Levothyrox : où en sont les malades français ?

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5 min readSep 7, 2018

Par Mélissa Perraudeau, journaliste upday France

Lundi 3 septembre 2018, un rapport “sur l’amélioration de l’information sur le médicament” était remis à la ministre de la Santé Agnès Buzyn. Sept problèmes récurrents dans les crises comme celle liée au changement de formule du Levothyrox y étaient identifiés, dont la “minimisation du ressenti des malades et de la légitimité de leurs signalements”. Une petite reconnaissance de la souffrance rapportée par des dizaines de milliers de patients, qui n’en marque toutefois pas la fin.

Des mois d’errance médicale

C’est en mars 2017 qu’arrive dans les pharmacies françaises la nouvelle formule du Levothyrox. Elle a été commandée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) au laboratoire allemand Merck en 2012 afin de rendre le produit plus stable dans le temps. Ces petits comprimés blancs sont pris quotidiennement par 3 millions de malades français de la thyroïde, à qui il permet de pallier le manque ou l’excès de production d’hormones thyroïdiennes, équilibrant ainsi le métabolisme. Le médecin généraliste Philippe Sopena, l’un des conseillers médicaux de l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT) nous a expliqué qu’avant 2017, ce médicament, le plus vendu en France en dehors du paracétamol, était parfaitement supporté par les malades. Puis si le principe actif, la levothyroxine, est resté le même, les excipients ont changé : dans la nouvelle formule du Levothyrox, le lactose a été remplacé par du mannitol et de l’acide citrique.

Ce sont ensuite plus de 31.000 patients qui ont fait un signalement de pharmacovigilance, contre environ 10 par an avant la modification. 14 décès ont par ailleurs été comptabilisés par l’ANSM, sans qu’un lien direct avec la nouvelle formule ne puisse être formellement établi, comme le pointe Pourquoi Docteur. Les effets indésirables rapportés par les malades vont de la fatigue intense aux douleurs articulaires et musculaires, en passant par des vertiges, des troubles du sommeil et de la mémoire, ou encore des chutes de cheveux. Beaucoup font le lien entre leurs symptômes et le comprimé en juin 2017, lorsque la mobilisation des malades atteint les médias. La pétition lancée le 24 juin pour réclamer le retour de l’ancienne formule rassemble désormais plus de 300.000 signatures.

Des alternatives limitées

Pour le Dr Sopena, si le buzz produit par les patients a éventuellement pu gonfler le nombre de signalements, “il est incontestable qu’il s’est passé quelque chose que nous ne comprenons pas”. Pour cause : les deux tiers des personnes qui allaient mal avaient des dosages normaux de TSH, l’hormone stimulatrice de la thyroïde. “Il s’agit d’un vrai problème scientifique”, martèle-t-il. C’est également ce que semble pointer le rapport du Comité technique de pharmacovigilance du 25 janvier 2018.
Ce dernier indique qu’une amélioration des symptômes est rapportée par “65% des patients ayant switché vers une autre spécialité”. Les Jours, qui enquête sur le sujet depuis plusieurs mois, rapporte que ce seraient près d’un million de malades qui se seraient détournés de la nouvelle formule du Levothyrox. Pour prendre l’une des alternatives lancées sur le marché français après la crise (L-Thyroxin Henning de Sanofi, Tirosint Caps des laboratoires Genevrier, Euthyrax de Merck…), ou pour revenir à l’ancienne composition, renommée l’Euthyrox. Quitte à l’acheter dans un pays voisin lorsqu’elle avait disparu du pays.

Désormais, l’alternative la plus vendue en France est celle de Sanofi, le L-Thyroxin Henning, toujours selon le Dr Sopena. Les patients n’ont toutefois pas tous arrêté les produits Merck à cause des effets secondaires : Jane, 60 ans, nous a expliqué ne pas avoir choisi l’Euthyrox après l’échec de la nouvelle formule par principe de précaution, ayant perdu toute confiance dans le laboratoire.
Une défiance partagée par beaucoup des malades ayant souffert avec la nouvelle composition. Il faut dire que si pour certain-e-s passer à l’une des alternatives a permis de supprimer les effets secondaires du Levothyrox, pour d’autres le changement est loin d’être miraculeux. Jane continue ainsi de perdre ses cheveux, a toujours des troubles du sommeil ou encore des douleurs aux jambes. Une autre malade de 69 ans n’ayant pas supporté la nouvelle formule a dû passer au L-Thyroxin, qui lui cause également des effets secondaires. Delphine, 48 ans, n’a elle pas encore trouvé le bon dosage de L-Thyroxin lui permettant de stabiliser sa thyroïde. Quant à Patricia, 53 ans, elle s’est vu prescrire l’Euthyral, qui n’a eu de cesse de faire fluctuer sa TSH d’un extrême à un autre, ajoutant aux effets indésirables considérables que le Levothyrox lui avait causés — elle évoque notamment des pertes de mémoire extrêmes, allant jusqu’à sa date de naissance. Pour cause : le Dr Sopena nous explique qu’il n’est jamais anodin de changer de formule pour la thyroïde, la levothyroxine ayant une marge thérapeutique étroite. “Tous les changements sont suivis de problèmes pour la patiente” insiste-t-il.

Quant aux patients ayant finalement retrouvé un équilibre avec l’Euthyrox, la stabilité risque d’être de courte durée : Merck veut en arrêter la fabrication, le brevet expirant au 1er janvier 2019 explique le Dr Sopena. Les intérêts économiques à l’oeuvre derrière le changement de formule s’inscrivent dans une opération commerciale décrite par Les Jours, qui ont également creusé les liens d’intérêts des endocrinologues ayant juré dans Le Monde que la crise du Levothyrox se limitait à un effet nocebo. L’enquête du site aurait également mis à jour des liens entre l’Agence du médicament et Merck.

Les malades montent au créneau

La composition du nouveau Levothyrox reste quant à elle officiellement sans danger. L’AFMT a pris les choses en main, et annoncé avoir fait réaliser à l’étranger des analyses pour comparer la nouvelle formule à l’ancienne. Des recherches montrant que la teneur en lévothyroxine est “gravement inférieure aux spécifications en vigueur”, et, surtout, “la présence, très anormale, de dextrothyroxine”, une molécule “qui pourrait expliquer les tableaux très atypiques observés chez de nombreux patients-victimes”. Une affirmation “infondée scientifiquement” selon le laboratoire Merck comme l’ANSM, rapporte franceinfo.

Pour trouver d’autres réponses, l’AFMT continue de mener des études indépendantes avec l’argent des malades. En parallèle, nombre d’entre eux se sont tournés vers la justice. En mars dernier, Les Jours comptabilisait 7000 plaintes, déposées devant différentes juridictions à travers le territoire. Des actions collectives ont été montées, dont une pour préjudice moral réunissant 4.115 plaignants à Lyon. Le lundi 10 septembre, un jugement sur le fond doit être rendu à Toulouse, où l’avocat du collectif des victimes du nouveau Levothyrox Occitanie a assigné le laboratoire Merck. Il représente près de 50 personnes demandant chacune 15.000 euros au titre du préjudice d’anxiété et 15.000 euros au titre du préjudice moral. Les victimes réclament également le maintien de l’ancienne formule du Levothyrox et une expertise pour fixer le préjudice corporel, indique France 3. A défaut de pouvoir le réparer.

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