Le Duel Littéraire de la Rédac #2 : “Le jour d’avant”, de Sorj Chalandon

À l’occasion de la rentrée littéraire, nos journalistes ont sélectionné quelques livres qui font sensation pour les passer au grill. Cette semaine, “Le jour d’avant” de Sorj Chalandon, l’histoire d’une vengeance dans le monde de la mine. Attention, ça tâche !

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4 min readSep 21, 2017

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Marion, en pleine lecture

Ça parle de quoi ?

Décembre 1974. A Liévin (Pas-de-Calais), une explosion dans une fosse tue 42 mineurs. Le frère du narrateur Michel Flavent fait partie des blessés et succombe quelques jours après le drame. Michel n’aura de cesse d’alimenter sa rancoeur face aux responsables de l’accident, en érigeant un véritable autel secret au monde de la mine. 40 ans plus tard, après avoir rassemblé les éléments nécessaires à sa vengeance, il décide de passer à l’acte.

La fosse de Liévin le jour de l’accident (Google)

On en pense quoi ?

Marion Ablain, journaliste, aime autant Zweig que Bukowski.

“Six pieds sous terre, Jojo, tu frères encore.” En une phrase tout est dit. Six pieds sous terre, c’est la mine et la dure labeur des ouvriers. Ce sont ces gueules noires qui “fouillaient la terre pour éclairer le pays, chauffer les familles, produire le ciment, le béton, goudronner nos routes”. Six pieds sous terre, c’est aussi la tombe, la mort. Celle que Jojo va rencontrer trop tôt, ce jour de décembre 1974.

Mort ou vivant Joseph reste le frère et l’enfant chéri dont la disparition va hanter le narrateur. Alternant entre deux époques, le lecteur suit le cheminement de Michel, de son enfance paysanne dans les corons à sa vie parisienne d’adulte. Du choc de la mort brutale de son frère aîné à son désir grandissant de vengeance.

Plus que l’univers minier, qui vient ici servir de décor (journaliste à Libération lors de l’accident de Liévin, Sorj Chalandon a suivi ces événements de près), c’est bien de la perte d’un proche et de ses conséquences sur ceux qui restent qu’il est question. Il y a le frère, d’abord, puis le père (“Mon père est tombé dans nos bras. Lourdeur de son corps mort. Sa tête a frappé le ciment.”) et enfin l’épouse. Comment survivre aux autres ? En s’inventant une autre vie, peut-être. En se racontant des histoires pour tromper la réalité jusqu’à ce qu’elle vous rattrape.

Le mot de la fin. Le Jour d’avant fait partie de ces ouvrages dont on ne peut s’empêcher de corner les pages pour se souvenir des phrases qui claquent. Il y en a beaucoup, le livre en sort abîmé, mais le lecteur comblé.

Matthieu Carlier, journaliste, lit des romans (et en a écrit un!)

L’ambition est une qualité, à condition d’en avoir les moyens. Ecrire sur le monde de la mine, c’est courir le risque d’être systématiquement comparé à Zola. Et 99% du temps la comparaison tourne à l’avantage du vieil Emile. Ne laissons pas durer le suspense plus longtemps : Sorj Chalandon ne fait pas partie du 1% restant. Ou quand l’ambition devient un problème.

Car des problèmes, Le jour d’avant en présente quelques uns. Son histoire, d’abord, est bancale. Elle amène le lecteur à se poser une multitude de questions auxquelles il n’obtiendra jamais que des bribes de réponses. Pourquoi la vengeance de l’anti-héros survient-elle aussi tard ? Pourquoi, soudain, tombe-t-il dans le mutisme dans la deuxième partie, lui si verbeux dans sa narration à la première personne ? Et que veut dire cette étrange antre du fétichisme minier dans laquelle il aime se réfugier ?

Mais au-delà des errements de l’histoire, le style est un peu comme le “pain d’alouette” qu’ingurgitent les mineurs de Liévin : lourd et indigeste. Etait-il réellement nécessaire d’employer une écriture aussi larmoyante pour nous faire ressentir le désespoir de la mine ? Morceaux choisis: “Saint-Amé a fait de ma famille des victimes et de moi un criminel”, ou : “Elle avait vu la mort ou croisé la beauté”, ou encore : “Chacun de mes mots pesait une vie”. Un dernier pour la route, particulièrement bourratif : “Les nuages murmuraient la pluie”.

Si descendre à la mine est un calvaire, Chalandon a su en recréer l’expérience. Malgré lui, malheureusement. Ses phrases sont saccadées, hachées, empreintes d’une grandiloquence désuète. Comme elles n’ont aucun liant et pourraient fonctionner de manière totalement indépendante, le rythme meurt lentement mais sûrement, comme un mineur malade des poumons. On ne s’y attache pas, comme on ne s’attache pas à ses personnages (tous interchangeables).

Le mot de la fin. C’est peut-être l’auteur lui-même qui a trouvé le plus beau commentaire sur son propre récit. “C’est Zola, sans le talent”, dit un de ses personnages, évoquant la vie du héros. Zola. Sans le talent.

Pour en savoir plus

Pour Atlantico, ce roman est excellent. Franceinfo a posé 5 questions à Sorj Chalandon.

“Le jour d’avant”, Sorj Chalandon, Grasset, 326 pages, 20,90€

Retrouvez Le duel littéraire de la Rédac #1 : La Géopolitique du Moustique, d’Erik Orsenna

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