On a lu “Tiens ferme ta couronne”, de Yannick Haenel

À l’occasion de la rentrée littéraire, notre journaliste sélectionne quelques livres qui font sensation pour les passer au grill. Cette semaine, “Tiens ferme ta couronne” de Yannick Haenel, le récit d’un homme qui veut entrer dans le monde du cinéma par la grande porte.

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Le blog d’upday
3 min readNov 9, 2017

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Gallimard

On en a pensé quoi ?

L’avis de Matthieu Carlier, journaliste (lit des romans et en a écrit un!)

La littérature française, amoureuse des tristes sirs, a cette tradition du loser magnifique. Un gars systématiquement solitaire, cynique et au chômage. Houellebecq est très fort en la matière. Ainsi que Djian, Jauffret et Céline, pour ne citer qu’eux.

Avec son portrait d’un écrivain qui veut devenir scénariste de cinéma, cloîtré chez lui à regarder en boucle ses scènes favorites d’Apocalypse Now, Yannick Haenel s’inscrit dans la tradition française de la solitude et de l’échec. Les rêves du personnage semblent trop gros pour lui, ses quêtes d’absolu trop colorées pour un monde gris et cloisonné, son quotidien trop flemmard pour parvenir à quoi que ce soit. Et bien sûr, on s’y attache, parce qu’on aime les doux rêveurs, on se dit qu’on vaut mieux qu’eux, ces losers.

D’ailleurs, son grand projet de vie, exposé dès les premières pages, est presque mignon : faire adapter à l’écran la vie d’Herman Melville, l’auteur de Moby Dick, et rencontrer des individus dont la tête a “l’intérieur mystiquement alvéolé”. On ne comprend pas trop pourquoi, mais on se dit pourquoi pas. Tout est dans le signe, l’invocation, l’assemblage d’images (comme quand Michael Cimino sort un revolver pour le pointer sur la statue de la Liberté).

La quête du daim

La littérature se nourrit de ces douces folies, ces projets sans queue ni tête qui n’ont de sens que pour le héros. Ça ressemble tout à fait au projet d’un loser magnifique. On espérerait presque qu’il échoue.

Seulement, pour que le loser soit magnifique, il faut qu’il rate tout. Il y a de la beauté dans les extrêmes, moins dans la modération. Et c’est un peu ce qu’on a envie de reprocher au personnage, cet écrivain à semi-succès (de son propre aveu), qu’on rencontre en semi-dépression et en semi-quête d’identité. On voudrait qu’il se plonge à fond dans son échec, ou qu’il réussisse pour de bon, pourvu qu’il fasse un choix.

Au fond sa vie semble presque belle : il réussit à rencontrer son idole Michael Cimino pour le persuader d’adapter son scénario, se met en couple avec une femme magnifique, amie d’Isabelle Huppert, ne se fait pas virer de son appartement malgré des mois de loyer impayé… Et pourtant, il s’obstine à tout gâcher, à se vautrer dans la semi-lose, à suivre ce “daim” qui l’obsède. Résultat : au fil des pages, on adhère de moins en moins à son combat. Sois magnifique, loser, ou ne sois pas !

Le verdict. C’est bien, c’est brillant parfois, mais on a du mal à s’y retrouver. D’où le héros tire-t-il ses obsessions ? Ces noms d’écrivains et de scénaristes qui lui tournent autour, d’où viennent-ils ? Et cette fascination pour les cervidés ? Et cette mollesse générale, ce manque d’envie de sortir de chez soi ? On ouvre le livre avec une question, on le referme avec quarante.

Ce qu’en pensent nos confrères : Si Bibliobs voit en Tiens ferme ta couronne une “déambulation hallucinée”, un “texte foisonnant de visions”, Télérama retient une “une mystérieuse, cocasse et poétique odyssée”. Enfin, pour Marianne, “on en ressort fourbu et ravi”.

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