Attention, les vieilles gloires du rap sont de retour !

Ces quinze dernières années, le hip-hop a pris un tournant à 180 degrés, entre grosses basses et grosses ficelles. A tel point qu’on aurait du mal à croire que le rap de 2017 et celui de 1993 se réclament du même genre musical. Oui mais voilà, les dinosaures de la discipline ont décidé de redonner de la voix, histoire de montrer de quel bois ils se chauffent. Et ça fait mal. Compilation.

The upday team
Le blog d’upday
6 min readOct 17, 2017

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Jay-Z en concert à Taipei en 2006

Le 11 novembre 2016 est à marquer d’une pierre blanche pour le monde du hip-hop. Après dix-huit ans d’absence, le groupe mythique A Tribe Called Quest sortait un nouvel album, intitulé We Got It from Here… Thank You 4 Your Service (“A partir de maintenant on reprend les rênes… Merci pour votre service”). Ni plus ni moins.

Loin d’être un événement isolé, le retour d’A Tribe Called Quest semble annoncer une tendance du moment. Nostalgie du rap “old school”? Volonté de faire du neuf avec du vieux? Opposition aux jeunes pousses de la discipline et leur usage outrancier de l’autotune (PNL, Damso, Jul…)? Le succès du rap des années 80-90 n’est plus à prouver, et les dieux du hip-hop reprennent le micro.

Pour le meilleur et pour le pire. Jugez plutôt.

Wu-Tang Clan, “The saga continues” (sortie le 13 octobre 2017)

S’il fallait nommer un groupe symbolique du hip-hop old school, le Wu-Tang Clan serait un bon candidat. Style incisif, instrumentation élégante, paroles intelligentes et engagées : le Wu-Tang représente la quintessence du rap originel, avant l’arrivée de la mode bling-bling et du gangsta rap des années 2000.

Mais le problème pour ses fans, c’est que le groupe a moins souvent été un groupe qu’une addition d’individualités. A partir du milieu des années 90, tous ses membres ont commencé à se fendre de multiples albums solos, au détriment de la cohésion générale. Les Parisiens s’en souviendront : en 2015, le “groupe” s’est produit au Zénith sans ses quatre membres stars (Method Man, Raekwon, RZA et Ghostface Killah). Sur scène n’était présente que la moitié du Wu-Tang. Pour un “clan”, c’est bof.

Bonne nouvelle : le groupe a enfin décidé de se réunir autour d’une table. Son nouvel album, “The saga continues”, est sorti le 13 octobre. Et à l’instar du premier single dévoilé en début de mois, en featuring avec Redman, il semble rester dans la continuité des premiers opus du clan.

Des petites notes de piano par-ci, des allitérations bien senties par là et des rues crasseuses dans le clip, la formation new-yorkaise semble proclamer, comme Jennifer Lopez, qu’elle vient toujours du block. Si l’album entier est dans la même veine que “People say”, on pourra continuer à faire “Wouh” devant le clan du tang.

MC Solaar, “Géopoétique” (sortie prévue le 3 novembre 2017)

L’auteur de Caroline, Bouge de là et Solaar pleure, qu’on avait surtout vu avec Les Enfoirés ces derniers temps, revient cette année après une absence d’une bonne décennie.

A en croire le titre de son album, qui sort le 3 novembre, MC Solaar reste dans la veine qui lui a donné ses lettres de noblesse : du romantisme, du jeu de mots, du violon, de la politique et des envolées wagnériennes.

Le premier single, “Sonotone’, est une belle ode au vieillissement. Ce qui ne l’empêche pas de mettre à profit les arrangements sonores modernes. Si ça ressemble parfois à de l’euro-dance serbe, ça remplit son contrat : c’est efficace et entêtant.

Et question écriture, on dira ce qu’on voudra, mais Claude MC est toujours dans les tout meilleurs. Extrait choisi : “Si les mots sont pioches c’est ma tombe qu’ils creusent”. Charles Beaudélire.

Iam, “Rêvolution” (sortie en mars 2017)

Iam c’est l’époque où le rap marseillais concurrençait celui de Paris, l’époque des survêtements Lacoste, l’époque de “La haine”, d’un OM au sommet de l’Europe, des banlieues à peine émergentes.

Avec sa bonne humeur, ses chroniques de la loose moderne et ses refrains entraînants, Iam était parvenu à émerger du petit milieu consanguin du hip hop pour accéder au sommet des charts. Preuve de son succès : le collectif marseillais remportera deux Victoires de la musique pour son album “L’école du micro d’argent”.

Problème : Iam est devenu tellement mainstream que quand il décide de retourner vers l’expérimentation et une musique moins accessible, le succès n’est plus au rendez-vous. Preuve en est la réception mitigée de ses albums à partir de 2003.

Avec ce nouvel opus, Rêvolution, le groupe d’Akhenaton a visiblement décidé de se montrer plus accessible. Prenons par exemple le deuxième single, Monnaie de singe, qui si l’on occulte les “Freedom!” déclamés toutes les vingt secondes, ressemble quand même à s’y méprendre à un précédent titre d’Iam. Comme un grand frère et un Petit frère.

Jay Z, “4:44” (sorti le 30 juin 2017)

Voilà des années que Sean Carter, aka Jay Z, n’est plus considéré comme un gangsta, un vrai, le genre à écrire des paroles incendiaires aux côtés de feu Notorious B.I.G. Quand on pense que le chéri de Beyonce proclamait il y a 20 ansIt’s a hard knock life for us” dans son Ghetto anthem, on a presque envie de rire.

Car Jay-Z est avant tout devenu un “mari de”, un businessman, un patron de boîte, un producteur. Tout sauf un rappeur. En tout cas pas le rappeur qu’il fut jadis, pas celui qui vendait lui-même ses disques.

Et voilà que cette année, entre un vernissage de galerie et des vacances à Ibiza, Jay-Z s’est souvenu d’où il venait. Le résultat, sous la forme d’un album jaune crème, est épatant. Car le talent, on a beau le noyer dans le whisky, difficile de s’en dépêtrer.

Les basses sont claires, les beats point trop retouchés et les paroles incisives mais pas trop (disons que le sieur Carter ne pouvait pas non plus s’opposer à 100% à ses amis millionnaires). En fait, c’est du Jay-Z, mais un vieux Jay-Z, un Jay-Z stoïque, un Jay-Z sage. Un homme qui par ailleurs revient sur ses fréquentes infidélités, rabat son ego et rend hommage à sa femme et ses enfants.

Un beau mélange en somme. Et en parlant d’ami des riches, son single The story of O.J. paraît bien d’actualité.

Don Choa, EP 4 titres (sortie le 8 mars 2017)

Pour les vieux de la vieille, Don Choa c’est la Fonky Family. Une formation de jeunes rappeurs marseillais, bien plus emblématiques de la cité phocéenne que tous les autres groupes. Parce que la FF c’est authentique, ça respire les quartiers nord à plein nez, c’est rempli d’accents chantants et d’expressions folklos. Premier couplet de la chanson phare du premier album, Si dieu veut (1997) :

De Mars on part en croisade contre l’état avare représente les quartiers dits sensibles en France et Navarre
Regard hagard sous pétard on traque les nantis
Bombs Whisky gonzes et c’est r’par-ti on s’pré-tend pas prof donc on donne pas d’le-çon cracheur de mots sans rémission sur des Fonky-sons

C’est r’parti. Ou plutôt c’est parti, tout court. Car la FF de Mars a publié son album phare dans les années 90, puis un deuxième en 2001, qui lui assurera une pérennité dans les médias mainstream. Le troisième album, beaucoup plus confidentiel, sortira en 2006. Depuis, plus rien.

Heureusement l’inspiration est toujours là, et les membres de la FF continuent de composer chacun de leur côté : Tunisiano, Le Rat Luciano et donc Don Choa. Le problème c’est que ce dernier, considéré par beaucoup comme le plus talentueux du groupe, n’est pas du genre prolifique. Pas d’album depuis des années, juste un titre par-ci par là, histoire de se rappeler au bon souvenir de ses fans.

Et voilà que le 28 avril dernier sort son EP de 4 titres, glanés au gré de ses publications des dernières années. Parmi, Vieille Gloire, pour vos oreilles. Bon, le refrain est toujours un peu le même, à l’instar de Mc Solaar et Iam : j’ai eu du succès, aujourd’hui beaucoup moins, mais je peux toujours composer correctement malgré mes rhumatismes. Mais l’essentiel est là : c’est efficace.

Matthieu Carlier, journaliste upday France

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