Facebook en plein scénario du Titanic…

Depuis maintenant plus de deux semaines, nous découvrons la partie submergée de l’iceberg que Facebook a oubliée de nous montrer.

Un rappel ?

Un cabinet londonien spécialisé dans les études consommation et d’opinion politique, Cambridge Analytica, s’intéresse au travail d’un professeur en psychologie, Dr Aleksandr Kogan.

Il décide en 2014, de développer sa propre application, “ThisIsYourDigitalLife”. Celle-ci propose de payer des utilisateurs pour remplir des tests psychologiques en accédant à leurs données sur Facebook. Il déclare auprès du réseau social. qu’il collecte ces données pour ses travaux de recherche. Jusqu’ici, rien d’illégal.

Sauf qu’il oublie de préciser bien entendu, qu’il revend ces données à Cambridge Analytica.

Près de 270 000 personnes ont téléchargé l’application en pensant participer à une étude universitaire. Mais l’application en profite aussi pour collecter les données des amis Facebook de ses utilisateurs, sans que personne ne soit au courant. Au final, on estime entre plus de 50 millions et 87 millions de profils qui sont récupérés illégalement par Cambridge Analytica entre 2014 et 2015. Facebook a réalisé un graphique pour représenter la répartition des utilisateurs.

Une des plus importantes collectes illégales de données dans l’histoire de Facebook.

Détail : il ne s’agit même pas d’un piratage. Aleksandr Kogan a juste profité du fonctionnement normal de Facebook à cette époque. Malheureusement pour lui, Facebook a restreint l’étendue des données auxquelles les développeurs avaient accès en avril 2015.

Mais quel est le rôle de Cambridge Analytica dans cette affaire ?

Cette société est spécialisée dans les stratégies d’influence auprès de gouvernements et d’organisations, en particulier le marché de la politique américaine.

Un de ses premiers gros clients? Ted Cruz. Souvenez-vous, il était un des candidats de la primaire républicaine en 2016.

Par la suite, l’entreprise est engagée pour la campagne présidentielle du très apprécié, Donald Trump. Eh oui, rien que ça… Son objectif ? Optimiser le ciblage des audiences pour l’affichage des publicités en ligne et des appels aux dons.

Apparemment, elle aurait également collaboré avec le camp du Brexit, ce qu’elle dément officiellement.

Comment avons-nous été informé ?

Les médias anglo-saxons, le New York Times et le Guardian, ont simultanément publiés l’affaire le samedi 17 mars. Ces derniers ont mené une vaste enquête, avec notamment l’aide de Christopher Wylie, le spécialiste de l’exploitation de données de Cambridge Analytica et ex salarié de Cambridge Analytica, qui a rencontré le professeur Aleksandr Kogan. Par ailleurs, il a déclaré à propos de ses anciens employeurs : “Il n’y a pas de règle pour eux, ils veulent qu’une guerre des cultures ait lieu aux Etats-Unis. Cambridge Analytica devait être l’arsenal pour se battre”.

Ils ont dévoilé l’ampleur du scandale.

Sentant la polémique arriver, Facebook a tenté d’anticiper en publiant, la veille, un communiqué dans lequel il annonçait la suspension de Cambridge Analytica de sa plate-forme.

Quelles conséquences ?

Elles ont été immédiates.

Financièrement ? Dès le lundi suivant, son action s’est effondrée de 6,77%. En quelques jours, Facebook aura perdu perdu près de 60 milliards de dollars.

Politiquement ?

  • Déjà à propos du Royaume-Uni, où Cambridge Analytica est accusé d’avoir agi dans la campagne du Brexit. Une commission parlementaire a convoqué Mark Zuckerberg pour obtenir des explications. Par ailleurs, l’Information Commissioner’s Office (ICO) veut mener sa propre enquête en allant récupérer des informations sur les serveurs de Cambridge Analytica, basée sur place. Sa présidente a demandé à Facebook d’arrêter son enquête car elle pouvait potentiellement compromettre la leur.
  • En Europe, le président du Parlement européen, Antonio Tajani, a également invité Mark Zuckerberg a venir s’expliquer.
  • Aux États-Unis d’où venait la plupart des profils aspirés, l’affaire a pris un tournant judiciaire. Les procureurs des états de New-York et du Massachusetts ont lancé une enquête. En même temps, la Federal Trade Commission, le régulateur américain du commerce, a également ouvert une enquête à l’encontre du réseau social. De nombreux parlementaires ont multiplié les appels pour auditionner les dirigeants de Facebook voire d’autres sociétés comme Twitter ou Google.
  • En interne, de vives tensions sont apparues au sommet de la hiérarchie interne de Facebook. Selon le New York Times, Alex Stamos, chef de la sécurité de Facebook, aurait annoncé son départ. Celle-ci sera cependant effective qu’au mois d’août afin de s’assurer de la bonne transition de ses dossiers. Il a reconnu dans un communiqué avoir eu “des désaccords avec ses collègues”.
  • Son image de marque en prend un coup. Le réseau social basé sur la confiance, ne serait finalement pas tant protecteur que ça… Ce qui en ressort? Un mépris total des droits des utilisateurs à la privée et un manque de respect des données confiées à Facebook.

Une campagne devenue virale sur Twitter a été menée par certains utilisateurs avec le hastag #DeleteFacebook.

Ne serait-ce pas Brian Acton, le co-fondateur de WhatsApp, l’application rachetée en 2014 par Facebook?

Cependant, la suppression définitive de son compte peut prendre jusqu’à 90 jours. Mark Zuckerberg a reconnu que ce signal des internautes n’était “ pas bon” pour le réseau social.

La réaction de Facebook?

Après le communiqué publié avant les enquêtes du New York Times et du Guardian, silence radio. Un mutisme inattendu alors que le scandale faisait rage.

Plus de quatre jours après le début de la polémique, Mark Zuckerberg prend la parole. Premièrement par un poste sur Facebook puis par une succession d’interviews. Il a tout d’abord reconnu ses “erreurs” et s’est montré “désolé”. Avant d’expliquer tout son plan d’action, avec un audit complet des applications qui ont une activité suspecte, une réduction des données auxquels ont accès les développeurs et une meilleure communication avec les utilisateurs sur les données qu’ils partagent avec d’autres applications.

Facebook repense actuellement la manière dont les utilisateurs évoluent sur la plate-forme et comment les protéger. Il a lancé un nouvel outil pour aider les personnes à supprimer plus facilement leurs données personnelles. Au niveau de la publicité, les annonceurs ne peuvent plus utiliser des données provenant d’une autre source que Facebook, et doivent prouver qu’ils ont le consentement de l’utilisateur. Mais ces actions vont-elles réussir à nous faire oublier le scandale?

LA question est de savoir si Facebook était au courant des agissements de Cambridge Analytica ?

Dès 2015, The Guardian avait déjà révélé les méthodes illicites de Cambridge Analytica en lien avec la campagne de Ted Cruz. A la suite de ces révélations, Facebook avait exclu de l’application du Dr Aleksandr Kogan de sa plate-forme et lui avait demandé, ainsi qu’à Cambridge Analytica, de supprimer toutes les données récupérées illégalement. Ce que ces derniers ont certifié. Mais encore une fois, Facebook a oublié d’avertir ses utilisateurs.

D’après The New York Times et The Guardian ces fameuses données n’ont donc pas été supprimées et sont toujours sur les serveurs de Cambridge Analytica. La firme californienne a déclaré que “Si ces informations sont fondées, il s’agirait d’une grave infraction à nos règles”.

Quel contrôle a pu établir Facebook pour vérifier que la suppression de ces données a bien été effectuée ? “Aucun” d’après Sandy Parakilas, responsable des relations de Facebook avec les entreprises extérieures en 2011 et 2012. Cette affaire n’est donc peut-être pas un cas isolé. Il a déclaré : “Une fois que les données quittaient les serveurs de Facebook, il n’y avait plus aucun contrôle, et aucun moyen de savoir ce qui se passait.”

De plus, nous avons appris ses derniers jours que bien plus encore d’utilisateurs seraient concernés par la récupération de leurs données. Cette information provient de Brittany Kaiser, une ancienne employée de Cambridge Analytic. D’après elles, de nombreux questionnaires ont été créés, bien plus aboutis, pour être déployer sur Facebook. Il existerait donc d’autres sociétés similaires à Cambridge Analytica qui récupéreraient nos données.

Allons-nous découvrir de nouveaux scandales peut-être liés à la politique dans d’autres pays? Ce scandale est-il seulement la partie visible de l’iceberg ?

Allons-nous vers le constat que durant 14 ans, Facebook a plus favorisé le partage des données de ses utilisateurs plutôt que leur protection?

Souvenez-vous… Combien de fois pour rigoler ou comparer avec vos amis vous avez répondu à des quiz qui vous donnaient le personnage d’une série que vous étiez, qui vous donnait la personne qui regarde le plus votre profil ou avec qui vous alliez vous marier… N’est-ce-pas effrayant ?

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