đïžâđšïž Coup dâoeil sur la dĂ©marche interculturelle
InterculturalitĂ©, Iceberg culturel et Cohen-Ămerique
MalgrĂ© la mondialisation et lâĂ©mergence dâun prĂ©tendu âvillage globalâ, la diversitĂ© culturelle prĂ©sente Ă travers le monde ne garantit pas toujours des interactions interculturelles positives et Ă©quilibrĂ©es [1]. Souvent, les relations entre individus ou groupes culturellement variĂ©s sont entravĂ©es par des prĂ©jugĂ©s et des stĂ©rĂ©otypes, entraĂźnant des malentendus, des incomprĂ©hensions, des jugements de valeur et des tensions.
A un tel point quâaujourdâhui on sâinterroge autour de lâĂ©ducation interculturelle Ă lâĂ©cole â lĂ oĂč Jean Claude Beaco, chercheur en sciences du langage, aimerait plutĂŽt parler âdâĂ©ducation Ă lâaltĂ©ritĂ©â â afin de sensibiliser dĂšs le plus jeune Ăąge Ă la diffĂ©rence culturelle ou Ă la diffĂ©rence tout simplement, et de faire en sorte que lâexpĂ©rience de lâaltĂ©ritĂ© soit vĂ©cu sans apriori et sans maladresse [2, 5].
Dâautant plus que force est de constater que le premier rĂ©flexe anthropologique Ă altĂ©ritĂ© est un rĂ©flexe dâĂ©thnocentrisme (voire dâĂ©gocentrisme) [2].
VoilĂ pourquoi dans cet article, nous plongerons au cĆur de la dĂ©marche interculturelle pour explorer les mĂ©andres complexes de lâinterculturalitĂ©, lâiceberg culturel et les enseignements prĂ©cieux de Margalit Cohen-Ămerique, doctorante en psychologie sociale.
Mais dâabord, quâest ce que la culture ?
La culture est un ensemble de normes, de valeurs et dâobjets vĂ©hiculĂ©s dans une sociĂ©tĂ© ou un groupe social et qui le caractĂ©rise. Câest ce qui est commun au groupe et ce qui le soude, ce qui est appris, produit, transmit et inventer [3].
Selon la dĂ©finition de LâUNESCO, «la culture, dans son sens le plus large, est considĂ©rĂ©e comme lâensemble des traits distinctifs, spirituels et matĂ©riels, intellectuels et affectifs, qui caractĂ©risent une sociĂ©tĂ© ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de lâĂȘtre humain, les systĂšmes de valeurs, les traditions et les croyances.» (1982)
En effet, il nâexiste pas une culture mais des cultures. Chaque pays, peuple, ĂȘtre humain ou organisation possĂšde une culture diffĂ©rente.
De nos jours, bien souvent il arrive que des individus issues de cultures diffĂ©rentes se rencontrent, et câest de cette rencontre que nait lâinterculturalitĂ©.
Dâaccord, et quâest ce que lâinterculturalitĂ© ?
Contrairement Ă la multiculturalitĂ©, qui implique principalement la simple cohabitation de diverses cultures dans un mĂȘme espace gĂ©ographique, lâinterculturalitĂ© suppose une relation dâĂ©change â active, enrichissante et dans un respect partagĂ© â entre des cultures diffĂ©rentes [4].
Cela va bien au-delĂ de la simple tolĂ©rance envers lâautre, car cela implique un effort dâinterrogation mutuelle et une prise de conscience des aspects culturels profonds qui caractĂ©risent chaque groupe, câest-Ă -dire des icebergs culturelles de chacun.
Iceberg culturel, késako ?
Theorie de lâiceberg culturel (ou de lâiceberg de la culture) prĂ©sente de maniĂšre illustrĂ©e les diffĂ©rentes formes sous lesquelles se manifeste la culture [6]. Chaque personne possĂšde un iceberg culturel avec :
- une partie Ă©mergĂ© â le âQuoiâ â reprĂ©sentant les Ă©lĂ©ments culturels visibles comme les vĂȘtements, la musique, la nourriture, les gestes, les salutations et lâarchitecture
- une partie immergĂ© â le âPourquoiâ â reprĂ©sentant les Ă©lĂ©ments culturels invisible comme les normes, les valeurs et les croyances, les visions du monde, lâapproche de la famille, les diffĂ©rences entre les sexes, les attitudes Ă lâĂ©gard des rĂšgles, pour nâen nommer que quelques-unes.
Selon ce modĂšle, le âQuoiâ est expliquĂ© par le âPourquoiâ, câest-Ă -dire que les parties visibles de la culture ne sont que des expressions de ses parties invisibles.
Il souligne Ă©galement quâil peut parfois ĂȘtre difficile de comprendre des personnes dâorigines culturelles diffĂ©rentes. Nous pouvons repĂ©rer les parties visibles de leur «iceberg», mais nous ne pouvons pas voir immĂ©diatement sur quelles bases reposent ces parties, et bien souvent cette partie cachĂ©e est tellement intrinsĂšque Ă lâindividu quâon lâoublie [5, 6].
DâoĂč lâintĂ©rĂȘt de lâinterculturalitĂ©, celui dâaller dĂ©couvrir la partie immergĂ© de lâiceberg culturel en essayant dâaller au delĂ de notre cadre de rĂ©fĂ©rences qui, lorsque lâon en tient pas compte, agit comme un filtre, et nous propose une grille de lecture qui peut nous pousser Ă mal interprĂ©ter les gestes des autres et nous faire tomber dans les jugements de valeurs expĂ©ditifs [5].
Fort de cette comprĂ©hension digeste de lâinterculturalitĂ©, explorons Ă prĂ©sent les piliers fondamentaux de cette dĂ©marche interculturelle, selon les enseignements de la psychologue Cohen-Ămerique, ayant fait partie des pionniers en France et dans les pays francophones des recherches sur lâinterculturalitĂ©.
Les piliers de la démarche interculturelle
Experte en relations et communication interculturelles, Margalit Cohen-Ămerique nous explique que pour sâĂ©duquer Ă lâinterculturel, trois attitudes â trois phases jouant en Ă©troite interdĂ©pendance â sont Ă dĂ©velopper : la dĂ©centration, la comprĂ©hension et la nĂ©gociation.
DĂ©centration, une dĂ©marche vis-Ă -vis de soi-mĂȘme
La dĂ©centration consiste Ă porter un regard sur soi-mĂȘme et prendre conscience de ses cadres de rĂ©fĂ©rences (i.e. ses propres systĂšmes de valeurs, prĂ©supposĂ©s, stĂ©rĂ©otypes, idĂ©ologies, etc.), afin dâopĂ©rer une relativisation par rapport Ă ceux-ci. Câest un prĂ©alable qui permet de pĂ©nĂ©trer dans le systĂšme de lâautre [1, 9].
ComprĂ©hension de lâautre, une dĂ©marche vis-Ă -vis de lâautre
La comprĂ©hension consiste Ă quitter ses propres cadres de rĂ©fĂ©rences pour aller « se mettre dans la peau de lâautre » afin de dĂ©couvrir ce qui, dans la culture de lâautre, sâorganise autour de rĂ©fĂ©rents de base communs. Cela suppose donc une ouverture dâesprit et une curiositĂ© intellectuelle [1, 9].
ConcrĂštement, six voies existent pour essayer de comprendre et dâentrer dans le systĂšme de lâautre :
- Sâinformer : Il sâagit, dans un premier temps, de recueillir des informations sur la culture de lâautre par des lectures et des stages : important, mais pas suffisant, voire dangereux dans la mesure oĂč cette approche peut renforcer les stĂ©rĂ©otypes et occulter la variable dâappropriation individuelle de la culture. Ensuite, dans un second temps, il convient de sâinformer auprĂšs de son interlocuteur, car il est le premier et sans doute le meilleur informateur possible pour expliquer son cadre de rĂ©fĂ©rence.
- Ăcouter : Ăcouter lâautre, tout en accordant une grande attention aux mots, aux expressions, aux figures rhĂ©toriques, aux mots clefs, car ils sont susceptibles de vĂ©hiculer les valeurs culturelles de la langue maternelle, les valeurs structurant lâidentitĂ© de la personne.
- DĂ©velopper des habiletĂ©s en communication non verbale : Se dĂ©tacher du contenu du message pour sâintĂ©resser au contexte porteur de communication, au non-verbal. Il sâagit donc de se montrer attentif Ă la symbolique vestimentaire ou culinaire, aux reprĂ©sentations du corps, du temps, de lâespace, au langage paraverbal, aux objets symbolico-religieux, etc.
- Ne pas trop interprĂ©ter : Ne pas assimiler les nouvelles dĂ©couvertes en les rattachant Ă nos connaissances existantes car cela peut conduire Ă nĂ©gliger les aspects qui ne correspondent pas Ă nos cadres de rĂ©fĂ©rence â Ă lâinstar du mĂ©decin qui ne prĂȘte pas attention Ă certains symptĂŽmes dĂ©crits par un patient parce quâils ne correspondent pas Ă ses diagnostics habituels.
- Prendre du temps : Se connaĂźtre puis se placer dans le point de vue de lâautre est un processus dâapprentissage qui nĂ©cessite du temps pour aboutir Ă une maturation.
- Voyager : Pour mieux pĂ©nĂ©trer dans le systĂšme de lâautre, quoi de mieux quâune immersion dans le milieu de vie de lâautre : emprunter ses modes de vie, Ă©couter de la musique locale, goĂ»ter aux produits du terroir, etc.
Négociation-médiation, une démarche vis-à -vis de la relation
La négociation-médiation consiste à négocier en vue de construire une plate-forme commune interculturelle [1, 9].
Pour garantir son bon déroulement, a priori délicat, le respect de quelques conditions préalables est nécessaire. Il convient :
- Admettre quâon se situe bien dans un âconflit de valeursâ, câest-Ă -dire dâattribution de sens, de lecture ou dâinterprĂ©tation de la rĂ©alitĂ©
- Supposer un certain degrĂ© de rationalitĂ© Ă lâAutre, mĂȘme si elle est diffĂ©rente
- Ăviter toute attaque personnelle, et bannir toute forme de caricature
- Reconnaitre sa mĂ©connaissance des spĂ©cificitĂ©s culturelles de lâAutre quand câest le cas, et donc il ne faut pas hĂ©siter Ă le questionner pour ne rien laisser dans lâimplicite et lâincompris
Mise en pratique de la démarche interculturelle
Exemple de non mise en pratique de la dĂ©marche interculturelle đčđ
La ThaĂŻlande est majoritairement bouddhiste et les statues Ă lâimage de Buddha sont considĂ©rĂ©es comme des objets de culte sacrĂ©. Mais certains touristes considĂšrent ces images comme des symboles non religieux et cherchent simplement Ă suivre une mode. Ils ne sont pas conscients du besoin de respecter la religion locale, ce qui choque profondĂ©ment les bouddhistes du pays.
Exemple de mise en pratique de la dĂ©marche interculturelle đ°đČ
Aux Comores, le grand mariage, aussi appellĂ© âandaâ est lâune des coutumes les plus importantes de la sociĂ©tĂ© comorienne : elle conditionne le statut social de lâhomme qui sây prĂȘte, et lâhonneur de la famille est liĂ© au bon accomplissement des festivitĂ©s. VoilĂ pourquoi la somptuositĂ© et lâampleur de lâĂ©vĂ©nement peut paraitre excessif, et fait souvent tendre les familles Ă la dĂ©rive financiĂšre. Cependant, en vous dĂ©centrant de votre point de vue et en prenant le temps de comprendre lâenjeu, vous pouvez arriver Ă saisir lâimportance sociale et culturelle du grand mariage dans la sociĂ©tĂ© comorienne, vous pouvez ĂȘtre en mesure dâaccepter et de reconnaitre la signification profonde de cet Ă©vĂ©nement pour la famille et la communautĂ©.
ConsidĂ©rons que vous ĂȘtes français dâorigine comorienne et que de retour aux Comores vos parents vous conseillent (avec aplomp) de vous marier et rĂ©aliser la coutume. Vous avez toujours considĂ©rĂ© cela comme un gaspillage dâargent, mais cette fois-ci, vous choisissez de nĂ©gocier plutĂŽt que dây ĂȘtre fermement opposĂ© parce quâun refus peut entraĂźner des conflits familiaux et une rupture des relations. Donc vous parlez avec les membres de votre famille afin de trouver un terrain dâentente et proposez de trouver un Ă©quilibre entre les traditions culturelles et les contraintes financiĂšres. AprĂšs discussions et compromis, vous parvenez Ă organiser un grand mariage qui respecte la tradition tout en Ă©tant Ă©conomiquement viable et en accord avec vos valeurs.
VoilĂ pourquoi lors de votre sĂ©jour dans un pays quelquonque, prenez le temps de discuter avec les habitants locaux, posant des questions sur leur mode de vie, leurs croyances et leurs traditions. Et cela vaut aussi lorsque vous rencontrer des personnes venant dâailleurs. En Ă©coutant attentivement leurs rĂ©cits, vous acquĂ©rez une comprĂ©hension approfondie de leur culture et de leurs valeurs, vous permettant ainsi de mieux interagir et de respecter leurs coutumes.
Pour conclure
Dans cet article, nous avons plongĂ© au cĆur de la dĂ©marche interculturelle, explorant les mĂ©andres complexes de lâinterculturalitĂ©, lâiceberg culturel et les enseignements prĂ©cieux de Margalit Cohen-Ămerique.
Au final voici un schĂ©ma synthĂ©tique de la dĂ©marche interculturelle illustrant les trois piliers essentiels â la dĂ©centration, la comprĂ©hension et la nĂ©gociation â pour bĂątir des ponts entre les cultures.
De interculturalité à interculturalité sociale
Par ailleurs, au mĂȘme titre que lâinterculturalitĂ© explore la diversitĂ© culturelle, il est impĂ©ratif de dĂ©velopper une autre dimension cruciale, tout aussi fondamentale dans notre sociĂ©tĂ© complexe et diversifiĂ©e : la capacitĂ© Ă Ă©tablir des relations avec des personnes provenant de diffĂ©rentes classes sociales. Cette dimension, que lâon pourrait nommer âintraculturalitĂ© socialeâ, Ă©voque la nĂ©cessitĂ© de comprendre et de respecter les diffĂ©rences dĂ©terminĂ©es par la classe sociale, tout comme on le fait pour les diffĂ©rences culturelles.
Ainsi, de maniĂšre similaire, dans le contexte des diffĂ©rences sociales, ces mĂȘmes principes de dĂ©centration, de comprĂ©hension et de nĂ©gociation peuvent jouer un rĂŽle crucial dans la construction de relations interclasses respectueuses et enrichissantes.
Câest dâailleurs un enjeu important pour ceux qui se voient gravir lâĂ©chelon sociale, prenant conscience rapidement de leurs diffĂ©rences et se devant de comprendre les nouveaux codes de leur classe sociale dâentrĂ©e afin de pouvoir sâadapter, mais cela ne se fait rarement sans un lot de souffrance comme pourrait en tĂ©moigner Darah [12]. Mais ce sujet mĂ©riterait un article entier.
Mlachahe SAID SALIMO.
PS : Dans une démarche interculturelle, je négocierai le non au anda.
DerniĂšre mis Ă jour : Le samedi 04 novembre 2023.
Références
- La démarche interculturelle, un extrait de la brochure et guide pédagogique Vivre Ensemble Autrement
- LâĂ©ducation plurilingue et interculturelle avec JC Beacco, la playlist youtube de la confĂ©rence dirigĂ© par Jean Claude Beaco Ă lâObservatoire EuropĂ©en du Plurilinguisme
- Culture, la page Wikipédia
- Interculturel, la page Wikipédia
- LâinterculturalitĂ© partie 1 et 2, vidĂ©os de la chaine youtube SCI â Projets internationaux ASBL
- Comment comprendre une nouvelle culture â Lâiceberg de la culture ?, un article du site sl-city.centreleolagrange.fr
- Lâapproche interculturelle â Le cadre de rĂ©fĂ©rence, une vidĂ©o de la chaine youtube TCRI QuĂ©bec
- The Cultural Iceberg & Communication, un article du site emiworld.org
- Initier Ă la communication interculturelle, un extrait du livre PASSAGE DES FRONTIĂRES, Ătudes de didactique du français et de lâinterculturel de Luc CollĂšs
- Lâintelligence culturelle : la compĂ©tence dont les leaders ne peuvent se passer, un article du site learnlight.com
- La diaspora de la Grande Comore Ă Marseille et son apport sur le dĂ©veloppement de lâĂźle, thĂšse de doctorat en sciences humaines de Youssouf ABDILLAHI (2012)
- Le lot de souffrances de lâascension sociale | Mon tĂ©moignage, une vidĂ©o de la chaine youtube de Darah