đŸ‘ïžâ€đŸ—šïž Coup d’oeil sur la dĂ©marche interculturelle

InterculturalitĂ©, Iceberg culturel et Cohen-Émerique

Mlachahe Said Salimo
Wanabilini
10 min readOct 19, 2023

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MalgrĂ© la mondialisation et l’émergence d’un prĂ©tendu “village global”, la diversitĂ© culturelle prĂ©sente Ă  travers le monde ne garantit pas toujours des interactions interculturelles positives et Ă©quilibrĂ©es [1]. Souvent, les relations entre individus ou groupes culturellement variĂ©s sont entravĂ©es par des prĂ©jugĂ©s et des stĂ©rĂ©otypes, entraĂźnant des malentendus, des incomprĂ©hensions, des jugements de valeur et des tensions.

SchĂ©ma de “l’écran des prĂ©jugĂ©s” [1]

A un tel point qu’aujourd’hui on s’interroge autour de l’éducation interculturelle Ă  l’école — lĂ  oĂč Jean Claude Beaco, chercheur en sciences du langage, aimerait plutĂŽt parler “d’éducation Ă  l’altĂ©ritĂ©â€ — afin de sensibiliser dĂšs le plus jeune Ăąge Ă  la diffĂ©rence culturelle ou Ă  la diffĂ©rence tout simplement, et de faire en sorte que l’expĂ©rience de l’altĂ©ritĂ© soit vĂ©cu sans apriori et sans maladresse [2, 5].

D’autant plus que force est de constater que le premier rĂ©flexe anthropologique Ă  altĂ©ritĂ© est un rĂ©flexe d’éthnocentrisme (voire d’égocentrisme) [2].

Illustration du premier réflexe anthropologique à altérité

VoilĂ  pourquoi dans cet article, nous plongerons au cƓur de la dĂ©marche interculturelle pour explorer les mĂ©andres complexes de l’interculturalitĂ©, l’iceberg culturel et les enseignements prĂ©cieux de Margalit Cohen-Émerique, doctorante en psychologie sociale.

Mais d’abord, qu’est ce que la culture ?

La culture est un ensemble de normes, de valeurs et d’objets vĂ©hiculĂ©s dans une sociĂ©tĂ© ou un groupe social et qui le caractĂ©rise. C’est ce qui est commun au groupe et ce qui le soude, ce qui est appris, produit, transmit et inventer [3].

Selon la dĂ©finition de L’UNESCO, «la culture, dans son sens le plus large, est considĂ©rĂ©e comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matĂ©riels, intellectuels et affectifs, qui caractĂ©risent une sociĂ©tĂ© ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’ĂȘtre humain, les systĂšmes de valeurs, les traditions et les croyances.» (1982)

En effet, il n’existe pas une culture mais des cultures. Chaque pays, peuple, ĂȘtre humain ou organisation possĂšde une culture diffĂ©rente.

De nos jours, bien souvent il arrive que des individus issues de cultures diffĂ©rentes se rencontrent, et c’est de cette rencontre que nait l’interculturalitĂ©.

D’accord, et qu’est ce que l‘interculturalitĂ© ?

Contrairement Ă  la multiculturalitĂ©, qui implique principalement la simple cohabitation de diverses cultures dans un mĂȘme espace gĂ©ographique, l’interculturalitĂ© suppose une relation d’échange — active, enrichissante et dans un respect partagĂ© — entre des cultures diffĂ©rentes [4].

Cela va bien au-delĂ  de la simple tolĂ©rance envers l’autre, car cela implique un effort d’interrogation mutuelle et une prise de conscience des aspects culturels profonds qui caractĂ©risent chaque groupe, c’est-Ă -dire des icebergs culturelles de chacun.

Iceberg culturel, késako ?

Theorie de l’iceberg culturel (ou de l’iceberg de la culture) prĂ©sente de maniĂšre illustrĂ©e les diffĂ©rentes formes sous lesquelles se manifeste la culture [6]. Chaque personne possĂšde un iceberg culturel avec :

  • une partie Ă©mergĂ© — le “Quoi” — reprĂ©sentant les Ă©lĂ©ments culturels visibles comme les vĂȘtements, la musique, la nourriture, les gestes, les salutations et l’architecture
  • une partie immergĂ© — le “Pourquoi” — reprĂ©sentant les Ă©lĂ©ments culturels invisible comme les normes, les valeurs et les croyances, les visions du monde, l’approche de la famille, les diffĂ©rences entre les sexes, les attitudes Ă  l’égard des rĂšgles, pour n’en nommer que quelques-unes.
The Cultural Iceberg, adapted by Sheri Lazarus (2016) from work by Edward T. Hall (1976). Art by Anna Seeley and Abby Smith [8]

Selon ce modĂšle, le “Quoi” est expliquĂ© par le “Pourquoi”, c’est-Ă -dire que les parties visibles de la culture ne sont que des expressions de ses parties invisibles.

Il souligne Ă©galement qu’il peut parfois ĂȘtre difficile de comprendre des personnes d’origines culturelles diffĂ©rentes. Nous pouvons repĂ©rer les parties visibles de leur «iceberg», mais nous ne pouvons pas voir immĂ©diatement sur quelles bases reposent ces parties, et bien souvent cette partie cachĂ©e est tellement intrinsĂšque Ă  l’individu qu’on l’oublie [5, 6].

D’oĂč l’intĂ©rĂȘt de l’interculturalitĂ©, celui d’aller dĂ©couvrir la partie immergĂ© de l’iceberg culturel en essayant d’aller au delĂ  de notre cadre de rĂ©fĂ©rences qui, lorsque l’on en tient pas compte, agit comme un filtre, et nous propose une grille de lecture qui peut nous pousser Ă  mal interprĂ©ter les gestes des autres et nous faire tomber dans les jugements de valeurs expĂ©ditifs [5].

Exploration d’un iceberg culturel

Fort de cette comprĂ©hension digeste de l’interculturalitĂ©, explorons Ă  prĂ©sent les piliers fondamentaux de cette dĂ©marche interculturelle, selon les enseignements de la psychologue Cohen-Émerique, ayant fait partie des pionniers en France et dans les pays francophones des recherches sur l’interculturalitĂ©.

Les piliers de la démarche interculturelle

Experte en relations et communication interculturelles, Margalit Cohen-Émerique nous explique que pour sâ€˜Ă©duquer Ă  l’interculturel, trois attitudes — trois phases jouant en Ă©troite interdĂ©pendance — sont Ă  dĂ©velopper : la dĂ©centration, la comprĂ©hension et la nĂ©gociation.

Le chemin de l’interculturel [1]

DĂ©centration, une dĂ©marche vis-Ă -vis de soi-mĂȘme

La dĂ©centration consiste Ă  porter un regard sur soi-mĂȘme et prendre conscience de ses cadres de rĂ©fĂ©rences (i.e. ses propres systĂšmes de valeurs, prĂ©supposĂ©s, stĂ©rĂ©otypes, idĂ©ologies, etc.), afin d’opĂ©rer une relativisation par rapport Ă  ceux-ci. C’est un prĂ©alable qui permet de pĂ©nĂ©trer dans le systĂšme de l’autre [1, 9].

ComprĂ©hension de l’autre, une dĂ©marche vis-Ă -vis de l’autre

La comprĂ©hension consiste Ă  quitter ses propres cadres de rĂ©fĂ©rences pour aller « se mettre dans la peau de l’autre » afin de dĂ©couvrir ce qui, dans la culture de l’autre, s’organise autour de rĂ©fĂ©rents de base communs. Cela suppose donc une ouverture d’esprit et une curiositĂ© intellectuelle [1, 9].

Concrùtement, six voies existent pour essayer de comprendre et d’entrer dans le systùme de l’autre :

  • S’informer : Il s’agit, dans un premier temps, de recueillir des informations sur la culture de l’autre par des lectures et des stages : important, mais pas suffisant, voire dangereux dans la mesure oĂč cette approche peut renforcer les stĂ©rĂ©otypes et occulter la variable d’appropriation individuelle de la culture. Ensuite, dans un second temps, il convient de s’informer auprĂšs de son interlocuteur, car il est le premier et sans doute le meilleur informateur possible pour expliquer son cadre de rĂ©fĂ©rence.
  • Écouter : Écouter l’autre, tout en accordant une grande attention aux mots, aux expressions, aux figures rhĂ©toriques, aux mots clefs, car ils sont susceptibles de vĂ©hiculer les valeurs culturelles de la langue maternelle, les valeurs structurant l’identitĂ© de la personne.
  • DĂ©velopper des habiletĂ©s en communication non verbale : Se dĂ©tacher du contenu du message pour s’intĂ©resser au contexte porteur de communication, au non-verbal. Il s’agit donc de se montrer attentif Ă  la symbolique vestimentaire ou culinaire, aux reprĂ©sentations du corps, du temps, de l’espace, au langage paraverbal, aux objets symbolico-religieux, etc.
  • Ne pas trop interprĂ©ter : Ne pas assimiler les nouvelles dĂ©couvertes en les rattachant Ă  nos connaissances existantes car cela peut conduire Ă  nĂ©gliger les aspects qui ne correspondent pas Ă  nos cadres de rĂ©fĂ©rence — Ă  l’instar du mĂ©decin qui ne prĂȘte pas attention Ă  certains symptĂŽmes dĂ©crits par un patient parce qu’ils ne correspondent pas Ă  ses diagnostics habituels.
  • Prendre du temps : Se connaĂźtre puis se placer dans le point de vue de l’autre est un processus d’apprentissage qui nĂ©cessite du temps pour aboutir Ă  une maturation.
  • Voyager : Pour mieux pĂ©nĂ©trer dans le systĂšme de l’autre, quoi de mieux qu’une immersion dans le milieu de vie de l’autre : emprunter ses modes de vie, Ă©couter de la musique locale, goĂ»ter aux produits du terroir, etc.

Négociation-médiation, une démarche vis-à-vis de la relation

La négociation-médiation consiste à négocier en vue de construire une plate-forme commune interculturelle [1, 9].

Pour garantir son bon déroulement, a priori délicat, le respect de quelques conditions préalables est nécessaire. Il convient :

  • Admettre qu’on se situe bien dans un “conflit de valeurs”, c’est-Ă -dire d’attribution de sens, de lecture ou d’interprĂ©tation de la rĂ©alitĂ©
  • Supposer un certain degrĂ© de rationalitĂ© Ă  l’Autre, mĂȘme si elle est diffĂ©rente
  • Éviter toute attaque personnelle, et bannir toute forme de caricature
  • Reconnaitre sa mĂ©connaissance des spĂ©cificitĂ©s culturelles de l’Autre quand c’est le cas, et donc il ne faut pas hĂ©siter Ă  le questionner pour ne rien laisser dans l’implicite et l’incompris

Mise en pratique de la démarche interculturelle

Exemple de non mise en pratique de la dĂ©marche interculturelle đŸ‡č🇭

La ThaĂŻlande est majoritairement bouddhiste et les statues Ă  l’image de Buddha sont considĂ©rĂ©es comme des objets de culte sacrĂ©. Mais certains touristes considĂšrent ces images comme des symboles non religieux et cherchent simplement Ă  suivre une mode. Ils ne sont pas conscients du besoin de respecter la religion locale, ce qui choque profondĂ©ment les bouddhistes du pays.

Affiche contre le tatouage de Buddha en Thailande

Exemple de mise en pratique de la dĂ©marche interculturelle 🇰đŸ‡Č

Aux Comores, le grand mariage, aussi appellĂ© “anda” est l’une des coutumes les plus importantes de la sociĂ©tĂ© comorienne : elle conditionne le statut social de l’homme qui s’y prĂȘte, et l’honneur de la famille est liĂ© au bon accomplissement des festivitĂ©s. VoilĂ  pourquoi la somptuositĂ© et l’ampleur de l’évĂ©nement peut paraitre excessif, et fait souvent tendre les familles Ă  la dĂ©rive financiĂšre. Cependant, en vous dĂ©centrant de votre point de vue et en prenant le temps de comprendre l’enjeu, vous pouvez arriver Ă  saisir l’importance sociale et culturelle du grand mariage dans la sociĂ©tĂ© comorienne, vous pouvez ĂȘtre en mesure d’accepter et de reconnaitre la signification profonde de cet Ă©vĂ©nement pour la famille et la communautĂ©.

Photo par Jean-Marc « MM » De Coninck [source] | Extrait de la thÚse de Youssouf ABDILLAHI : La migration et la coutume comorienne face au renouvellement des générations [11]

ConsidĂ©rons que vous ĂȘtes français d’origine comorienne et que de retour aux Comores vos parents vous conseillent (avec aplomp) de vous marier et rĂ©aliser la coutume. Vous avez toujours considĂ©rĂ© cela comme un gaspillage d’argent, mais cette fois-ci, vous choisissez de nĂ©gocier plutĂŽt que d‘y ĂȘtre fermement opposĂ© parce qu‘un refus peut entraĂźner des conflits familiaux et une rupture des relations. Donc vous parlez avec les membres de votre famille afin de trouver un terrain d’entente et proposez de trouver un Ă©quilibre entre les traditions culturelles et les contraintes financiĂšres. AprĂšs discussions et compromis, vous parvenez Ă  organiser un grand mariage qui respecte la tradition tout en Ă©tant Ă©conomiquement viable et en accord avec vos valeurs.

Parent de CĂ©cile lors du Grand mariage de CĂ©cile et Aska Ă  Bandamadji la Domba, un couple franco-comorien [source]

VoilĂ  pourquoi lors de votre sĂ©jour dans un pays quelquonque, prenez le temps de discuter avec les habitants locaux, posant des questions sur leur mode de vie, leurs croyances et leurs traditions. Et cela vaut aussi lorsque vous rencontrer des personnes venant d’ailleurs. En Ă©coutant attentivement leurs rĂ©cits, vous acquĂ©rez une comprĂ©hension approfondie de leur culture et de leurs valeurs, vous permettant ainsi de mieux interagir et de respecter leurs coutumes.

Pour conclure

Dans cet article, nous avons plongĂ© au cƓur de la dĂ©marche interculturelle, explorant les mĂ©andres complexes de l’interculturalitĂ©, l’iceberg culturel et les enseignements prĂ©cieux de Margalit Cohen-Émerique.

Au final voici un schĂ©ma synthĂ©tique de la dĂ©marche interculturelle illustrant les trois piliers essentiels — la dĂ©centration, la comprĂ©hension et la nĂ©gociation — pour bĂątir des ponts entre les cultures.

Schéma synthétique de la démarche interculturelle

De interculturalité à interculturalité sociale

Par ailleurs, au mĂȘme titre que l’interculturalitĂ© explore la diversitĂ© culturelle, il est impĂ©ratif de dĂ©velopper une autre dimension cruciale, tout aussi fondamentale dans notre sociĂ©tĂ© complexe et diversifiĂ©e : la capacitĂ© Ă  Ă©tablir des relations avec des personnes provenant de diffĂ©rentes classes sociales. Cette dimension, que l’on pourrait nommer “intraculturalitĂ© sociale”, Ă©voque la nĂ©cessitĂ© de comprendre et de respecter les diffĂ©rences dĂ©terminĂ©es par la classe sociale, tout comme on le fait pour les diffĂ©rences culturelles.

Le subtil mĂ©pris de classe d’Emma pour AdĂšle, extrait de “La vie d’AdĂšle” (2013) — un film qui traite du rapport entre bourgeois et prolĂ©taires Ă  travers une histoire d’amour.

Ainsi, de maniĂšre similaire, dans le contexte des diffĂ©rences sociales, ces mĂȘmes principes de dĂ©centration, de comprĂ©hension et de nĂ©gociation peuvent jouer un rĂŽle crucial dans la construction de relations interclasses respectueuses et enrichissantes.

C’est d’ailleurs un enjeu important pour ceux qui se voient gravir l’échelon sociale, prenant conscience rapidement de leurs diffĂ©rences et se devant de comprendre les nouveaux codes de leur classe sociale d’entrĂ©e afin de pouvoir s’adapter, mais cela ne se fait rarement sans un lot de souffrance comme pourrait en tĂ©moigner Darah [12]. Mais ce sujet mĂ©riterait un article entier.

Mlachahe SAID SALIMO.

PS : Dans une démarche interculturelle, je négocierai le non au anda.

DerniĂšre mis Ă  jour : Le samedi 04 novembre 2023.

Références

  1. La démarche interculturelle, un extrait de la brochure et guide pédagogique Vivre Ensemble Autrement
  2. L’éducation plurilingue et interculturelle avec JC Beacco, la playlist youtube de la confĂ©rence dirigĂ© par Jean Claude Beaco Ă  l’Observatoire EuropĂ©en du Plurilinguisme
  3. Culture, la page Wikipédia
  4. Interculturel, la page Wikipédia
  5. L’interculturalitĂ© partie 1 et 2, vidĂ©os de la chaine youtube SCI — Projets internationaux ASBL
  6. Comment comprendre une nouvelle culture — L’iceberg de la culture ?, un article du site sl-city.centreleolagrange.fr
  7. L’approche interculturelle — Le cadre de rĂ©fĂ©rence, une vidĂ©o de la chaine youtube TCRI QuĂ©bec
  8. The Cultural Iceberg & Communication, un article du site emiworld.org
  9. Initier à la communication interculturelle, un extrait du livre PASSAGE DES FRONTIÈRES, Études de didactique du français et de l’interculturel de Luc Collùs
  10. L’intelligence culturelle : la compĂ©tence dont les leaders ne peuvent se passer, un article du site learnlight.com
  11. La diaspora de la Grande Comore Ă  Marseille et son apport sur le dĂ©veloppement de l’üle, thĂšse de doctorat en sciences humaines de Youssouf ABDILLAHI (2012)
  12. Le lot de souffrances de l’ascension sociale | Mon tĂ©moignage, une vidĂ©o de la chaine youtube de Darah

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Mlachahe Said Salimo
Wanabilini
Editor for

French Student in Computer Science for Health. J'Ă©cris mes notes ici + J'Ă©cris pour apprendre, pas parce que je sais !