Serge Halimi: Les nouveaux chiens de garde

Le monde vu d’en bas
Putod Claire
Published in
3 min readNov 23, 2016

Le journalisme peut-il s’exercer indépendamment de toute influence ? Sait-il se tenir à bonne distance du pouvoir, quand il cherche à être proche de l’information ? Quelles sont les conséquences d’un service médiatique privé, appartenant aux grands groupes industriels français ? Les journalistes sont-ils de connivence avec les politiques et le système économique ?

Colère, révolte, sentiment d’injustice. La lecture de ce livre, bien que déjà daté d’il y a dix ans, est une véritable prise de conscience quant au système capitaliste dans lequel nous vivons. L’information est devenue une marchandise, et son prix n’est accessible qu’aux plus puissants du pays. On peut se demander si Serge Halimi et son livre ont toujours une place justifiée en 2016, mais il ne faudra que peu de réflexion pour se rendre compte que la réponse est oui.

Paul Nizan, muse de cet ouvrage, dénonçait en 1932 les manœuvres des philosophes se voulant « contre-pouvoir » alors qu’ils servaient les intérêts de la bourgeoisie. Dans son essai Les chiens de garde, se trouve les mêmes bases d’amertume et de souffrance que ce qu’un métier dégradée par ses détraqueurs insuffle.

Serge Halimi cherche à montrer l’une des facettes du journalisme, ou plutôt une facette de certains journalistes, alors qu’elle parait invisible à l’opinion publique. On retrouve la patte de Pierre Bourdieu dès la préface, où il remet en cause l’amnésie omniprésente de ces derniers par laquelle leur responsabilité est bafouée. Tout au long des Nouveaux chiens de garde, on remarque qu’une parallèle se dresse avec son livre Sur la télévision (1996), dans lequel il fait référence à l’emprise des journalistes sur la société à partir du très puissant facteur qu’est la télévision.

Indépendance, objectivité et pluralisme. Dès la première lecture, on comprend que c’est ainsi qu’aime à se revendiquer le 4eme pouvoir. Halimi, lui, les considère comme les cabris d’un système capitaliste où leurs intérêts passent avant leurs devoirs envers les citoyens. Sur base d’archives, d’investigations et de preuves précises et irréfutables, il dresse le tableau de médias en crise, en proie aux actionnaires et aux grands patrons. Ils gardent l’illusion de leur métier, quand plus rien ne leur appartient, même pas le pouvoir d’informer. Il parle alors de la légende de l’indépendance du journalisme ; « Nous sommes là pour donner une image lisse du monde », citant Patrick Poivre-d ‘Arvor. Julien Benda, en 1927, résumait déjà très bien la situation : « volonté, chez l’écrivain pratique de plaire à la bourgeoisie, laquelle fait les renommées et dispense les honneurs ».

Sur un ton souvent ironique mais pas moins argumentatif, Halimi enchaine les exemples avec une simplicité féroce. Il parvient parfaitement à énumérer les causes de ce trouble médiatique, qui enterre jour après jour le « contre-pouvoir ». Experts, grands patrons de groupes industriels, hommes politiques, tous se réjouissent de ces nouvelles « machines à propagande de la pensée de marché ».

Reste pourtant l’espoir. Car ce que je cherche à faire Serge Halimi, c’est nous donner les clés pour comprendre le monde médiatique, apprendre à le décrypter et à l’appréhender. Il conclut même en disant « la lucidité est une forme de résistance ». Tant qu’il n’y aura pas eu d’appropriation démocratique des médias, ce livre aura lieu d’être d’actualité.

--

--

Le monde vu d’en bas
Putod Claire

Vision du monde qui nous entoure. Révéler les valeurs de chacun. Donner à voir les oubliés.