2119, les médias vus du futur

Partie 1: Le journalisme

Je m’appelle Attahir Owari et je suis historienne spécialisée dans le début du XXIe siècle. Nous sommes en 2119. L’endroit où je vis se dégrade de jour en jour et j’ai décidé de tenir un journal de bord hebdomadaire pour que les générations futures comprennent comment on en est arrivé là. J’essaie de comprendre et je cherche dans le passé des explications à notre présent et des anticipations de notre futur.

Attahir Owari, 2119

3 avril 2119,

Je me suis réveillée ce matin avec un léger mal de tête. Un nuage de radiations nucléaires est certainement encore passé au-dessus de notre district cette nuit. Je me suis tout de suite connectée sur l’inter-réseau du district 4. Il y a 100 ans les gens auraient appelé cela un « réseau social », et effectivement l’outil est le même mais l’utilisation qu’ils en ont est totalement différente. Après avoir avalé mes pilules nutritives hier soir, je me suis replongée dans mes archives sur les réseaux sociaux et plus largement les médias des années 2020. Je vous avoue avoir bien ri… Les gens étaient complètement fous… et pourtant avec du recul on s’aperçoit que chaque génération trouve les autres complètement folles.

En parlant de pilules nutritives, ça me fait penser qu’autrefois les gens n’en mangeaient pas. Ils s’alimentaient avec ce qu’ils appelaient de la « viande » et des légumes. Mais cette viande a disparu car les Hommes ont littéralement gaspillé toutes les ressources animales. Pourtant je crois savoir qu’il y avait énormément de préventions à propos de l’avenir de la planète dans absolument tous les médias. Les journalistes consacraient des reportages entiers pour sensibiliser les gens et beaucoup d’activistes pour le climat se regroupaient sur Facebook (un réseau social mondialement développé) … alors qu’est-ce qu’il s’est passé ? Pourquoi fait-il aujourd’hui 45 degrés alors que nous sommes en France et au mois d’avril ? Les médias avaient-ils un impact si important ? Je vais donc essayer, dans les semaines qui arrivent, d’analyser l’évolution des médias. Aujourd’hui je me questionne sur le journalisme. De nos jours, tout le monde prend très au sérieux les Journalistes Officiels, tout le monde les écoute et ils sont très respectés. Mais en 2019, ce n’était pas vraiment le cas….

Il semblerait qu’il y ait eu différentes opinions pouvant laisser entendre un paradoxe concernant la presse, à cause de l’émergence du numérique. Certains pensaient que le numérique provoquerait la mort du journalisme, surtout à cause des réseaux sociaux. Avec ces réseaux, chacun pouvait devenir journaliste à sa hauteur car chacun pouvait relayer de l’information. Les réseaux ont également participé à l’aliénation des utilisateurs dans une idéologie ; les gens, surtout les jeunes, décidaient qu’ils étaient suffisamment en contact avec de la presse en utilisant Facebook par exemple. Mais Facebook, de par le fonctionnement de ses algorithmes, proposait du contenu ciblé aux utilisateurs, restreignant l’ouverture d’esprit qu’ils auraient pu avoir en s’informant avec des supports proposant des contenus plus hétéroclites (tels que les journaux traditionnels). Les gens avaient associé, par habitude, journalisme et fiabilité. Mais avec la possibilité pour tout le monde de relayer de l’information, il était difficile de distinguer “journalisme fiable” et “fake news”. Ainsi le monde de l’information s’est vu pollué par des rumeurs, des théories infondées, des fake news, des informations approximatives dont l’interprétation était trop influencée par la subjectivité… sans possibilité de restreindre ces contenus sans remettre en cause la liberté d’expression.

Selon d’autres, le journalisme n’était pas en train de s’éteindre mais simplement d’évoluer. Les “médias traditionnels” (et le journalisme dont je parle ici en particulier) se sont adaptés en migrant vers des plateformes numériques et en continuant leur activité sur des sites internet par exemple. Cela n’empêchait pas pour autant la désinformation de se propager ni le journalisme de décroître en influence sur le quotidien des gens. Mais d’autres formes de journalisme se sont développées, le replaçant ainsi en tant que source privilégiée pour certaines personnes.

J’ai par exemple retrouvé l’article d’un blog dans lequel Benoît Raphaël explique que les journalistes sont presque devenus des influenceurs en proposant du contenu sous forme de podcasts (un format audio d’informations, disponible sur internet). Ils ont su s’adapter aux nouvelles pratiques de leur société. Dans les années 2030, le métier de journaliste a également muté en intégrant l’utilisation de robots : certains étaient déjà utilisés en 2019, par exemple pour retranscrire à l’écrit un discours oral (sous forme de sous-titres) sur des vidéos postées sur une plateforme nommée YouTube. Si les robots, et d’autant plus avec l’intelligence artificielle, sont capables de retranscrire les propos de quelqu’un, voire de directement l’interviewer puis d’écrire un article, quel rôle reste-t-il aux journalistes ?… Eh bien ceux-ci se sont adaptés en utilisant les nouvelles technologies de l’époque pour intéresser les gens, par exemple en proposant en 2030 des reportages immersifs grâce à la réalité virtuelle.

Au final, vous savez tous comment cela s’est terminé… le métier de journaliste a fini par disparaître, englouti par les évolutions technologiques et sociétales qui permettaient à n’importe qui de faire office de journaliste, sans que les sources des informations puissent être différenciées. En plus, n’importe qui pouvait communiquer avec une personne à l’autre bout du monde, puisqu’avec la création de la Nation Mondiale tous les habitants de la Terre avaient la même nationalité et se sont mis à parler la même langue. C’est pour cela qu’aujourd’hui des cours de journalisme sont obligatoires dès l’école primaire.

Notre société considère le métier de journalisme comme primordial pour garder du lien entre différents Districts et différentes Aréas, puisque après l’Effondrement la Nation Mondiale s’est divisée en Aréas qui ne communiquaient plus entre elles. Cette profession est très réglementée et chacun doit avoir des bases de journalisme au cas où l’État Suprême aurait besoin d’envoyer quelqu’un en mission de journalisme dans un autre District et qu’il n’y aurait pas assez de Journalistes Officiels (JO). Ces derniers sont très respectés et écoutés, et ont une très forte influence sur les citoyens puisqu’ils sont les seuls à pouvoir relayer de l’information. Nous avons encore pu le constater la semaine dernière, quand le célèbre JO Alekseï Jinh-Xho-Wo a écrit un article à propos des bienfaits nutritifs des chenilles à trompe vertes. Personne n’a remis en cause son article ni exprimé de suspicion et absolument tous les habitants du District 4 se sont mis à ajouter de la poudre de chenille à trompe verte dans leurs plats dès le lendemain. Vous trouvez surement que cela est normal, mais sachez qu’en 2019 toute une population ne se mettait pas à adopter un nouveau mode de vie juste parce qu’un journaliste (ou un influenceur) le préconisait. C’est peut-être pour cela que malgré tous les modes de vie alternatifs qui étaient proposés pour combattre la surconsommation de viande, le gaspillage, la pollution, l’Effondrement a quand même eu lieu…

Marie Désert : Chargée de Story et de mise en page

Capucine Hingrez : Auteur

Hannah Lee : Chargée d’études et d’image

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