Amora nos enfances

Le verre à moutarde décoré, marque une enfance en France après les années 60.

Emeline Brulé
Vaisselle ma belle
Published in
3 min readAug 26, 2020

--

une peinture d’un verre amora petit ours brun de jus d’orange avec une paille. Dans le fond, une télé, horloge, fenetre

La pop culture fédère autour de références communes à chaque classe d’âge. S’il y a toujours eu des cultures populaires enfantines, la production en grandes séries et l’évolution de la publicité ont accéléré et élargi la circulation de biens enfantins identiques, partagés, identificatoires. Ceux-ci rythment, puis rappellent l’enfance, l’enracinent dans une époque fantasmée et dans un groupe partagé. À l’âge adulte, ils peuvent acquérir une valeur nostalgique (le retro-gaming), monétaire (les beanies) ; ou encore marquer un attachement générationnel (‘enfant des années 90’) et à un endroit. C’est le cas des verres Amora pour les enfants ayant grandi en France.

Les verres Amora, c’est la vie et mon enfance. Pour moi c’est ma grand-mère et ma grande-tante qui en avaient chez elles. C’est le verre petit ours brun, qui était “le mien”.

Charles, 30 ans

En 1964, Amora introduit les pots de moutardes décorés par des illustrations commissionnées pour l’occasion des Fables de la Fontaine. C’est un succès, les familles tâchant de collectionner tous les pots. Pour leur publicité, à l’échelle française, ils investissent notamment dans les couvertures de cahier et les buvards. Les verres décorés sont à la frontière du monde scolaire et du monde familial.

Un buvard publicitaire. Source: https://www.reseau-canope.fr/musee/collections/fr/museum/mne/buvard-publicitaire-amora-verres-decores-la-fontaine/4168043d-b88d-4e3c-a453-9f9581fa63a2

Depuis cette première série, Amora produit chaque année des séries de pots illustrés limitées à 300 à 400 000 exemplaires, encourageant leur collection. Ils reprennent des personnages licenciés par des sociétés dont le public est uniquement enfantin et marque l’évolution des pratiques de consommation culturelle : il s’agit d’abord des personnages de bandes dessinées, puis de dessins animés (Candy, Tex Avery, Bibifoc, Les Chevaliers du Zodiaque). La pratique, pionnière, fonctionne et se répand. Nutella leur emboîte tardivement le pas à partir des années 90 et produit entre autre des verres à l’effigie de l’équipe française pour la Coupe du Monde de 1998. Les restaurants de fast-food (Quick, McDonald’s) proposent un nouveau verre par semaine, dans la même logique que celle des jouets offerts aux plus jeunes. Ce type de licence permet de publiciser de nouvelles oeuvres culturelles en les inscrivant dans l’univers quotidien tout en promouvant les produits supports.

Le site d’Amora décrit le verre à moutarde comme “madeleine de notre enfance,” se targuant de “trois générations de collectionneurs accrocs.” Il semble que ce succès soit principalement français. Les verres illustrés ne sont donc pas seulement des souvenirs d’une génération : ils font partie d’une enfance vécue en France, rythmée par les diffusions éditoriales, télévisuelles et cinématographiques. Amora produit une série par trimestre, cherchant explicitement à toucher différentes tranches d’âges et à jouer sur les différences genrées. Diffusés dans d’autres pays, dont l’Italie, ils ne semblent pas y avoir acquis le même statut.

Édité par Tiphaine Monange

--

--

Emeline Brulé
Vaisselle ma belle

I write about design, accessibility and social sciences. Had a hand in building h.ai. Lecturer at University of Sussex.