Vers un design de l’usage

Rémi Garcia
We Are Outsiders
Published in
7 min readJan 8, 2020

Après avoir exploré les limitations de la méthode du design centré utilisateur et de ses nombreux biais méthodologique dans un autre article. Je vais maintenant pousser la réflexion encore un peu plus loin.

Le postulat de base du design centré utilisateur

Comme toute nouvelle approche, le design centré utilisateur repose sur des notions de bases qui en sont les fondements. Mais comme n’importe quelle philosophie, elle n’est pas absolue et peut présenter des biais.

1 - L’utilisateur ne doit pas (ou n’est pas capable de) produire d’efforts lors de son utilisation

C’est un des problèmes de la démarche centrée utilisateur qui veut que l’utilisateur final ne produise aucun effort (ou le strict minimum) lorsqu’il interagit avec un produit.

Soit parce qu’il n’en est pas capable d’adapter ses propres schémas mentaux pour comprendre la démarche proposée par le designer (de structure, d’arborescence,…)

Soit parce qu’il est trop flemmard pour investir des efforts pour appréhender une nouvelle interface.

Pour répondre à cette problématique, le designer subit l’injonction de créer un produit qui s’adapte parfaitement aux habitudes d’utilisation et à la cognition de l’utilisateur. Pour ça il doit structurer l’information de la façon dont l’utilisateur l’aurait structuré, concevoir une ergonomie qui prend en compte son niveau et ses habitudes, son contexte d’usage,… tout.

2 - La technologie doit s’adapter à l’utilisateur

Le corollaire du précédent postulat veut que la technologie s’adaptent à chacun d’entre nous, pour proposer des expériences personnalisées. Il faudrait donc proposer des variations de design pour chaque besoins, chaque modèle mental des utilisateurs, chaque contexte.

L’idée est bonne et louable mais nous sommes souvent confrontés à la réalité technique et commerciale qui limite les possibilités d’atteindre cet idéal. Et même si c’était possible, les variations seraient si nombreuses qu’il serait impossible de toutes les explorer.

Les gens s’adaptent à la technologie

Or la plupart des objets que nous utilisons au quotidien ne sont pas du tout adaptés à nous. Si on devait faire passer un test d’utilisabilité à une voiture, un clavier d’ordinateur ou n’importe quel instrument de musique. Chacun d’eux échoueraient lamentablement. Ils ont tous leurs propres codes, leur propre configuration qui n’est pas du tout basée sur des profils particuliers d’utilisateurs.

Cette idée n’est pas de moi mais de Don Norman. Il l’explique assez bien dans son article : Human centered design considered harmful.

Mais si tout ces outils, ne sont pas basés sur des schémas mentaux logiques pour les utilisateurs, est-ce que ça veut dire que les personnes ne peut s’en servir ? Pas du tout. En fait tout le monde apprends à s’en servir et dans la grande majorité des cas les gens y arrivent.

Un piano est un ensemble de 85 touches qu’il est nécessaire d’activer sous certaines combinaisons pour pouvoir produire une mélodie. Mais ces combinaisons ne sont pas toujours simples et nécessite même de devoir améliorer, travailler sa dextérité pour pouvoir les réaliser.

Le clavier d’un ordinateur est identique. Les gens qui débutent sur un clavier vont lentement et pressent les touches une par une car les lettres sont disposés dans un ordre pas forcément logique. Avec le temps on finit par acquérir une certaine dextérité au point de ne même plus avoir besoin de regarder son clavier.

D’ailleurs il existe des combinaisons de clavier plus ergonomique comme le dvorak par exemple. Alors pourquoi continue-t-on à utiliser le qwerty et l’azerty dans ce cas si ils sont si terribles ?

L’unique point de convergence : l’usage

La réponse est que peu importe l’ergonomie, si un outil répond à un usage important alors les gens s’adapteront à l’outil.

Je ne dis pas qu’il faut s’en foutre et produire des outils qui ne sont pas ergonomiques. Non ce que je dis c’est que ça ne doit pas forcément être le critère principale parce qu’au final la seul chose qui compte c’est l’usage.

L’usage est la base de tout. Chacun peut avoir une raison et des envies différentes dans les critères de choix d’une voiture. Certains vont vouloir absolument qu’elle ai la clim, d’autres la radio, 3 portes, 5 portes, qu’elle soit grosse ou alors petite,…. Et si ils ne trouvent pas leur bonheur, ils se rabattront sans trop de problème vers ce qui correspond le plus à leurs critères même si la voiture ne répond pas à tout ces critères.

Pourtant il y a un élément sur lequel, personne ne transigera… Il faut que la voiture réponde au seul usage qu’on attend d’elle : nous transporter d’un point A à un point B.

Si demain, il ne reste que des voitures anglaises, toute l’humanité s’adaptera à conduire avec le volant à droite. Par contre si toutes les voitures arrêtent de fonctionner alors seulement, les gens se rabattront sur d’autres technologies qui répondent à leur besoin d’usage.

Si ils ne s’en servent pas c’est qu’il n’en ont pas vraiment besoin donc est-ce bien centré utilisateur ?

Je fais un petit aparté pour préciser une chose. Le besoin d’ergonomie n’est pas un besoin vital de l’humain mais une conséquence de notre époque.

N’importe qui utilisant Outlook au travail et Gmail à la maison se rend compte que l’ergonomie d’Outlook est terrible. Et pourtant nous continuons à l’utiliser. Ce n’est pas forcément par choix, plutôt par une contrainte de politique interne à l’entreprise mais ça ne nous empêche pas d’envoyer et de recevoir des emails. L’ergonomie n’est donc pas un problème.

En fait plus une personne aura besoin de faire quelque chose, moins elle aura besoin d’effort d’ergonomie. Inversement, moins elle a besoin de faire quelque chose, plus son besoin d’ergonomie sera important. C’est ce que j’appelle la règle du besoin/design.

De plus si elle a le choix entre deux solutions qui répondent à un même usage, elle se tournera vers celui qui est le plus simple à utiliser (ou celui qui lui semble le plus correspondre à son besoin selon des critères totalement arbitraires).

Or nous vivons actuellement à une époque où les utilisateurs sont inondés de produits et services. Noyés sous la masse de solutions, ils doivent faire un choix et la simplicité d’usage est un des critères importants de ce choix. Donc les entreprises tentent tout leur possible pour faire en sorte d’optimiser au maximum leurs produits dans l’espoir de gagner la bataille.

L’optimisation est vu comme le Graal. Et la méthode de design centré utilisateur répond à ce besoin. C’est pour cela qu’elle est tant en vogue aujourd’hui.

Mais est-ce qu’optimiser une solution pour qu’elle attire le plus de monde possible est bien conforme avec la démarche centrée utilisateur ? Est-ce que les pousser à se servir d’un produit est vraiment dans l’esprit ?

Le problème c’est qu’il existe trop de services et produits parfaitement identiques qui n’apportent rien de plus à l’utilisateur. Plutôt que de se spécialiser pour cibler des niches particulières (pour faire preuve d’une vraie démarche différenciante) et se répartir le gâteau, tout le monde se bat pour avoir la même part et déploie donc des efforts d’optimisations inutiles car comme je vais l’expliquer dans la partie suivante, le choix se fera uniquement sur des critères subjectifs donc aléatoires et non maîtrisables.

Un produit utilisable n’est pas forcément un bon produit

Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à choisir telle solution plutôt qu’une autre ? L’ergonomie est un des critères mais quand je vois le nombre de personnes qui continuent d’utiliser Outlook (oui c’est une vraie plaie pour moi), je me pose sérieusement des questions.

En fait la plupart du temps ce sont des critères purement subjectifs qui nous poussent à choisir tel ou tel produit : une obligation, une première expérience réussie, un recommandation d’un ami, l’identité graphique, la sensation d’appartenir à quelque chose.

Un produit peut avoir la meilleure utilisabilité de l’univers ça ne veut pas dire qu’il sera le meilleur produit. Il suffit que le feeling ne passe pas auprès des utilisateurs pour que tout tombe à l’eau.

C’est d’ailleurs bien connu dans le milieu entrepreneurial, un bon produit qui marche n’est pas forcément le plus réussi ou le mieux réalisé, mais aussi celui qui arrive au bon endroit, au bon moment pour le bon public. Beaucoup de facteurs de succès qui ne sont absolument pas maitrisables.

Même pour le plus rationnel des êtres humains le choix d’un produit se fera donc sur deux critères :

  1. Le produit répond à l’usage attendu
  2. Le produit provoque une réaction émotionnel positive

Ni plus, ni moins.

Vers un design centré usage

L’utilisabilité d’un produit ne fait pas tout. C’est même un critère secondaire chez la plupart des personnes. Or la démarche centrée utilisateur telle que nous la pratiquons aujourd’hui est surtout concentrée sur cette partie. Elle incite à adapter la technologie pour qu’elle corresponde à l’environnement de l’utilisateur. Mais c’est mal comprendre comment les gens fonctionnent avec la technologie.

Le design doit avant tout répondre à un usage. Que veulent faire les gens quand ils utilisent cette outil ? Qu’est-ce qu’il va leur apporter ? Et si recherche utilisateur il y a (ce qui n’est pas utile la plupart du temps quand on parle d’usage), c’est uniquement pour répondre à ces questions. Une fois l’usage trouvé l’ergonomie de l’interface, l’utilisabilité n’est qu’un élément parmi d’autres et elle n’a pas besoin d’être parfaite. Croyez-moi les gens s’en sortiront très bien (si il en ont besoin).

Quand vous attaquez un nouveau projet. Demandez-vous ce que les gens cherchent à faire. Qu’ont-ils besoin d’accomplir ? Et concentrez-vous la dessus. Cherchez la meilleure solution, celle qui pourra générer de l’émotion chez eux tout en les aidant à accomplir leur but.

Les gens ne sont pas idiots, ils ne sont pas incompétents. Ils sont tout à fait capable d’utiliser une interface qui a un design bien fait même si elle ne colle pas parfaitement à leurs modèles mentaux ou leur vie quotidienne. Et si malgré tout ils ne s’en servent pas, c’est qu’il n’en avait pas (encore) vraiment besoin.

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Rémi Garcia
We Are Outsiders

Designer d’expérience un peu rebelle, passionné d’éducation, touche-à-tout, illustrateur et auteur à ses heures perdues. Geek dans la vraie vie.