La loi du marché

Stéphane Becker
Une histoire de numérisation
4 min readApr 19, 2017

Qui ne se souvient pas de cette époque où pour certains artisans, la seule lutte pour la visibilité consistait à avoir un nom utilisant les premières lettres de l’alphabet afin d’être référencé en premier dans les pages jaunes. C’était l’époque des 123 Serrurerie et autre ABC Plomberie. Cette époque là, la génération de jeunes adultes qui consomment à présent vos services et produits, elle ne l’a pas connu, pour elle, le réflexe naturel quand un besoin se fait sentir, c’est d’aller faire un tour sur internet.

Les inimitables pages jaunes !

Pour pas mal d’artisans, qu’ils soient chauffeurs de taxi ou plombier, la présence sur internet n’avait longtemps été vue que comme un annuaire de plus. Un endroit où il fallait être à minima présent parce qu’on ne sait jamais. On se concentrait sur les valeurs sûres que constituait l’annuaire mais on plaçait quelques billes sur d’autres support (minitel, puis internet) au cas où.

Si au départ les premiers services sur internet ressemblaient assez à une transposition numérique du papier, on a rapidement vu apparaître des outils un peu plus évolués qui associaient cartographie et service afin par exemple de trouver le pressing le plus proche de chez vous, voire même déjà de comparer les services à distance.

Il y avait plus d’informations disponible en ligne mais surtout on pouvait manipuler cette information et du coup il y avait une vraie prime à agglomérer un maximum d’information afin de permettre l’usage d’outils performants de consultation.

Sous la pression des internautes qui voulaient trouver l’ensemble de l’offre disponible au même endroit ce sont alors développés des places de marché avec des précurseurs tels qu’eBay ou Amazon. Elles permettaient la mise en relation entre une offre d’un côté et une demande de l’autre. Pour l’internaute c’était la possibilité de rapidement voir l’ensemble des offres disponibles pour un même produit et de faire le choix le plus pertinent possible.

Ce qui était possible pour des produits l’est aussi pour des services : sont alors apparus les plateformes de voyagistes qui utilisaient l’agrégation d’informations des différentes compagnies aériennes pour se placer comme l’interface de commande du client. L’idée était simple ; à l’age de l’internet, celui qui possède la relation avec le client final commande à la chaîne de valeur. Et c’est ainsi que les Trip Advisor de ce monde ont commencé à absorber la valeur ajoutée de la dite chaîne de valeur, en tordant au passage le bras des acteurs qui ne voulaient pas collaborer.

Cette école californienne de la startup qui prône globalement des stratégies où l’on ne fait pas de quartier a trouvé son ultime incarnation dans Uber, la startup qui a pour but de remplacer les taxis et qui s’est même substantivée avec le temps. On “ubérise” à présent des pans entiers de l’économie et autant le dire, cela ne se passe pas dans la joie et la bonne humeur pour les secteurs concernés.

Le constat est en fait assez simple : ces services comme Uber, et dans une moindre mesure Trip Advisor, ne sont pas des places de marché. Dans une place de marché, les vendeurs sont libres de pratiquer les prix qu’ils souhaitent. Ils vont certes adapter leurs prix à ceux de la concurrence comme on peut l’observer sur des sites comme Amazon, mais libre à eux de réagir ou non. Or sur un site comme Uber, le rapport de force est tellement en faveur du titulaire de la plateforme que ce dernier se permet de fixer lui même les tarifs et de finalement transformer le service fourni en commodité.

Alors finalement, que faire ? Il existe en effet de nombreux métiers, dans l’artisanat par exemple, où on sent venir la vague de l’ubérisation. Cette dernière étant simplement l’expression de la volonté des clients finaux, elle est juste inéluctable. Mais inéluctable ne veut pas dire que l’on doit se laisser aller à “vivre heureux en attendant la mort”, comme le disait Pierre Desproges.

Mon conseil est alors assez simple, il faut organiser votre propre ubérisation, et si vous êtes dans un secteur avec un organisme représentatif fort, c’est à lui d’organiser cette transformation digitale en trouvant les bons acteurs à mettre autour de la table.

Ce n’est pas une opération facile, car il faut vraiment avoir une approche “startup” de cette “plateformisation” pour obtenir une transformation pertinente de l’activité. Mais si vous ne vous occupez pas de cela, quelqu’un d’autre le fera, et à ses propres conditions.

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Stéphane Becker
Une histoire de numérisation

CEO à Method In The Madness. Geek. Gamer. Développeur. Entrepreneur.