Et si… travailler seul.e passait par le collectif?

Céleste Lévy
Vocation
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6 min readJun 29, 2021

Bonjour à toutes et tous,

Ici Céleste pour la 4ème édition de notre nouvelle newsletter, En 2050, les voitures ne voleront toujours pas mais on ira encore au boulot, où l’on explore le futur du travail en écrivant des fictions utopiques (ou dystopiques, c’est vous qui voyez !).

Cette semaine, on vous raconte la suite et fin de l’histoire d’Ariane et Yannis dans le monde des indépendants, que vous avez pu découvrir dans notre newsletter d’il y a deux semaines !

Si les indépendant.e.s se regroupaient en collectifs?

Reprenons là où on s’était arrêté dans les aventures d’Ariane et Yannis. Ce jeune couple a donc quitté Paris pour s’installer dans les Landes et se lancer tous les deux en tant que freelances. Tout semble réussir à Ariane, un pur produit des grandes écoles : elle a conservé son ancien CDI sous forme de travail indépendant, se fait contacter pour des missions de conseil par plusieurs entreprises, a un grand espace Wework à disposition…

Mais Yannis est dans le cas contraire : après des études de cinéma et quelques années dans une société de production, il ne veut maintenant plus avoir affaire à ces métiers traditionnels et a décidé de devenir créateur de vidéos sur TikTok.

Le problème, c’est qu’il a du mal à se concentrer sur son nouveau projet et beaucoup de difficultés à trouver non seulement des lieux de tournage mais aussi tout simplement des espaces tranquilles, pour se concentrer sur l’écriture. En effet, les espaces de coworking où travaille Ariane ne lui sont pas accessibles. Il peut seulement accéder aux espaces publics mis à disposition par les régions, qui ont vu affluer de plus en plus de citadins et n’ont eu d’autre choix que d’ouvrir elles aussi des espaces de travail — mais avec de maigres budgets. Ces salles attirent peu de monde et ne représentent donc pas pour Yannis un cadre de travail optimal. Contrairement aux espaces fréquentés par Ariane, l’émulation collective n’est pas au rendez-vous. Et contrairement à celle-ci, il n’arrive pas à se faire recruter par une plateforme sélective : celles-ci englobent davantage des métiers “classiques” post-école de commerce et beaucoup moins des métiers plus artistiques.

Yannis se dit finalement que ce nouveau statut de freelance, censé rendre les salariés plus libres de faire ce qu’ils veulent et donc supposé créer une société plus égalitaire, n’est en fait qu’une continuation du système de base des grandes écoles.

Pour gagner un peu d’argent et contribuer à la moitié de leur loyer, il travaille trois jours par semaine dans le restaurant des parents d’Ariane, qui l’apprécient, mais il n’est pas très doué pour la cuisine : il se retrouve donc de plus en plus à remplacer les parents d’Ariane qui veulent prendre plus de temps libre, à faire les plannings et gérer les équipes. Il travaille souvent seul, et ce métier de restaurateur qu’il fait de plus en plus ne le satisfait pas vraiment. Ce n’est pas son rêve, ce n’est pas pour ça qu’il a quitté sa vie à Paris.

Au bout de deux mois dans les Landes, il se retrouve donc plutôt frustré et isolé : il se sent seul et n’arrive pas à avancer dans son travail. Après une énième après-midi à traîner sur les réseaux sociaux dans l’espoir de trouver de l’inspiration, il tombe sur le twitter de Max, un autre Français qui raconte ses galères en tant que “créateur”. Lui n’est pas Tiktokeur mais fait des podcasts. Yannis se rend compte alors que non seulement il n’est pas seul, mais que le terme de “créateur” abrite de nombreux métiers très variés, parmi lesquels rédacteurs.trices de newsletters, blogueurs.ses, Tiktokeurs.ses, Youtubeurs.ses, gamers.ses sur Twitch, vendeurs.ses Etsy, podcasteurs.trices… Il prend conscience que le public délaisse de plus en plus les médias traditionnels pour se tourner vers les contenus proposés par les individuels, et que la creator economy est en plein boom : des millions de gens dans le monde entier se disent créateurs de contenus, et côté public, des milliards d’heures sont consacrées chaque jour à découvrir ces contenus.

Comment résoudre ce paradoxe entre, d’un côté la difficulté que tous les créateurs.trices semblent avoir à s’organiser et l’isolement qu’ils.elles ressentent tous.toutes, et de l’autre la consommation effrénée du public pour toutes ces nouvelles formes de contenu ?

Et presque aussi important, comment monétiser ces contenus ? Comment s’organiser pour gagner de l’argent? En effet, l’économie des créateurs est très différente de celle des freelanceurs classiques, qui eux travaillent pour des clients-entreprises. La cible du créateur est le particulier, qui n’est pas forcément prêt à payer pour ce qu’il consomme. Pour monétiser son contenu, Yannis prend conscience que ce qui compte, c’est d’avoir une base de followers très engagés et prêt.es. à le rémunérer. La monétisation ne se fait tant sur le nombre d’abonné.e.s que sur sur la valeur ajoutée, sur ce qu’on propose d’unique à son public, qui est prêt à payer pour ça. Et il existe de plus en plus d’outils pour aider les créateurs.trices à gérer ça.

“It takes only 1000 true fans to make a living”

Kevin Kelly, rédacteur en chef de Wired

Yannis met sur pause ses activités et réfléchit à comment mieux organiser cette économie encore marginale en France. Des agences existent mais elles gèrent seulement les plus gros Youtubeurs et Tiktokeurs, et elles ont surtout ont un modèle trop top-down qui lui déplaît. Selon lui, le noeud du problème est la difficulté, voire l’impossibilité à travailler seul.e. Il décide donc finalement de créer un collectif de créateurs indépendants, à mi chemin entre un collectif d’artistes classiques et une agence d’indépendants freelances traditionnels.

Il contacte individuellement des créateurs qu’il aime bien et qui ne sont pas encore trop connus, et rapidement le collectif compte une vingtaine de personnes. Les membres du collectif bénéficient :

  • d’un même nom et d’un même manifeste
  • de l’émulation artistique provoquée par la fréquentation de créateurs.trices multi-supports et multi-réseaux
  • d’un cadre de travail sérieux et d’une organisation commune
  • des effets de réseau
  • et d’une possibilité de réfléchir ensemble à leur statut, leurs questionnements et questions administratives, et surtout à la monétisation de leur contenu

Yannis se dit que finalement, le collectif c’est l’entreprise sans le salariat. Au bout de quelques mois, il se rend compte qu’il est en fait bien meilleur pour aider ces freelances marginaux que d’en être un lui-même et décide donc de se consacrer à la gestion de ce collectif, qu’il compte bien professionnaliser !

En conclusion, le freelance c’est un super statut, mais qui n’est pas fait pour tout le monde. Surtout, travailler seul.e au quotidien peut s’avérer très compliqué. Le lien social reste fondamental : même dans un monde post-covid où le télétravail s’est institutionnalisé et où de plus en plus de personnes deviennent indépendants, gardons toujours cette notion de collectif !

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