Le design devrait être épique

Rémi Garcia
We Are Outsiders
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4 min readJun 26, 2019

Je passe beaucoup de temps à râler sur l’ère actuelle du design. Certainement au point de soûler tout le monde et de passer pour un type aigri. Mais soyons honnête, je la trouve triste. Quand je me promène dans les allées du web, j’ai l’impression de toujours voir la même chose, du blanc ou du noir, du vide (énormément de vide), du flat,… Partout les mêmes structures, partout les mêmes illustrations,… Les designers sont devenus un clan élitiste qui se complait dans les micros différences sans jamais voir la big picture.

La rationalisation du numérique

Quand j’ai commencé dans le design, il y a 10 ans, c’était encore un monde d’aventuriers. Les designs des sites étaient imparfaits, expérimentaux parfois mais ils avaient une vraie identité. La technologie permettant plus de choses, les designers se donnaient à coeur joie de blinder les sites de textures, de typos farfelues, d’effets ou d’animations délirantes. Bien sûr avec nos habitudes d’aujourd’hui, ces sites paraissent chargés et illisibles mais à l’époque, on ne se posait pas la question (et on arrivait à s’en servir quand même).

Progressivement, toute la création numérique a commencé à se normaliser. D’abord par la technique. L’apparition des smartphones à nécessité de se poser la question de l’adaptation aux différents formats d’écrans, des solutions techniques ont vu le jour : le responsive, les grids, le twitter bootstrap, les avancées du CSS, des technos JS, l’atomic design (oui c’est vraiment un truc de dev ça), les designs systems… Menant petit à petit à une vision ingénieurial de la création dans le design.

Ensuite la culture du design a beaucoup changé aussi. Les designers se sont intéressés aux neurosciences. La recherche utilisateur, l’expérience utilisateur et le design thinking sont apparus apportant avec eux tout un courant méthodologique mais aussi une normalisation des interfaces (simplicité, loi de Jakob,…). Tout devient alors plus simple, plus identique pour ne pas brusquer les petites habitudes des utilisateurs, au point de parfois créer des copies conformes de design pour des produits/services quasiment similaires.

Vers une époque de l’épique

Et si on faisait l’effort d’inverser la tendance et de recommencer à créer des choses nouvelles, qui sortent des carcans usuels. D’abord pour le plaisir de s’amuser à nouveau en tant que designer et d’explorer des choses plus personnels et nouvelles. Mais aussi d’un point de vue plus éthique, parce qu’à force de créer des interfaces toujours plus optimisés pour s’assurer de l’addiction des utilisateurs, nous sommes en train de construire tout un monde de déficitaires de l’attention névrosés complètement accrocs à leurs smartphones.

Mais qu’est-ce que j’entends par des design épiques ? C’est ma foi assez simple :

Des designs qui changent vraiment et positivement la vie des gens.

Parce qu’on a pas besoin d’un énième copycat de réseau social, qui plutôt que de rassembler les gens les isolent en nourrissant le narcissisme de chacun. Parce qu’on a pas besoin de gadgets supplémentaires dont personne ne se sert jamais. Franchement plutôt que de créer une nouvelle boîte de livraison de bouffe qui sous paye des gars pour faire du vélo et t’amener ton déjeuner parce que t’as la flemme de cuisiner, peut-être que ce serait mieux d’apprendre aux gens à cuisiner simplement et rapidement. Ça leur ferait faire des économies, ça les rendrait plus autonomes et ils seraient certainement en meilleur santé (et je sais de quoi je parle sur le dernier point).

Des designs qui ont une vraie personnalité.

Parce qu’il n’y a pas que le flat, le minimalisme et les typos géantes sur des photos tout aussi géantes dans le design. Il existe autant de style d’illustration que d’illustrateurs, alors pourquoi voit-on toujours les mêmes choses ? Tous les identités de restaurants n’ont pas à être résumées à une typo cursive et un effet craie ou bien un amalgame de typos et un look vintage. Personne n’interdit de mixer les univers et j’ai hâte de manger dans un resto qui osera un style de comics ou médiéval.

Des designs qui osent des interfaces innovantes

Parce que depuis le swipe de Tinder, on vraiment pas eu grand chose de neuf. Nous avons dans nos poches, un objet qu’on peut manipuler dans tous les sens avec quelques doigts. Quand allons prendre le contrôle de ce pouvoir pour oser des interactions différentes ? Et tant pis on se plante, on fera mieux la prochaine fois.

Des designs qui cassent les codes et qui font rêver

Parce qu’il y en a marre des outils B2B chiants à mourir (quand on ajoute pas par dessus une couche hideuse et incompréhensible), des trucs qui se prennent trop au sérieux. Depuis quand bosser avec un outil business doit forcément se résumer à un truc inutilisable et sans âme ? Franchement je ne cracherai pas sur un peu de magie au quotidien pour changer de la routine. On a toutes les technologies pour pouvoir s’amuser et on continue à créer des produits basiques au possible.

Changer d’état d’esprit : être radical, aventurier et s’amuser

On a pas le temps de s’ennuyer, la vie est trop courte pour se limiter à des choses qui n’ont pas d’intérêt. Il faut remettre de l’ambition dans les projets, quitte à se fâcher avec les grands pontes du secteur. Il faut oser aller plus loin, creuser, innover, essayer des choses improbables mais surtout prendre du plaisir. Les principes du user/human centric sont géniaux mais pas si ils aseptisent le monde. Personne n’a envie de vivre dans un hôpital. Non les gens ont envie de jungle, de contrées perdues, de villes futuristes, de forêt mystérieuse ou de fonds marins. Il faut arrêter de jouer la neutralité et s’exprimer vraiment, vive les couleurs criardes qui brûlent les yeux et tant mieux si ça divise. La division c’est très bien, au moins ça ne laisse pas indifférent.

Alors ? Prêt à relever le défi ?

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Rémi Garcia
We Are Outsiders

Designer d’expérience un peu rebelle, passionné d’éducation, touche-à-tout, illustrateur et auteur à ses heures perdues. Geek dans la vraie vie.