Le retour de la sorcière

“Pendant deux siècles on a brûlé neuf millions de sorcières en Europe, parce que c’était un pouvoir féminin qui commençait à inquiéter la société. Chaque fois que les femmes ont essayé de sortir, de réagir, que ce soit les féministes aujourd’hui ou les sorcières hier, ça a été une réaction frénétique pour les ramener à leur place.” — Benoite Groult

Eternelle figure de la femme puissante, indépendante et souvent marginalisée, la sorcière semble faire son grand come-back parmi nous, pauvres mortels. Elle apparait partout: dans la pop culture, la littérature, la musique, la politique… Mais alors, comment expliquer cette omniprésence? Quel lien y a-t-il entre féminisme et sorcières? Pourquoi reprendre ce code? Enfin, pourquoi les sorcières sont-elles encore tant à la mode?

Le marteau des sorcières

Il semble nécessaire, afin de répondre à ces interrogations, de faire un petit récapitulatif de l’histoire de ces femmes. Autrefois traquées, persécutées, pendues et brûlées, les femmes accusées de sorcellerie avaient tout sauf la vie facile. En Europe, la chasse aux sorcières a débuté dans les années 1430 et s’est étendue jusque deux siècles plus tard, entre 1620 et 1630. En 1487 est publiée la première édition du Marteau des Sorcières, aussi connu sous le nom de Malleus Maleficarum. Cet ouvrage a joué un grand rôle dans la chasse aux sorcières: il traite notamment de la nature des personnes pratiquant la sorcellerie (en y précisant bien que comparé aux sorcières “les sorciers sont peu de chose”), y explique quelles en sont leur caractéristiques et en quoi celles-ci sont dangereuses et à supprimer au plus vite. Rien qu’en France, on estime à environ 80 OOO le nombre d’exécutions pour cause de sorcellerie lors de cette période, plus de 80% des condamnés étant des femmes. Une grande partie de celles-ci étaient inculpées uniquement sur la base de dénonciations (de leur maris, voisins…) et rares se faisaient les procès équitables: la torture était de mise.

Le bucher de Myrtle Snow, personnage emblématique de la série American Horror Story (Coven, saison dédiée aux sorcières)

Les femmes accusées de pratiquer la sorcellerie étaient, pour la plupart des femmes que l’on pourrait qualifier d’indépendantes, par leur statut ou leur métier. Un grand nombre d’entre elles exerçait des métiers tels que guérisseuse ou sage femme, ou bien étaient veuves. Pour l’époque, l’exercice des ces métiers par des femmes était vu comme dangereux puisque nécessitant certaines connaissances, leur octroyant ainsi un certain pouvoir, une certaine liberté. En outre, beaucoup de veuves et de femmes n’ayant plus ou peu d’attaches avec les hommes étaient également de potentielles sorcières. “Plus largement, cependant, toute tête féminine qui dépassait pouvait susciter des vocations de chasseur de sorcières”, explique même Mona Chollet dans son édifiant livre intitulé Sorcières, dont je parlerais plus en détail dans un second temps. Si autrefois l’on pouvait considérer que la chasse aux sorcières n’était qu’une énième guerre de religion, croyants contre hérétiques, il apparait désormais évident que ces massacres ne furent rien d’autre qu’une “explosion de misogynie”, un véritable féminicide.

Tous ces éléments nous permettent aujourd’hui de comprendre pourquoi féminisme et sorcellerie semblent liés: et si les prémices du féminisme résidaient justement en les valeurs que ces femmes portaient? La récente reprise du symbole de la Sorcière par des groupes féministes semble alors plus que pertinente. Il existe par exemple un groupe dénommé Witch Bloc, collectif féministe français présent en région parisienne notamment, qui réutilise l’archétype de la sorcière lors de ses différentes actions (aussi bien manifestations que rituels). Le groupe s’inspire d’une autre organisation bien plus ancienne: le W.I.T.C.H (Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell), qui est le regroupement de plusieurs collectifs féministes aux Etats Unis dans les années 60. Le W.I.T.C.H fut le tout premier regroupement de femmes se revendiquant à la fois féministes, sorcières et militantes.

photographies et logo des militantes du Witch Bloc

Si la chasse aux sorcières a de façon incontestable marqué la structure de nos sociétés et de certains mouvements politiques actuels, il n’est pas sans dire que la figure de la sorcière est également omniprésente dans les cultures du monde entier. Dans la littérature, le cinéma, la musique, les séries… les sorcières sont bien implantées, et sont même carrément à la mode.

En ce qui concerne les séries, il est inconcevable de ne pas vous parler de Charmed, diffusée de 1998 à 2006. Ce n’est pas la plus récente, je vous l’accorde, mais il s’agit tout de même d’une série iconique et connue de (presque) tous, mettant en scène trois sœurs sorcières charismatiques et puissantes. Le succès de la série fut (et demeure) tel qu’un reboot homonyme est produit depuis 2018 sur la chaine américaine the CW.

image promotionnelle du reboot de Charmed à gauche et de la saison 5 du programme original à droite

Dans le même genre, on ne peut passer à coté de la sortie du show télévisé Les nouvelles aventures de Sabrina, produit et diffusé par Netflix depuis octobre dernier. Véritablement engagée, la série n’hésite pas, par le biais de personnages aux valeurs fortes et aux luttes intersectionnelles, à transmettre un message de tolérance teinté d’un doux parfum de rébellion. Sabrina, personnage principal de la série, n’éprouve d’ailleurs aucun scrupule à piétiner la misogynie de ses pairs et à casser les codes. Toujours accompagnée de son fidèle chat Salem (référence aux tristement célèbres sorcières de Salem), la jeune sorcière dénonce le sexisme permanent et systématique dans son Coven, dirigé par des hommes aux idéaux archaïques et patriarcaux. Elle incarne la jeune femme puissante et féministe que nous pourrions toutes être, à la seule différence qu’elle est mi- mortelle mi- sorcière.

bande annonce officielle de la premiere saison des nouvelles aventures de Sabrina

La célèbre série américaine American Horror Story a elle aussi décidé de mettre à l’honneur les sorcières en leur y consacrant toute la saison 3 : Coven. On y retrouve par exemple l’emblématique Marie Laveau, reine du vaudou de la Nouvelle Orléans du 19eme siècle, mais également d’autres sorcières aux personnalités et aptitudes diverses et variées.

Les sorcières sont aussi bien présentes sur petits écrans que sur grands, et la saga Harry Potter en est un parfait exemple. Saga de toute une génération, les 8 films adaptés des romans de l’auteure britannique JK Rowling constituent sans doute la plus célèbre des œuvres cinématographiques mettant en scène des sorcières et sorciers.

A titre de deuxième exemple, nous pouvons citer Kiki la petite sorcière, film d’animation produit par les fameux studios Ghibli et réalisé par l’incomparable Hayao Miyazaki. Les principaux thèmes abordés y sont l’adolescence, l’émancipation et la vie de jeune sorcière. On y retrouve les attributs de toute sorcière qui se respecte: habits sombres, ballet magique et chat noir. Kiki la petite sorcière est un film où esthétisme est roi et où philosophie est reine. Il me semble que la force de ce véritable chef d’œuvre fut réellement de réussir à dédiaboliser la figure de la sorcière, en la rendant bien plus humaine et bienveillante que trop peu souvent auparavant.

affiche japonaise du film et image provenant du film

Pour ce qu’il est de la littérature, deux œuvres me viennent à l’esprit, et je commencerais par vous parler de la plus récente: Sorcières, la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet. Publié le 13 septembre 2018, cet essai incendiaire sur l’histoire des femmes, des femmes traitées de sorcières, et des femmes se revendiquant sorcières, est remarquable tant par son fond que sa forme. Il s’agit de l’écrit le plus complet traitant de l’histoire de l’image de la sorcière, allant des premières victimes de la chasse aux sorcières jusqu’aux actuelles pratiquantes de la Wicca. L’auteure ne se contente cependant pas de raconter, elle dénonce et démontre que le monde emprunt de misogynie et de sexisme dans lequel nous évoluons résulte, entre autre, de la chasse aux sorcières.

Photographie du livre Sorcières de Mona Chollet

Pour le deuxième livre, il s’agit d’un roman, et pas des moindres: Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo. “Mais, il n’y a pas de sorcière dans Notre-Dame!” me diriez vous. Eh bien, vous avez raison, il n’y a pas de sorcière, mais une accusée de sorcellerie: Esmeralda.

Dans l’adaptation de Disney, Esmeralda échappe de justesse aux flammes, à l’inverse de l’Esmeralda de Hugo, qui finira pendue en Place de Grève

Le personnage emblématique d’Esmeralda représente l’éternelle victime de la folie des hommes (et des Hommes, la xénophobie banalisée de l’époque étant également un facteur indéniable de son exécution), qui sont à la fois la cause et les acteurs de sa mort. Frollo, fou de la jeune femme a préféré mettre en place tout un ignoble stratagème et la faire condamner à mort pour cause de sorcellerie plutôt que de contrôler ses pulsions malsaines. Même s’il est question d’un roman, il n’est pas difficile d’imaginer que d’autres femmes furent assassinés uniquement pour des raisons semblables, mêlant désir, jalousie et haine.

Quant à la musique, je pourrai vous parler d’une chanson de la rappeuse Princess Nokia, intitulée Brujas (sorcières en espagnol). Elle y évoque ses ancêtres, sorcières venues d’ici et d’ailleurs, de son héritage, et se définit elle même comme suprême (les suprême sont celles qui dirigent les coven).

Clip vidéo officiel de la chanson Brujas

Aujourd’hui encore, les sorcières sont là, et ne s’en cachent plus. De plus en plus de groupes de “sorcières modernes” voient le jour, et la religion Wicca connait un essor sans précédant. On peut trouver sur les réseaux sociaux de nombreuses pages dédiées à la pratique de la sorcellerie et à la Wicca.

Sur YouTube notamment, vous pourrez à l’aide de tutoriels et autres vidéos explicatives débuter votre voyage dans le monde de la sorcellerie moderne. C’est ce que propose la youtubeuse britannique Harmony Nice, qui depuis quelques années déjà réalise des vidéos traitant de sa propre expérience en tant que Wiccan, et donne aux potentielles futures adeptes de précieux conseils. Dans la vidéo ci-dessous, la youtubeuse explique comment commencer et tenir à jour son livre des Ombres, objet plus qu’ indispensable aux pratiquants et pratiquantes de la Wicca.

Harmony Nice réalise également des vidéos bien plus communes sur YouTube, tels que des lookbooks ou des hauls (vidéos mode), mais toujours avec sa touche personnelle. Par exemple, il y a deux ans de cela, la youtubeuse a sorti une vidéo lookbook inspiration sorcière bohémienne, qui ravira les sorcières les plus à la mode.

Il semblerait même que la chanteuse américaine Lana Del Rey se soit adonnée à la sorcellerie il y a peu. C’est en effet ce que cette dernière a révélé dans une récente interview à NME: elle aurait pratiqué un rituel occulte contre le président américain Trump. Ce fut malheureusement un échec, mais le geste reste ma foi tout à fait honorable.

De nombreux livres d’initiation à la magie et à la Wicca sont disponibles un peu partout, aussi bien sur internet que dans les grandes enseignes de librairie et culture. Devenir sorcière est accessible à toutes et surtout, ce n’est plus une honte ni quelque chose de condamnable (sauf dans quelques théocraties et/ou régimes autoritaires). La signification même de la sorcellerie a changé, désormais il s’agit bien plus d’une utilisation des énergies, de la nature et de l’acceptation de soi en tant que femme. Désolée de vous décevoir, mais non, la réalisation de potions à base de bave de crapaud ne fait pas partie des activités d’une sorcière moderne.

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