Nos 5 questions pour comprendre la crise à Jérusalem

A la suite d’une fusillade le 14 juillet 2017 qui a coûté la vie à deux policiers israéliens dans la vieille ville de Jérusalem, des portiques de sécurité ont été mis en place aux entrées de l’esplanade des Mosquées. Une décision qui a ravivé les tensions : trois Israéliens et trois Palestiniens ont été tués dans des heurts entre manifestants et forces israéliennes. Le président palestinien Mahmoud Abbas a annoncé un “gel des contacts” avec Israël. Entretien avec Jean-François Daguzan, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique.

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4 min readJul 27, 2017

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REUTERS/Ronen Zvulun

L’installation des portiques de sécurité sur l’esplanade des Mosquées est perçue comme une véritable violation du statu quo de 1967. Dans quel contexte cela a-t-il été décidé ?

Pour comprendre la crise actuelle, il faut revenir à la guerre des 6 jours de juin 1967. Cette “guerre éclair” pour l’indépendance d’Israël a créé une Palestine morcelée : les Juifs détiennent une partie de la côte sur Gaza et un cordon qui va de Tel-Aviv à Jérusalem-Ouest. La vieille ville et la gestion des lieux saints arabes avec la mosquée Al-Aqsa et le Dôme du Rocher ont été placés sous le contrôle arabe jordanien par la statu quo de 1967 qui est toujours en vigueur. La circulation des individus sur l’esplanade des Mosquées, la logistique et l’entretien des lieux saints sont donc sous le contrôle jordanien. La répartition de l’exercice des cultes est extrêmement codifiée.

Pour autant, le statu quo a été bafoué à plusieurs reprises, notamment en 2015. Des Juifs orthodoxes radicaux sont venus prier à haute voix sur l’esplanade des Mosquées, lors des commémorations de la destruction des temples de Jérusalem. Les Palestiniens ont accusé Israël de ne pas respecter les règles et, surtout, d’être trop présents aux abords du lieu saint. Qu’est-ce qui change aujourd’hui ?
Pour les deux camps, par-delà les violences réelles subies, tout est perçu comme une provocation. Pour les Juifs les plus radicaux et les groupes orthodoxes, les monuments arabes ne devraient pas exister puisqu’ils sont bâtis sur un ancien temple de Salomon. Certains de ces groupuscules ont essayé, par le passé, de démontrer que la judéité de l’esplanade était entière et qu’ils avaient le droit de venir. La seconde intifada en 2000 a commencé par une provocation de l’ex-Premier ministre israélien, Ariel Sharon, venu se promener sur l’esplanade. Aujourd’hui nous assistons à une crise qui ne fait que se répéter. Un syndrome de paranoïa se propage dans les deux camps : tout ce qui touche au changement du statu quo est interprété comme une violation des règles. Lorsque les Israéliens ont souhaité mener des fouilles archéologiques, elles ont été perçues comme une agression par les Palestiniens, persuadés qu’il s’agissait d’un projet déguisé dans le but de détruire l’esplanade. Il en est de même dans la situation actuelle avec l’agression des soldats israéliens qui a donné lieu à la mise en place des portiques de sécurité, perçus comme une atteinte au droit des Palestiniens. Le moindre événement met le feu aux poudres car c’est symboliquement le lieu qui cristallise le plus de sentiments et de rancœurs entre les deux camps.

Les portiques de sécurité ont été retirés et seront remplacés par “une inspection de sécurité basée sur des technologies avancées” après les discussions avec le roi Abdallah II de Jordanie. Est-ce suffisant pour calmer les tensions ?
Des moyens de sécurité moins visibles comme des scanners qui permettent de détecter la présence d’armes seront mis en place. Le passage sous un portique a un aspect intrusif. Le renoncement du contrôle de la population par les Israéliens est une victoire hautement symbolique pour les Palestiniens, permettant de calmer les tensions. L’installation des détecteurs de métaux était en train de mettre en péril les relations avec la Jordanie, déjà difficiles, et aurait provoqué une levée des boucliers dans le monde arabe qu’Israël souhaitait éviter. Il s’agit aussi d’un enjeu symbolique majeur pour les Palestiniens : Jérusalem-Est est grignoté par les colonisations israéliennes, ce contre quoi la communauté internationale s’insurge et les Palestiniens tentent de lutter. Lentement mais sûrement, l’effet d’encerclement croit. L’esplanade des Mosquées reste l’unique dimension symbolique de la résistance palestinienne. C’est pour cela que l’enjeu est aussi important et résonne aujourd’hui.

Sur le plan politique, quel impact cette crise aura-t-elle pour Benyamin Netanyahou et Mahmoud Abbas ?
La majorité du Premier ministre israélien étant constituée en partie de groupes orthodoxes virulents, qui mènent une lutte de tranchée pour récupérer ce qu’il considère comme la partie manquante d’Israël, risque de l’affaiblir politiquement. Mais la reprise du dialogue et des négociations entre les deux hommes demeure la priorité dans les prochaines semaines. La grande difficulté, que ce soit pour Benyamin Netanyahou, Mahmoud Abbas et même le Hamas, concerne les groupes extrémistes qui empêchent la résolution du conflit israélo-palestinien. Aujourd’hui, la situation est bloquée et profite au terrorisme. La montée de Daech à Gaza en est l’illustration. C’est un problème sans fin et pour lequel les solutions n’émergent pas.

Qu’attendre de l’organisation de coopération islamique (OCI) qui se réunit le 1er août à Istanbul ?
Mise à part la condamnation d’Israël, rien de concret. Les membres de l’OCI vont exprimer leur préoccupation, mais il n’y a rien à en attendre. Le monde musulman est divisé sur les objectifs et les moyens d’obtenir l’indépendance de la Palestine. Les seuls qui peuvent avoir une véritable autorité, ce sont les États-Unis. Mais difficile de savoir comment pourrait agir l’administration Trump, même si le président américain a expliqué que régler le conflit israélo-palestinien était facile. Pour l’heure, il ne s’est toujours pas exprimé sur le sujet.

Propos recueillis par Aurélie Lalanne, journaliste à upday France.

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