ESG & Climat : Retour de 3 experts de l’industrie financière
A un récent événement ESG co-organisé par FactSet et WeeFin, j’ai eu la chance d’animer un panel auquel participait Caroline Le Meaux de la Caisse Des Dépôts et Consignations, Manuel Coeslier de Mirova et James Von Claer d’Arabesque AM pour discuter des dernières tendances sur l’investissement ESG.
Le but était de parler de l’ESG très concrètement : les données et leur qualité, les indicateurs climat et les choix méthodologiques, l’arrivée de la réglementation européenne.
L’inclusion de critère ESG — Environnement, Social, Gouvernance- dans la gestion de portefeuille est devenu un thème de discussion central sur la place parisienne. Suite à la COP21, la TCFD et l’arrivée de l’article 173 en France, les occasions n’ont pas manqué d’évoquer le sujet.
L’engouement est fort auprès des investisseurs institutionnels qui sont nombreux à avoir été pionniers et en forte progression auprès des investisseurs particuliers : 63% des français possédant un produit d’épargne déclarent accorder une place importante aux impacts environnementaux et sociaux dans leurs décisions de placements.
Cette forte visibilité du sujet a catalysé l’innovation : de nombreuses stratégies de gestion ont vu le jour, une offre pléthorique d’indicateurs -notamment climat- et de fournisseurs de données est maintenant disponible. Ce morcellement de l’offre a donné lieu à de nombreux débats méthodologiques : Chacun a sa vision de ce que devrait être l’ESG. Les problématiques de qualité de la donnée et l’absence de standards clairs compliquent la tâche des investisseurs pour choisir quelles métriques utiliser pour suivre la gestion ou communiquer sur leur politique d’investissement.
L’importance de la définition de l’ESG et de l’utilisation des critères
La CDC, comme d’autres caisses de retraite, a été pionnière dans l’inclusion de critères ESG dans ses investissements dans le but d’assurer une performance long terme à ses investisseurs : cette inclusion s’est faite naturellement car elle va dans le sens des intérêts des bénéficiaires. Caroline Le Meaux — en charge des investissements des actifs des régimes confiés à la CDC- rappelle l’importance d’une définition précise de l’investissement ESG afin de ne pas générer de confusion sur l’objectif. Il faut notamment bien le distinguer de “l’impact investing”, dont le but est de mesurer l’impact sociétal sur la durée de vie de l’investissement. L’ESG est avant tout un marqueur de risque : extraire une donnée ESG c’est éviter les sous-performances.
L’usage devient alors clef pour décider quel type de données utiliser. Manuel Coeslier — gérant Mirova expert climat et membre de TEG de la commission européenne — explique par exemple que certaines données sur le climat sont de bons indicateurs pour le reporting mais pas encore utilisables comme critère d’investissement.
La technologie, un passage qui devient obligatoire.
L’analyse ESG se complexifie : parce qu’il est nécessaire de disséquer un grand nombre de sources données et de les mettre à jour fréquemment, la technologie s’impose comme un passage obligatoire pour limiter les coûts et éviter aux analystes un travail répétitif de recherche d’information. L’approche d’Arabesque AM est justement d’utiliser la technologie -et en particulier le Big Data et le Machine Learning- pour scanner un grand nombre de sources : 50 000 dans 15 langues différentes. Ce type d’approche quantitative de l’ESG est possible seulement aujourd’hui grâce à la maturité de ces technologies. Investir dans ces outils semble un passage devenu obligatoire pour les investisseurs et les fournisseurs de données, notamment pour gérer les problématiques de qualité et de couverture de la donnée.
Cette recherche de scalabilité n’est pas sans écueil : l’analyse ESG reste un travail d’expert. Caroline Le Meaux rappelle donc que la technologie doit être “bien” utilisée, et complémenter le travail de l’analyste ESG plutôt que de le remplacer. La vraie difficulté est en fait de transformer le flux d’informations qualitatives en un signal quantitatif intelligible et utilisable par la gestion, ce qui n’est pas entièrement automatisable à ce jour.
Contrôler les biais et ne pas s’arrêter à la note ESG
Le grand nombre de sources et d’indicateurs utilisables couplé à l’absence de standard rend le choix d’un fournisseur de données crucial pour la bonne exécution de la stratégie ESG. Chaque fournisseur a des biais méthodologiques de couverture ou de qualité. Comprendre ces biais fait partie intégrante du processus de sélection. Les intervenants pointent en particulier la faiblesse des indicateurs du pilier S, qui s’est moins développé que le E, mieux porté par les nombreuses initiatives chez le climat (COP 21, TCFD, …). Des biais géographiques peuvent aussi apparaître : les entreprises européennes sont souvent mieux notées que leurs équivalentes américaines ou japonaises. La manière même dont les données sont collectées peut influer sur le résultat : un problème bien connu des modèles de collecte déclaratifs est de favoriser les grosses entreprises au détriment des petites. Et même si cette étape est automatisée au maximum, le nécessaire paramétrage manuel des outils créera lui aussi un biais.
Ces biais ne sont pas nécessairement un problème ni évitables : il s’agit surtout de bien comprendre la donnée utilisée. Il est donc important de ne pas s’arrêter aux ratings mais de s’intéresser aux données brutes, aux sous-critères qui ont permis de réaliser la notation. Ces sous-critères ont une valeur bien plus grande pour les investisseurs parce qu’ils sont plus explicatifs de la performance. Ce ne sont pas des indicateurs “agrégés” qui contiendraient trop d’information pour être lisibles et utilisables.
Climat : une première approche, l’empreinte carbone…
Le climat est donc devenu une des thématiques de l’ESG les plus discutées. En France en particulier, depuis l’accueil de la COP21 et la volonté de la place parisienne de devenir la capitale mondiale de la finance verte
La première métrique à avoir été utilisée est l’empreinte carbone. Le but de la métrique est de mesurer la production de CO2 et autres gaz à effet de serre reliées aux activités directes et indirectes de l’entreprises. Cette empreinte carbone est subdivisée en plusieurs groupes :
-scope 1 : les émissions liées aux activités directes de l’entreprise (ex : fabrication d’une voiture)
-scope 2 : celles liées aux activités indirectes (ex : consommation électrique nécessaire à la fabrication d’une voiture)
-scope 3 : les émissions générées en amont des activités de l’entreprise (ex : matériaux nécessaires à la fabrication d’une voiture) et en aval (ex : utilisation de la voiture par le conducteur)
Si la métrique carbone semble très intuitive a priori, elle est plus complexe à interpréter et utiliser pour l’investisseur. En effet pour comprendre l’impact d’une activité ou d’un secteur en particulier, il faudrait fréquemment calculer l’empreinte jusqu’au scope 3. Malheureusement si la qualité des données sur les “scopes 1 et 2” est plutôt au rendez-vous, les entreprises déclarent peu le scope 3, ou selon des méthodologies moins homogènes. La question du dénominateur des émissions carbones est également importante : rapporter les émissions carbones à une donnée financière ne permet pas toujours une mesure cohérente et il faut pour certain secteur comme le transport redéfinir le référentiel. Il est donc difficile de parvenir à une méthodologie “cross-secteurs”.
…qui doit être complémentée d’autres analyses
Du fait de la difficulté d’interprétation de l’empreinte carbone, les intervenants ne l’utilisent pas comme critère d’investissement. Si la CDC utilise la donnée uniquement dans le cadre du reporting, Mirova a commencé à l’utiliser en amont des décisions d’investissements, mais comme une donnée parmi d’autres pour comprendre la stratégie climat des entreprises.
Le but de l’investisseur n’est pas obligatoirement d’avoir un portefeuille bas carbone mais peut être d’accompagner les entreprises vers une économie bas carbone. D’autres analyses doivent donc être utilisées, si possible moins statiques que l’empreinte carbone pour permettre de se projeter sur le futur. Parmi celles-ci, le carbone économisé permet de comprendre la dynamique des émissions carbones. Arabesque AM a également investit le sujet via une méthodologie d’analyse de scénario. Ce type de méthodologies permet de mesurer l’alignement d’un investissement avec les scénarios de limitation du réchauffement climatique.
Des réglementations pour canaliser l’innovation
L’innovation générée par la place financière et la nécessité de re-diriger les flux financiers vers une économie bas carbone a poussé certains états et régulateur à s’intéresser à la finance durable et l’ESG. Si la France est maintenant familière avec l’article 173 qui demande aux institutionnels de communiquer leur stratégies ESG et climat, une réglementation similaire est en préparation à la commission européenne. Manuel Coeslier -membre du TEG, Technical Expert Group mandaté par la commission européenne- rappelle que son périmètre est plus large : création d’une nouvelle taxonomie verte, de 2 nouvelles typologies de benchmarks (via un amendement de BMR), d’une obligation de reporting similaire à l’article 173 et des amendements de MIFID2 pour inclure la durabilité dans le conseil client.
Pour les participants du panel, la réglementation devra agir comme un garde-fou pour s’assurer des bonnes pratiques. Caroline Le Meaux souligne qu’elle ne devra pas pour autant être prescriptive : il existe un grand nombre d’approches possibles pour accompagner l’économie durablement qu’il ne faut pas freiner. Il ne faut pas forcer une normalisation: chaque acteur a sa définition de ce qu’est l’ESG comme c’est le cas pour certaines données financières (ex: prix cibles) qui n’ont jamais été normées.
Sur la taxonomie verte par exemple, le TEG recommande la création d’une liste d’activités vertes au niveau européen : le but n’est pas de déterminer si une entreprise est verte ou pas, mais plutôt de regarder si ses activités contribuent de façon positive à l’un des objectifs environnementaux fixés par l’Union Européenne. Côté benchmarks, le TEG considère l’ensemble des scopes (1, 2 et 3) d’émissions dans ses recommandations. Deux benchmarks, l’un bas-carbone — axé sur la réduction du risque -, l’autre à “impact positif” — axé sur la transition — seront proposés.
Quel futur pour l’ESG
Un des buts assumés de l’ESG est d’apporter plus de transparence aux investissements. C’est donc tout naturellement que de plus en plus d’acteurs laissent leur données ou leur méthodologie en libre accès. Des initiatives de ce type ont déjà eu lieu en France et en Europe. Au sein du panel, Mirova et Arabesque ont tous deux réfléchi à ce sujet. Les données d’Arabesque sont d’ailleurs déjà partiellement disponibles en ligne.
L’ESG est en fait en cours de normalisation et s’intègre de plus en plus avec le financier. Pour Arabesque AM, on ne parlera d’ailleurs bientôt plus d’extra-financier. L’ESG sera demain un lieu commun, intégré avec le reste des métriques financières. Toutefois, le risque actuel pour l’ESG -accentué par une sur-utilisation des Objectifs de Développements Durables- est de devenir un pur produit marketing. Les participants soulignent l’importance d’être concret et de revenir vers plus de technique : il faut rester humble avec la donnée.
💡 Take aways:
➡ Utiliser des données ESG brutes et pas des scores agrégés permet d’être plus précis dans l’analyse.
➡ Coupler une approche technologie (pour réduire les coûts et parcourir les nombreuses sources d’information) et une analyse qualitative et humaine semble être le processus le plus efficient pour exploiter les données.
➡ L’ESG devient la norme, mais il faut rester humble avec la donnée : l’accent doit être mis sur la technique et moins sur le marketing.
➡ La transparence et le collaboratif sont des tendances fortes pour créer de nouvelles méthodologies.
Au final, une session riche en enseignements qui démontre bien l’engouement et le degré d’innovation sur l’ESG !