Partie 2 : L’événementiel et les réseaux sociaux

Je m’appelle Attahir Owari et je suis historienne spécialisée dans le début du XXIe siècle. Nous sommes en 2119. L’endroit où je vis se dégrade de jour en jour et j’ai décidé de tenir un journal de bord hebdomadaire pour que les générations futures comprennent comment on en est arrivé là. J’essaie de comprendre et je cherche dans le passé des explications à notre présent et des anticipations de notre futur.

10 avril 2119

J’ai été agréablement surprise quand j’ai vu les nombreux retours que vous m’avez faits sur mon écrit de la semaine dernière. L’inter-réseau du district 4 est peu souvent aussi actif pour ce genre de choses ! Certains m’ont demandé si je pouvais expliquer pourquoi il y’a des SP (spots événementiel) abandonnés dans la ville, et à quoi ils servaient. Leur histoire est étroitement liée à celle des réseaux sociaux. Je vous propose de remonter quelques années en arrière pour comprendre ce qu’il s’est passé.

District 4, 2119

En 2019 les réseaux sociaux avaient colonisé presque l’entièreté de la Terre. Ils avaient, comme tous médias, des conséquences positives et négatives. Ils permettaient de relier plus facilement et plus étroitement les gens entre eux, peu importe leur position géographique. Comme toute invention de grande ampleur, ils avaient des conséquences et des enjeux qui dépassaient ce qu’auraient imaginé leurs créateurs. Ils causaient de nombreux problèmes politiques par exemple ; ils effrayaient les gouvernements et services de répression du monde arabe, car un post ou un tweet (court message posté sur Twitter, un équivalent de notre inter-réseau mais à plus grande échelle) pouvait semer la discorde en insufflant des vents de révolte parmi la population. C’est ainsi que le régime d’El Assad avait condamné à mort un journaliste syrien, Faysal el-Qasem, car il s’était donné pour mission de libérer le monde arabe de la dictature et du despotisme, et était trop influant sur Twitter. Les réseaux sociaux devenaient de plus en plus un terrain de guerre et de confrontations mélangées au partage d’informations, où les gens se permettaient de s’insulter sous le couvert de l’anonymat et de la protection de la distance permise par le lien virtuel. Ils causèrent de plus en plus de problèmes. Un nombre croissant de personnes en étaient devenues accro et en 2018, selon le baromètre Social Life, 83 % des socionautes considéraient que les réseaux prenaient une place trop importante dans leur vie. Les utilisateurs avaient souvent conscience de leur addiction et en avaient peur, mais rien ne changeait et d’autres problèmes sont apparus. Des articles paraissaient sur la solitude engendrée par l’utilisation des réseaux, ce qui est a priori paradoxal. Les mécanismes psychologiques d’un utilisateur pouvaient être modifiés, jusqu’à provoquer la dépression et le suicide. En Corée du Sud, une loi avait été votée pour “ interdire de partager sur les réseaux sociaux des informations pratiques et des conseils sur la manière de se suicider”, ou de proposer des suicides collectifs. Vers 2030 Google avait lancé des lunettes permettant d’aller sur internet et de gérer ses réseaux juste avec le regard, grâce à un écran holographique placé à l’intérieur des verres. Outre le fait que le nombre d’accidents de la route et l’inattention des piétons ont augmenté à cause de cela, cela a permis une utilisation plus simple et rapide d’internet et des réseaux, sans avoir besoin de transporter un smartphone. En 2043, les choses ne se sont pas améliorées avec les puces implantées directement dans le cerveau. Certaines personnes âgées en ont encore aujourd’hui. Elles permettaient de communiquer cérébralement, par la conscience. Cela a rendu les réseaux sociaux encore plus présents dans l’intimité des gens, les rendant ultra connectés et aliénés. Beaucoup développèrent des dissonances et altérations psychologiques, ne sachant plus distinguer la réalité de la virtualité qu’ils voyaient dans leur tête. La solitude a fortement accrue ; la proximité virtuelle engendrée par la puce fit devenir la proximité physique moins utile aux yeux des gens. Les institutions (écoles, entreprises, institutions publiques…) avaient fini par disparaître ; toutes les opérations s’effectuaient à distance. Les cours à l’école, les réunions en entreprises… se faisaient déjà en visioconférence, et la puce a permis de créer des espaces virtuels, dans lesquels plusieurs personnes pouvaient se voir grâce à leur avatar holographique à l’intérieur de leur conscience. Tous les échanges passaient par ce nouveau média. Le phénomène fut accéléré par les problèmes de transports engendrés par la pénurie d’énergie (autant fossile qu’électrique). Il était plus simple de ne pas se déplacer et de tout faire depuis chez soi.

Vous allez me dire “mais quelle place pour l’événementiel là-dedans” ? Eh bien à cause de cette solitude croissante les gens ne se rencontraient plus et la démographie décroissait de plus en plus. Le Japon avait déjà des problèmes de renouvellement naturel en 2019 et était pionnier en matière de technologie, alors ce fut le premier peuple dont le nombre a diminué significativement.

Les gouvernements de plusieurs pays ont donc lancé le projet de ces “spots événementiel”, des endroits publics où divers événements, sponsorisés par des marques, étaient proposés (manifestations culturelles, séances de reconstitutions historiques en réalité augmentée, animations d’activités créatives pour les enfants…) pour que les gens gardent du contact réel. Aujourd’hui (et ce depuis l’Effondrement) ils ne sont plus utilisés puisque nous avons retrouvé un mode de fonctionnement avec des institutions et où les gens se rencontrent physiquement, et l’événementiel n’a plus trop sa place dans un monde en reconstruction.

Nous n’utilisons plus de puces non plus, ce que les partisans du transhumanisme blâment vertement. De plus il n’existe plus de réseau mondialisé comme au temps de la Nation Mondiale où Ulink (successeur de Facebook créé par un groupe chinois en 2025) était un monopole. Avec l’Effondrement, le Monde s’est divisé en petites communautés classées en Aréas et Districts qui communiquent entre eux avec des réseaux propres à chaque District.

Grâce à tout cela nous pouvons observer que les médias dépendent et sont représentatifs des évolutions d’une société, voire les provoquent.

J’espère avoir répondu à votre question !

Marie Désert : Chargée de Story et de mise en page

Capucine Hingrez : Auteur

Hannah Lee : Chargée d’études et d’image

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