Venezuela : trois ans d’escalade meurtrière

Affrontements entre manifestants et police, désertions de militaires, candidats à l’exil de plus en plus nombreux… Le Venezuela fait face depuis février 2014 à une crise historique. Décryptage.

The upday team
Le blog d’upday
5 min readAug 10, 2017

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Une véritable “attaque terroriste”, menée par des “mercenaires”. Nicolas Maduro, président du Venezuela, ne mâchait pas ses mots, ce dimanche 6 août, en réaction à l’assaut armé qu’a subi la base militaire de Valencia, revendiqué par un groupe d’officiers rebelles. Du côté de Caracas, l’heure n’est plus au consensus : après quatre mois d’affrontements entre manifestants et forces armées -qui ont fait plus de 110 morts à l’heure où nous écrivons-, la situation politique du pays vient de prendre un nouveau tournant.

Crédits: Juan Barreto

Car la vague de protestations avait commencé de manière pacifiste, aux premiers jours de l’année 2014. A l’époque, nombreux étaient les membres de l’opposition à prôner le dialogue avant tout. “Nous ne cherchons pas à destituer Maduro”, avait déclaré Henrique Capriles, leader du parti Primera Justicia. Avant d’ajouter : “Cette lutte n’est pas d’actualité”. D’autres avaient appelé à une mobilisation nationale pacifiste contre le gouvernement Maduro, à l’instar de Leopoldo Lopez, chef charismatique d’Unitad Popular, qui par la suite deviendra la figure de proue d’une lutte beaucoup plus radicale.

“Le Venezuela était le pays le plus riche d’Amérique latine. Aujourd’hui c’est l’un des plus pauvres.”

Les raisons de la grogne sont multiples et découlent les unes des autres : inflation rampante; pénuries de nourriture, de médicaments, de papier; augmentation de la mortalité infantile; explosion du prix de l’essence; exactions policières. “Jusqu’à très récemment, le Venezuela était le pays le plus riche d’Amérique latine, explique Mariana Zuniga, correspondante à Caracas, que nous avons interrogé. Aujourd’hui c’est l’un des plus pauvres, et ce malgré des ressources pétrolières énormes.” S’ajoute à cela une insécurité alarmante, due à la prolifération des armes à feu et aux multiples pénuries. “Aujourd’hui le nombre d’armes circulant dans le pays équivaut à la moitié de celui des Etats-Unis”, indique la journaliste.

Après la mort d’Hugo Chavez, leader du socialisme latino-américain et anti-étasunien, son successeur Nicolas Maduro canalise les rancoeurs, nées de quinze ans de rigueur, de confiscations, de privations et d’autoritarisme.

Premières mesures de répression

C’est en fait l’entrée en scène des étudiants, dès février 2014, qui va mettre le feu aux poudres. Les protestations et blocages débutent dans les universités de Mérida et San Cristobal, en réaction à des séries de cambriolages et agressions, avant de se propager à d’autres grandes villes, dont Caracas.

Avec les premières arrestations d’étudiants, le mouvement de contestation trouve une nouvelle cause : la libération des manifestants. La lutte s’étend rapidement à l’ensemble du pays, s’alimentant des multiples griefs qu’aura suscités Nicolas Maduro depuis le début de son mandat (en 2013), et prenant toujours un peu plus d’ampleur à mesure que les arrestations s’accumulent. Mariana Zuniga se souvient : “Les manifestations de 2014 n’étaient pas vraiment organisées. Elles reflétaient surtout un ras-le-bol général.”

Un mouvement désorganisé

Dès le 12 février 2014, étudiants et opposants politiques s’associent pour former la première manifestation d’ampleur à Caracas. Les premiers morts sont à déplorer, atteints par les balles tantôt en caoutchouc tantôt réelles des bataillons armés de la police, ainsi qu’une série d’agressions sur des journalistes étrangers (dont ceux de l’AFP) perpétrées par des militants pro-gouvernementaux. Par ailleurs une centaine de manifestants sont arrêtés, dont certains ne reverront jamais la lumière du jour.

Leopoldo Lopez, leader de l’opposition, fait partie des plus célèbres détenus. Arrêté le 18 février 2014 pour incendie volontaire et incitation à la sédition, il est jugé le lendemain et aussitôt incarcéré dans une prison militaire. Il ne sera libéré que trois ans plus tard, en juillet 2017.

Les affrontements entre étudiants et policiers se poursuivent en son absence. A Caracas, le quartier de Chacao, son ancien fief, traditionnellement riche et ancré à droite, devient un symbole de la lutte anti-Maduro. Mais, dépourvu d’entité organisationnelle et de lignes directrices, le mouvement s’essouffle peu à peu, jusqu’à être réduit à peau de chagrin. D’autant que les élections législatives de décembre 2015 donnent à l’opposition la majorité au sein du Parlement.

Pourtant la grogne est encore palpable dans les rues de Caracas. Selon une étude réalisée en 2016, 74,3% des Vénézuéliens auraient perdu une moyenne de 8,7 kg en un an et 9,6 millions de personnes mangeraient deux repas ou moins par jour. Les candidats à l’exil se massent à l’entrée des ambassades pour fuir le pays. Quant à la criminalité, elle ne s’est jamais aussi bien portée, au point de faire du Venezuela le deuxième pays le plus violent au monde, juste après le Salvador.

Les barricades fleurissent

C’est dans ce contexte que la Cour suprême de justice décide, en mars 2017, tour à tour d’annuler l’immunité parlementaire des députés et de s’arroger les pouvoirs du Parlement, qui rappelons-le était occupé en majorité par l’opposition. Une manoeuvre qui aura des conséquences immédiates, à la fois dans la rue et au sein de la classe politique. Julio Borges, président du Parlement, déclarera notamment : “Nicolas Maduro vient de commettre un coup d’Etat”. Il appellera ensuite le peuple à descendre dans la rue et demandera des élections anticipées.

Le président du Parlement Julio Borges (crédit: Juan Barreto)

Dès lors, et malgré la décision de la Cour suprême d’annuler la dissolution du Parlement, c’est l’escalade: les étudiants, beaucoup mieux organisés qu’en 2014, descendent à nouveau dans la rue, à Caracas d’abord, puis dans le reste du pays; en avril les partis d’opposition appellent à une grève générale; en juillet, un blocage d’envergure inédite est mis en place par les manifestants. Les barricades fleurissent à travers Caracas et les autres grandes métropoles vénézuéliennes.

Les morts se comptent désormais par dizaines, tombés sous les balles des forces de police et des colectivos, ces groupes paramilitaires pro-Maduro assemblés comme de véritables petits bataillons d’intervention : 40 en mai, plus de 70 en juin… On dénombre par ailleurs plus de six cents prisonniers politiques et trois mille arrestations de manifestants.

“Pour beaucoup, Maduro a détruit l’héritage de Chavez.”

Des militants pro-Chavez de la première heure rejoignent les rangs des dissidents, à l’instar de la procureure Luisa Ortega Diaz, considérée comme une traîtresse par le camp Maduro. “Les anciennes divisions entre classes sociales ont disparu, estime Mariana Zuniga. Pour beaucoup, Maduro a détruit l’héritage de Chavez.” Des élections symboliques sont organisées par l’opposition, auxquelles participent plus de de 7 millions d’électeurs, dont l’écrasante majorité s’exprime en faveur d’élections anticipées.

Le 5 juillet 2017 marque une nouvelle étape dans la crise vénézuélienne. L’armée empêche d’abord les députés de l’opposition d’entrer dans le Parlement, avant de les laisser entrer. Puis des colectivos, armés de lacrymos et d’armes à feu, entrent à leur tour dans le Parlement et séquestrent les députés pendant quasiment dix heures.

Après la nomination par Maduro d’une Assemblée constituante, fustigée de toutes parts non seulement à l’intérieur du pays mais aussi parmi la communauté internationale, le pays entre désormais dans une nouvelle phase de sa crise. Ce dimanche 6 août, des officiers de l’armée, avant d’assiéger une certaine base militaire, déclaraient dans une vidéo déjà historique : “Il s’agit d’une action civique et militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel et sauver le pays de la destruction totale.”

Matthieu Carlier, journaliste à upday France

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