L’innovation à l’ère du digital, ou la capacité de s’adapter ?

Christophe Tallec
WDS en Français
8 min readOct 16, 2015

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D’un premier point de vue, un jeu n’est qu’une recherche (perturbée par des opposants) dans laquelle l’objet est de trouver une position gagnante. D’un autre point de vue complémentaire, la recherche n’est qu’un jeu dont les mouvements sont les transformations (choix, inférences) permises dans l’action de recherche.

“Toute recherche est un jeu. Tout jeu est une recherche”

John Holland, Adaptation in natural and artificial systems

Dans un nouvel environnement où le changement fait partie du quotidien de toutes les organisations, mobiliser les énergies nécessaires pour définir et concevoir leurs capacités d’adaptation est un vrai défi. Cet environnement est d’ores et déjà régi par de nouveaux modes d’innovation permis par le digital. Celui-ci s’infuse dans toutes les pratiques d’innovation historiques en offrant de fantastiques opportunités de les régénérer ou de les faire évoluer. Par exemple, notre capacité de générer des concepts, d’échanger des idées, autrefois limitée à la salle de réunion, se dématérialise sur les réseaux sociaux internes des entreprises et les plateformes dédiées. De plus, plutôt que de simplement s’adapter à l’environnement, l’entreprise et son environnement sont désormais 2 dimensions sur lesquels innover et intéragir. En modifiant simultanément ces 2 dimensions, l’entreprise peut ainsi développer de nouvelles capacités de s’adapter et redéfinir, qui de qui, peut et doit finalement s’adapter.

Au cours des 2 dernières années, nous avons exploré avec les organisations le potentiel de l’expérience client comme horizon commun à tous les acteurs de l’organisation afin de piloter leur changement en alignant expériences des clients finaux actuels et futurs, l’environnement de ces expériences et toutes les parties prenantes qui le composent. Un récent ouvrage paru aux éditions Eyrolles rend compte de ce travail et en propose un cadre méthodologique.

Cet exercice a nécessité une plongée dans les différents modes d’innovation nécessaires pour traiter la complexité liée aux projets transversaux et auxquels conduit l’expérience client. Innovation technologique,
de processus, d’usages, des business models. Autant de dimensions sur lesquels apprendre et explorer pour nos organisations.

Plutôt que de subir le changement, mieux vaut le piloter. Cependant, de nouveaux modes de pensée et modes organisationnels doivent demain permettre un pilotage avisé, entre changements incrémentaux pour performer au quotidien et rupture, pour se réinventer à la vitesse nécessaire. Uber est souvent cité en exemple pour ses capacités de disruption, moins souvent pour ses capacités permanentes d’apprentissage. Saviez-vous que l’ensemble des équipes transversales (marketing, opérations…) partagent au sein d’un espace commun les processus inventés par chacun et les remettent en question pour mieux les faire évoluer et les appliquer ? Ainsi, les équipes font évoluer leurs pratiques et processus au quotidien, en intégrant la rupture ou l’amélioration dans un processus permanent d’apprentissage.

Dans son dernier ouvrage Peers Inc, Robin Chase, acteur majeur de la redéfinition de la mobilité de ce siècle, introduit la notion “d’apprentissage exponentiel” permis par le digital. L’un des exemples donnés dans l’ouvrage, Duolingo, est une application d’apprentissage des langues, dont les équipes testent sans cesse sur des centaines de milliers de leurs utilisateurs les parcours d’apprentissage pour en définir de nouveaux, toujours plus efficients. Développer les nouvelles capacités exponentielles d’apprentissages sur le processus même d’innovation de nos organisations pourraient permettre une adaptation continue redéfinissant ses manières d’innover.

Autour de nous, ces exemples d’apprentissage pour l’innovation incrémentale sont nombreux et participent des grands succès des acteurs digitaux actuels. Nous voyons ainsi apparaître de nouveaux objets et services apprenants dans notre quotidien. Nos smartphones se dotent de claviers prédictifs capables de répondre à notre place selon notre historique de conversation. Un environnement où les objets qui nous entourent acquièrent de nouvelles capacités et propriétés, en rupture par rapport à leur définition classique. Comme le haut-parleur Amazon Echo, transformé en commande vocale grâce à l’API de l’objet. Ou les modèles de voitures de Tesla, dont la fonction “conduite automatique” est obtenue par mise à jour de leur logiciel. Ce phénomène gagne aussi l’industrie, où sont développés des robots capables d’introduire de l’apprentissage dans leurs processus. Ces capacités d’apprentissage deviennent partie prenante de ces objets, services, processus et de leur capacité. Ces exemples font émerger une question : et si l’organisation produisant ces objets et services devenait elle-même apprenante au sens où l’ère du digital le permet ?

La littérature scientifique touchant au sujet de l’organisation apprenante s’est fortement développée ces 3 dernières décennies. Au delà des enjeux théoriques, il semble qu’un nouveau paradigme devient possible à l’heure où cet apprentissage exponentiel à l’échelle des processus est facilité. Ce nouveau paradigme donne un sens nouveau à l’organisation apprenante: et si nos processus d’innovation et de conception faisaient désormais partie d’un apprentissage itératif ultra rapide, ne serait-ce pas une façon de sans cesse définir les meilleurs processus de conception réglés ou à contrariaux de rupture à adopter, à l’image de l’apprentissage mené sur les processus et parcours d’apprentissage de Duolingo ?

Dans le cas de Duolingo, des équipes cherchent à réduire le temps passé à apprendre une langue ainsi que d’améliorer l’expérience utilisateur. Les hypothèses de nouveaux processus et parcours d’apprentissage, rapidement testés auprès des utilisateurs permettent de formaliser de nouveaux processus et parcours utilisateur plus efficients. Nos organisations peuvent ainsi s’inspirer de ces acteurs du digital pour tester rapidement de nouvelles hypothèses sur les meilleurs parcours utilisateurs (collaborateurs, partenaires) et processus liés à leur innovation ou au contraire augmenter les capacités à générer de nouvelles hypothèses pour challenger l’existant. Que l’on explore du changement incrémental (par exemple l’amélioration d’un processus dont on peut mesurer la performance par des critères établis) ou du changement de rupture (par exemple un nouveau processus qui nécessiterait de nouveaux critères d’évaluation) ces nouvelles capacités d’apprentissage nous ouvrent de nouveaux horizons.

Lors d’une récente lecture d’équipe, où nous partageons nos inspirations, nous nous sommes replongés dans les écrits de John Holland. Ses hypothèses ont nourri la recherche et les travaux en intelligence artificielle ce dernier quart de siècle et pourraient trouver une nouvelle application dans les nouvelles manières de regarder l’organisation, dont les capacités d’adaptation ne devraient cesser de se décupler.

Dans son ouvrage Adaptation in natural and artificial systems, il décrit l’adaptation comme “tout processus qu’une structure modifie progressivement pour donner une meilleure performance dans son environnement”. Il y développe notamment un cadre mathématique inspirant pour nos organisations qui vise l’unification des réflexions sur la capacité et les mécanismes de l’adaptation, objet central de différentes sciences (psychologie et capacité d’apprentissage, économie et planification optimale ou encore intelligence artificielle).

Cette capacité d’adaptation est une compétence clé de l’organisation, au sens où Sanchez, Heene et Thomas (1996) l’entendent, c’est à dire “une ressource accroissant la capacité de soutenir un déploiement coordonné qui contribue à aider une organisation à atteindre ses objectifs” pour faire des organisations des “organisations apprenantes”.

Nous entrons dans une ère où les différentes formes d’innovation convergent pour mieux soutenir nos rythmes contemporains d’innovation, où innovations de ruptures, qu’elles soient technologique ou d’usage, vont côtoyer l’innovation incrémentale permanente sur des horizons temps plus rapprochés.

Une réponse au coeur de notre accompagnement, apprendre ensemble de la manière toujours la plus efficiente et en croisant nos connaissances, afin de piloter des actions concrètes et informées pour innover.

Autour d’un sujet d’innovation incrémentale — où l’enjeu sera de réduire les incertitudes d’hypothèses données — ou en rupture — où il s’agira d’ouvrir le plus possible votre champs d’hypothèses — nous proposons 4 clés de lecture stratégique pour votre questionnement sur l’innovation :

1 — Comment réduire l’incertitude de la maturité de mon organisation ?

En d’autres termes, est-ce que mon organisation est mature, en regard de mes enjeux et ambitions d’innovation ?

Organisez un pilotage quantifié des montées en capacités de votre organisation, d’un processus historique (c’est à dire existant dans votre organisation) à un processus nouveau, à concevoir ou à faire adopter par l’organisation.

Prenez par exemple le processus d’innovation, de digitalisation ou d’autres plus opérationnels clés pour votre adaptation et :

  • Commencez dès votre prochain projet ou sur votre projet en cours à identifier les grandes étapes du processus que vous suivez.
  • Définissez sur chaque niveau du degré d’incrémentation (à quel point améliorer l’existant) versus votre degré d’exploration (à quel point repenser l’existant et donc le remettre en question) en fonction de vos enjeux
  • Définissez vos enjeux d’apprentissage sur chaque étape et formulez vos hypothèses
  • Décidez des quelques indicateurs de mesure à appliquer sur ces différentes étapes en lien avec vos enjeux d’apprentissage.
  • Enfin, identifiez sur chaque étape les points de souffrance et opportunités de transformation, faciles, impactantes et court terme versus moyen ou long terme stratégique. Générez un nouveau processus en redéfinissant les étapes, leur contenu et comparez l’efficience de ce nouveau processus. Le diable est dans les détails.

2 — Comment réduire l’incertitude sur la valeur d’usage des projets que j’entreprends, moi ou mon organisation ?

En d’autres termes, questionner l’écart entre la valeur préssentie pour le, les utilisateurs versus la valeur qui sera vraiment délivrée et perceptible.

Augmentez les capacités de votre organisation vous permettant de créer des connaissances minimum viables des utilisateurs clés concernés dans vos projets (internes ou externes). Quelles sont les bonnes pratiques, les méthodes, les stratégies d’acquisition de ces connaissances et comment contribuer à leur amélioration ? Demandez autour de vous qui se charge du management des connaissances utilisateur au sein de votre organisation. Si aucun nom ne vient, il ne vous reste plus qu’à initier la réflexion.

3 — Comment réduire l’incertitude de la valeur business d’un projet ?

Adoptez des stratégies de connaissances minimum viables de l’écosystème d’acteurs et d’alignement des attentes et des différentes formes d’innovation à adopter.

En lien étroit avec la valeur d’usage, il faut pouvoir :

  • vous demander quelle est la valeur business pour vos différentes parties prenantes
  • adopter les stratégies de conception qui maximisent la valeur business. Ainsi nous utilisons 3 analogies pour vous inspirer, les stratégies de conception pour l’adoption, pour la transformation des habitudes ou pour la rupture et la génération de connaissance associées

4 — Comment réduire l’incertitude de la faisabilité technique et technologique d’un projet ?

Par le prototypage accéléré sur toutes les dimensions d’un projet, par exemple quel parcours de l’un de vos utilisateurs en lien avec votre problématique technique ou technologique ou de l’un de vos collaborateurs pourrait être repensé chaque jour à l’image de Duolingo ? Remettez en cause les statuts quo. Eteindre du feu avec de l’eau, tout le monde connaît. Éteindre du feu avec du son, c’est plus nouveau. Enfin croisez les connaissance et les mondes, à l’image du laboratoire Mediated Matter du MIT et du récent ted talk de Neri Oxman présentant leurs travaux à la croisée des sciences du design computationnel, du “additive manufacturing” (les nouveaux processus de fabrication par addition), de l’ingénierie des matériaux et de la biologie synthétique.

A vous de jouer !

Nous vous proposons d’explorer vos enjeux d’innovation ouverte, qui dessine une partie des capacités d’apprentissages de l’organisation de notre dernière décennie, sous ces 4 angles dans notre “diagnostic-exploration” . Une série d’articles complémentaires issus du monde de la recherche ou de l’actualité sera mis à jour régulièrement.

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