir (les cases vides) et même d’en prédire les propriétés. Ces éléments encore inconnus portaient un nom provisoire, formé du préfixe “éka” suivi du nom de l’élément de la même colonne situé juste au-dessus (par exemple, l’élément 87 était appelé éka-césium, le 93 éka-rhénium, le 94 éka-osmium, etc.). Ce principe s’appuyait sur le fait que les éléments d’une même colonne ont des propriétés chimiques similaires (on parle d’homologues). Ceci s’explique par la construction du tableau qui regroupe dans une même colonne les éléments avec une configuration électronique identique dans la dernière couche (couche de valence), cette caractéristique étant responsable des propriétés chimiques. 🤯]

Dans de nombreux travaux menés entre 1934 et 1938, Fermi et son équipe de l’Université de Rome ou encore Otto Hahn, Lise Meitner et Fritz Strassmann de l’Institut Kaiser-Wilhelm de Berlin pensent avoir identifié de nombreux transuraniens. Toutefois, la découverte de la fission nucléaire par Hahn et Strassmann à la fin de 1938, une découverte aussi historique qu’inattendue (👉 Une nouvelle ère), va montrer qu’il en est autrement. Ainsi, sous l’impact d’un neutron, un noyau d’uranium peut se diviser pour former des éléments beaucoup plus légers (les produits de fission) et déjà connus. Une conclusion cocasse pour des recherches dont l’objectif était de trouver des éléments lourds, situés au-delà de l’uranium, et donc encore inconnus. Dans une publication de 1989, Glenn Seaborg résumera la situation ainsi :

Des travaux ultérieurs ont montré que les radioactivités précédemment attribuées aux éléments transuraniens sont en fait dues aux produits de fission de l’uranium […]. Ainsi, au début de 1939, il n’y avait à nouveau, comme cinq ans plus tôt, aucun élément transuranien connu.

🔱 Le premier coup de trident

La découverte de la fission suscite l’effervescence dans la communauté scientifique et de nombreux travaux sont lancés dans la foulée. Edwin McMillan, physicien américain de l’Université de Californie à Berkeley, réalise au début de l’année 1939 une expérience très simple afin de mesurer le déplacement des produits de fission qui sont émis lors d’une fission. Pour ce faire, il empile des feuilles de papier et recouvre la première d’un dépôt d’uranium qu’il bombarde avec des neutrons à l’aide du cyclotron (un accélérateur de particules) dont il dispose au Radiation Laboratory de l’Université. En mesurant ensuite la radioactivité de chaque feuille séparément, il conclut à la présence de produits de fission jusqu’à 2 cm de profondeur dans l’empilement. Dans la première feuille recouverte d’uranium, McMillan remarque que la radioactivité se comporte différemment et identifie deux éléments avec des périodes radioactives d’environ 25 minutes et 2 jours.

[🤯 La période radioactive, également appelée “demi-vie” et notée T, est le temps au bout duquel la moitié des noyaux initialement présents se sont désintégrés. Cette grandeur est propre à chaque isotope et peut énormément varier d’un isotope à l’autre. À titre d’exemple, T=704 millions d’années pour l’uranium 235, T= 4,5 milliards d’années pour l’uranium 238 ou encore T=23,5 minutes pour l’uranium 239. Ainsi, pour 100 noyaux d’uranium 239, 50 se seront désintégrés au bout d’une période (23,5 minutes), 75 au bout de deux périodes (47 minutes), etc. 🤯]

McMillan fait le rapprochement entre l’élément de période 25 minutes relevé dans la première feuille et l’uranium 239 dont la période a été mesurée à 23 minutes par Meitner, Hahn et Strassmann en 1937. La présence d’uranium 239 uniquement dans la première feuille serait logique dans la mesure où, formé simplement par capture neutronique à partir d’uranium 238, il ne se déplacerait pas dans les autres feuilles, contrairement aux produits de fission qui sont expulsés “violemment” lors de la fission. Pour l’élément de période 2 jours, McMillan commence à penser qu’il est le produit de désintégration (β-) de l’uranium 239 (Z=92) et donc le fameux élément 93 (Z=92+1=93). Il perfectionne son dispositif expérimental afin de gagner en précision et évalue finalement les périodes à 23 minutes et 2,3 jours. Il résout ainsi une partie de l’énigme en confirmant la présence d’uranium 239 dans la première feuille.

En parallèle, Emilio Segrè, physicien italien qui faisait partie de l’équipe de Fermi à Rome et travaillant désormais à Berkeley depuis 1938, s’attache à caractériser les propriétés chimiques de l’élément de période 2,3 jours identifié par McMillan. Si cet élément est l’élément 93, il devrait avoir les propriétés chimiques de son homologue le plus proche : le rhénium. Or, Segrè, qui connaît bien la chimie du rhénium puisqu’il a découvert l’un de ses homologues en 1937 (l’élément 43 qui prendra le nom de technétium), montre que l’élément de période 2,3 jours n’a aucune propriété du rhénium mais se rapproche plutôt des “terres rares”. Dans la mesure où des terres rares sont produites lors de fissions nucléaires, Segrè conclut que l’élément de période 2,3 jours est un produit de fission et non l’élément 93. Mais au vu du comportement très différent de cet élément (déplacement quasiment nul) par rapport aux autres produits de fission, McMillan pousse plus avant les investigations.

Au printemps 1940, au hasard d’une rencontre, McMillan est rejoint dans ses recherches par Philip Abelson dont les compétences en chimie vont être précieuses. Ensemble, ils caractérisent finement les propriétés chimiques de l’élément de période 2,3 jours pour pouvoir le séparer de tous les autres éléments et montrent au passage qu’il se comporte comme l’uranium et non comme les terres rares. Enfin, en mesurant habilement les activités d’échantillons prélevés successivement dans une solution mère d’uranium 239 purifié, ils parviennent à démontrer que l’élément de période 2,3 jours se forme bien à partir de l’uranium 239. McMillan et Abelson viennent de découvrir le premier transuranien : l’élément 93. Ils accomplissent le rêve de nombreux physiciens qui cherchent ce Graal depuis 1934. Dans la continuité de l’uranium, nommé en hommage à la découverte de la planète Uranus, l’élément 93 prend le nom de neptunium (symbole Np), Neptune venant après Uranus dans les planètes du système solaire.

Formation du neptunium 239 à partir de l’uranium 238 (l’uranium 238 capture un neutron pour former l’uranium 239 qui se désintègre par radioactivité β- en neptunium 239)
McMillan prend la pose lors de l’annonce de la découverte du neptunium le 8 juin 1940 ©source

Si la peur est le chemin vers le côté obscur, l’élément 93 est celui vers l’élément 94 (ou presque). À l’automne 1940, McMillan réalise les premières expériences pour identifier le produit de désintégration (β-) du neptunium 239 qui devrait être l’isotope 239 de l’élément 94 (un émetteur α). Toutefois, il ne détecte qu’une faible activité α compte tenu de la très longue période radioactive de cet isotope (environ 24 000 ans). McMillan a alors l’idée de bombarder l’uranium, non plus avec des neutrons mais avec des deutérons (noyaux constitués d’un proton et d’un neutron), dans l’espoir de former un autre isotope de l’élément 94 avec une période radioactive plus courte et donc une activité α plus élevée. Son idée s’avère payante puisqu’il parvient à détecter une activité α considérablement plus forte. Cependant, il ne peut mener l’identification de l’élément 94 à son terme, la défense nationale faisant appel à lui à l’automne 1940 pour travailler sur le développement du radar.

[🤯 L’activité d’une source radioactive, notée a(t), est le nombre de désintégrations par unité de temps. Son unité est le Becquerel (Bq) qui correspond à une désintégration par seconde. L’activité est proportionnelle au nombre de noyaux présent initialement dans la source et inversement proportionnelle à la période radioactive de ces noyaux. Ainsi, pour un nombre initial de noyaux constant, une courte période radioactive implique un plus grand nombre de désintégrations par unité de temps et donc un plus grand nombre de particules émises, ce qui facilite la détection par les moyens de mesure. 🤯]

👹 Un cœur de démon

Vivant tous deux au Faculty Club de Berkeley et partageant un intérêt commun pour les transuraniens, Glenn Seaborg et McMillan se côtoyaient régulièrement. Après le départ précipité de McMillan en novembre 1940, Seaborg obtient sa bénédiction pour poursuivre les recherches sur l’élément 94. Il fait appel à Arthur Wahl, l’un de ses anciens étudiants, et Joseph Kennedy, un collègue du département de chimie.

Le 14 décembre 1940, sur la base des travaux initiés par McMillan, Seaborg, Wahl et Kennedy bombardent à l’aide du cyclotron leur première cible d’uranium avec des deutérons. Wahl isole ensuite une fraction de l’élément 93 dont l’analyse montre qu’il se comporte différemment du neptunium 239 pur identifié lors des expériences précédentes. Cet échantillon contient en fait un mélange de plusieurs isotopes du neptunium, notamment les isotopes 238 et 239. En outre, ils détectent au moyen d’un compteur Geiger une importante activité α qu’ils attribuent au produit de désintégration (β-) du neptunium 238, à savoir l’isotope 238 de l’élément 94.

Glenn Seaborg réglant un compteur Geiger en 1941 ©source

S’ils viennent probablement d’identifier l’élément 94, ils poursuivent les recherches afin d’obtenir une preuve chimique pour confirmer définitivement cette découverte. Ainsi, le 23 février 1941, ils montrent que cet élément est chimiquement différent de tous les autres éléments connus. Seaborg, Wahl et Kennedy viennent de découvrir le deuxième transuranien : l’élément 94. Dans la continuité de l’uranium et du neptunium, l’élément 94 n’échappe pas à la règle et tire son nom de la planète Pluton qui, dans la langue d’Hemingway, s’appelle Pluto. Bien que la logique tendrait vers le nom de plutium et le symbole Pl, Seaborg et ses collègues choisissent, pour des questions de sonorité, le nom de plutonium et le symbole Pu (qui se prononce “péhu”). Good choice.

Formation du plutonium 238 à partir de l’uranium 238 (un deutéron vient percuter l’uranium 238 pour former le neptunium 238 qui se désintègre par radioactivité β- en plutonium 238)

La découverte du plutonium s’est donc faite par son isotope 238 en empruntant un chemin quelque peu inattendu. Mais c’est bien l’isotope 239 du plutonium qui occupe tous les esprits. Les brillants travaux de Niels Bohr et John Wheeler, publiés en septembre 1939 et décrivant les mécanismes de la fission, ont permis de prédire que les noyaux lourds impairs en neutrons comme le plutonium 239 (N=145) sont fissiles, c’est-à-dire qu’ils peuvent subir une fission quelle que soit l’énergie des neutrons incidents, y compris des neutrons de faible énergie (neutrons dits “thermiques”). Cette propriété est loin d’être un détail puisqu’elle pourrait permettre la mise en œuvre de réactions en chaîne, notamment “explosives”. Jusqu’à présent, le seul isotope fissile connu est l’uranium 235 dont la possible application militaire fait l’objet de recherches depuis 1939.

En mars 1941, Kennedy, Seaborg, Segrè et Wahl bombardent avec des neutrons une cible de 1,2 kg d’uranium réparti dans un bloc de paraffine afin de ralentir les neutrons et augmenter ainsi le nombre de fissions. Cet astucieux dispositif expérimental leur permet de produire suffisamment de neptunium 239 pour identifier le plutonium 239 tant recherché dont ils obtiennent environ 0,5 µg. À partir de cet échantillon, ils prouvent, conformément à la théorie, le caractère fissile du plutonium 239 et montrent que sa section efficace pour des neutrons thermiques est encore plus grande que celle de l’uranium 235.

Sections efficaces de fission de l’uranium 235 (fissile), de l’uranium 238 (non fissile) et du plutonium 239 (fissile) en fonction de l’énergie des neutrons incidents ©source

Ainsi, le plutonium 239 rejoint l’uranium 235 dans le cercle très fermé des isotopes fissiles, candidats potentiels à la fabrication de bombes nucléaires. C’est dans le cadre de l’un des plus grands projets de l’histoire scientifique et militaire, le projet Manhattan, que le plutonium 239 et l’uranium 235 vont être produits à grande échelle avec les résultats que l’on connaît (mais ceci est une autre histoire). Les deux publications relatives à la découverte du plutonium, datées des 28 janvier et 7 mars 1941, ainsi que celle sur les propriétés fissiles du plutonium 239, datée du 29 mai 1941, ne seront publiées qu’en 1946 et en partie expurgées pour des raisons évidentes de confidentialité au regard de leur contenu “sensible”.

🍇 Les raisons de la colère

En réalisant des expériences similaires, consistant peu ou prou à jeter des neutrons à la figure de noyaux d’uranium, McMillan put observer le premier transuranien alors que Fermi, Hahn et consorts n’y étaient pas parvenus auparavant. Dans la mesure où les lois de la physique sont immuables, cela mérite bien quelques explications.

En pratique, il semblait difficile pour Fermi, Hahn, Meitner et Strassmann d’observer des transuraniens compte tenu de la faible intensité des sources de neutrons dont ils disposaient (des sources α-béryllium), ces sources ne pouvant produire qu’une quantité infinitésimale des éléments recherchés. Cette infime quantité d’éléments avec une période radioactive plutôt longue générait de facto une faible activité, rendant difficile leur détection. De leur côté, McMillan et Seaborg utilisaient le cyclotron de Berkeley qui délivrait une source des millions de fois plus intense leur permettant de produire des quantités suffisantes pour être détectables (fallait-il encore les détecter…).

Par ailleurs, des principes communément admis jusque-là brouillèrent quelque peu les pistes pour Fermi, Hahn, Meitner et Strassmann dans la quête des transuraniens. Avant la découverte de la fission, il paraissait acquis que les éléments produits par bombardement neutronique étaient toujours “voisins” de l’élément bombardé (Z proche). Ainsi, en montrant que les éléments issus du bombardement de l’uranium n’étaient pas des éléments connus et voisins de l’uranium, Fermi conclut qu’ils devaient certainement être des transuraniens. La découverte de la fission montra que ces supposés transuraniens n’étaient finalement que des produits de fission.

Il paraissait également acquis que les éléments d’une même colonne du tableau périodique (les fameux homologues) disposaient de propriétés chimiques similaires. Ceci est vrai à la condition que l’ordonnancement du tableau périodique soit exact, ce qui n’était pas le cas. Segrè en fit les frais en démontrant que l’élément de période 2,3 jours découvert par McMillan n’était pas l’élément 93 dans la mesure où ses propriétés chimiques différaient de son prétendu homologue le rhénium. Comme évoqué précédemment, McMillan et Abelson démontrèrent que cet élément était bien l’élément 93 avec des propriétés proches de l’uranium. Dans leur publication de juin 1940, ils indiquaient que :

Il est intéressant de noter que le nouvel élément a peu de ressemblance, sinon aucune, avec son homologue le rhénium […]. Ce fait, ainsi que la similarité apparente avec l’uranium, suggère qu’il pourrait y avoir un second groupe de “terres rares” d’éléments similaires commençant par l’uranium.

Le groupe des terres rares est constitué (principalement) d’une famille de 15 éléments consécutifs allant du lanthane (Z=57) au lutécium (Z=71), appelés aujourd’hui lanthanides. Cette série d’éléments disposant de propriétés chimiques très proches induit un ordonnancement particulier du tableau périodique. Les lanthanides sont ainsi affectés à une même case du tableau et représentés dans une ligne spécifique située en dessous du tableau. McMillan et Abelson pressentirent que l’uranium (Z=92) et le neptunium (Z=93), dont les propriétés sont proches, appartenaient à un nouveau groupe semblable à celui des terres rares et commençant par l’uranium. En 1945, Seaborg élargit cette proposition en formulant l’existence de la famille des actinides, constituée des éléments allant de l’actinium (Z=89) au curium (Z=96). À l’instar des lanthanides, les actinides sont désormais affectés à une même case du tableau périodique et représentés dans une seconde ligne spécifique située en dessous du tableau.

Tableau périodique des éléments en 1945 ©source
Tableau périodique des éléments actuel ©source

🚀 Épilogue

La découverte des premiers transuraniens ne fut pas un long fleuve tranquille et de brillants physiciens s’y cassèrent les dents. Si certains comme Enrico Fermi, Otto Hahn, Lise Meitner et Fritz Strassmann prirent des produits de fission pour des transuraniens, d’autres comme Emilio Segrè prirent des transuraniens pour des produits de fission. Venant de scientifiques de cette envergure, c’est dire à quel point la tâche fut difficile. Mais leurs recherches ne furent pas vaines, cette quête des transuraniens permettant des découvertes majeures comme la fission nucléaire.

Les deux premiers transuraniens furent finalement identifiés par Edwin McMillan et Glenn Seaborg en 1940 et 1941. Ils obtinrent le prix Nobel de chimie en 1951 pour “leurs découvertes dans la chimie des éléments transuraniens”. Un prix amplement mérité pour des découvertes ouvrant un nouveau chapitre de la physique nucléaire. La quête des transuraniens se poursuivra inexorablement avec la découverte des éléments 95 (américium) et 96 (curium) en 1944… jusqu’à celle de l’élément 118 (oganesson) en 2002, l’élément le plus lourd connu à ce jour.

Ce jour-là, des atomes ont écrit l’histoire.

💡 Sources (Redde Caesari quae sunt Caesaris)
Enrico Fermi, Possible Production of Elements of Atomic Number Higher than 92, Nature, Volume 133, 1934.
Lise Meitner, Otto Hahn, Fritz Strassmann, Über die Umwandlungsreihen des Urans, die durch Neutronenbestrahlung erzeugt werden, Zeitschrift für Physik, Volume 106, 1937.
Edwin M. McMillan, Radioactive Recoils from Uranium Activated by Neutrons, Physical Review, Volume 55, 1939.
Emilio Segrè, An Unsuccessful Search for Transuranic Elements, Physical Review, Volume 55, 1939.
Niels Bohr, John A. Wheeler, The Mechanism of Nuclear Fission, Physical Review, Volume 56, 1939.
Edwin M. McMillan, Philip H. Abelson, Radioactive Element 93, Physical Review, Volume 57, 1940.
Glenn T. Seaborg, The Chemical and Radioactive Properties of the Heavy Elements, Chemical & Engineering News, Volume 23, 1945.
Glenn T. Seaborg, Edwin M. McMillan, Joseph W. Kennedy, Arthur C. Wahl, Radioactive Element 94 from Deuterons on Uranium, Physical Review, Volume 69, 1946.
Glenn T. Seaborg, Arthur C. Wahl, Joseph W. Kennedy, Radioactive Element 94 from Deuterons on Uranium, Physical Review, Volume 69, 1946.
Joseph W. Kennedy, Glenn T. Seaborg, Emilio Segrè, Arthur C. Wahl, Properties of 94(239), Physical Review, Volume 70, 1946.
Glenn T. Seaborg, Emilio Segrè, The Trans-Uranium Elements, Nature, Volume 159, 1947.
Edwin M. McMillan, The transuranium elements: early history, Nobel Lecture, December 12, 1951.
Glenn T. Seaborg, The transuranium elements: present status, Nobel Lecture, December 12, 1951.
Glenn T. Seaborg, Nuclear Fission and Transuranium Elements — Fifty Years Ago, Journal of Chemical Education, Volume 66, 1989.
Bernard Fernandez, De l’atome au noyau : Une approche historique de la physique atomique et de la physique nucléaire, Ellipses, 2006.
Frédéric Mayet, Physique nucléaire appliquée, 3e édition, De Boeck, 2022.

Dans leurs discours prononcés lors de la remise du prix Nobel en 1951, Glenn Seaborg et Edwin McMillan font un état des lieux détaillé et passionnant de la découverte des premiers transuraniens.

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Bertrand Pelloux
Une brève histoire de l’atome

Passionné d’histoire, de géopolitique et de physique nucléaire, je vous propose un voyage ludique au cœur de l’incroyable épopée de l’énergie nucléaire.