Être Ensemble et se Réaliser grâce au numérique

Partie 2/3: Mais pourquoi sommes-nous si seuls?

Laila Ducher
Weeprep
10 min readMar 28, 2017

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By Erwan Sellin/ Weeprep Copyright® 2017, All rights reserved

Être ensemble est indéniablement source de bonheur, cependant bâtir de bonnes relations n’est pas chose aisée. Cela dépend de nous, du regard que l’on porte sur autrui et de la place que nous voulons bien lui accorder dans nos vies.

Nous avions dit dans le volet numéro 1, que nous sommes tous différents. Pour parvenir à bâtir de bonnes relations, le partage, l’ouverture, le désintéressement, l’amour de l’autre, la compassion, l’entre-aide, l’effort de dialogue, la collaboration donc l’esprit d’équipe étaient de mise.

Mais au-delà de cela, être avec l’autre c’est prendre un chemin qui nous sort de notre narcissisme primaire (lien unique avec soi-même, sans d’autre écho que le sien) ou secondaire (le Moi va rechercher chez l’autre, non pas un autre amour que celui qu’il se porte, mais toujours immuablement le même).

Le numérique nous a permis de nous entourer de nouvelles personnes plus rapidement, de façon plus directe. Le numérique a gommé bon nombre de courtoisies qui, me semble-t-il, freinent la rencontre entre des gens qui n’étaient sans doute pas voués à communiquer, débattre, rire, pleurer, et construire des projets ensemble.

Le numérique est véritablement venu nous porter secours , car dans nos sociétés modernes, les esseulés, ce n’est pas ce qui manque…

Les réseaux sociaux sans vouloir les idéaliser, viennent répondre à une problématique majeure que nous vivons tous plus ou moins : la solitude et l’isolement qui sont bien souvent liés à nos vies professionnelles, à notre culture, et notre éducation.

Dans ce second volet, je vous propose de nous pencher sur les raisons de notre profonde solitude afin de comprendre la fonction première mais aussi d’évaluer l’efficacité des réseaux.

I. Pourquoi sommes-nous si seuls?

1.1 Solitude et isolement

Tout d’abord, il semble nécessaire de rappeler que nous naissons seuls et mourrons seuls. la solitude est le propre de l’Homme, justement car il a conscience de son existence et de sa singularité.

La vie avec les autres n’est pas facile, c’est sans doute ce qui a poussé Jean-Paul Sartre à déclarer un jour :

“L’enfer c’est les autres” (Huis-Clos, 1943)

Le vivre ensemble est souvent marqué par des malentendus, des déceptions, des souffrances, des conflits. La peur d’autrui, de son regard, son jugement, sa clairvoyance vis-à-vis de nous, nous poussent à nous isoler, la solitude est un refuge dans ce cas. Autrui, nous fatigue.

C’est un fait, qu’il ne faut pas nier, il ne faut pas non plus tenter ici d’idéaliser le vivre ensemble.

Pour autant, nous avons besoin des autres, être seul peut être un choix, mais bien souvent être seul est bien plus subi qu’autre chose, être seul est donc un malheur.

Nous confondons souvent solitude avec isolement, or ce ne sont pas des synonymes. Ces deux termes expriment des aspects distincts de la solitude.

La solitude exprime à la fois l’absence d’autrui autour de soi mais aussi le sentiment d’être seul malgré le monde qui nous entoure.

Je suis seul, je me sens seul au milieu de la foule.

L’isolement renvoie à la conscience douloureuse de l’absence d’autrui, plutôt que l’absence physique d’autrui (ici on est dans la métaphysique).

L’Homme moderne, à force d’être en représentation dans la société parvient difficilement à être lui-même. Bien souvent, Il se proclame d’idéaux extérieurs, il peut avoir des comportements superficiels voire narcissiques, et peut avoir du mal à donner un sens profond à sa vie.

Le paraître semble prendre le pas sur l’êtreté

Ajoutons aussi que la difficulté à devenir soi ou être soi peut provoquer des dégâts psychiques chez les personnes. L’individu se retrouve en souffrance dans bien des cas.

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À force de désillusion avec autrui, on finit par ne plus croire en soi, on devient confus, on n’a plus de repère. La fatigue de soi est sans doute une des plus grandes maladies modernes. Si on est bloqué avec soi, on est bloqué avec autrui.

1.2 Plus de solitude dans nos sociétés modernes?

La mise en relation, la collaboration, le partage qui nous sont proposés par les grand acteurs du numérique est le signe d’une prise de conscience que l’autre est important et qu’il va nous aider à sortir de l’isolement mais aussi à nous construire et à nous réaliser.

Ce besoin de changement qui est exprimé à travers l’utilisation massive de ces plateformes numériques résulte d’une société hyper individualiste depuis plusieurs décennies.

Le confort matériel nous a éloignés les uns des autres. En effet, pourquoi faire appel aux autres puisque vous n’avez besoin de rien?

D’autre part, les lieux de vie ne sont plus des zones rurales où les gens se connaissaient et pouvaient aisément toquer à la porte de leurs voisins pour demander un litre de lait, ou du sel quand ils n’en n’avaient plus dans leurs placards.

Les relations étaient fondées sur la connaissance et la confiance mais aussi sur la réputation que l’on avait des uns et autres. Comme les groupes sociaux, ou plutôt les communautés étaient bien définies, distinctes, et à taille humaine, il y avait toujours quelqu’un qui pouvait attester de la réputation des uns et des autres, (Moscovici, 2000).

Dans les zones urbaines les individus croisent chaque jour des centaines d’autres individus. Il paraît évident qu’un individu est incapable de tisser des relations avec autant d’individus, et ce, même s’il le voulait.

Aussi pourrions-nous ajouter que nous avons été formés tout le long de notre vie à nous méfier d’autrui, à la maison, à l’école et au travail. Autrui est rarement perçu comme un allié, mais plutôt comme quelqu’un dont il faut se méfier, ou un concurrent.

1.3 Notre éducation: un frein à la rencontre de l’autre?

Si l’on se penche sur notre éducation, il semblerait en effet que L’école est davantage centrée sur son rôle d’ascenseur social, même si elle faillit parfois à sa tâche.

Face à ce système méritocratique (il faut être le meilleur pour réussir), les familles développent des stratégies scolaires individualistes (choix de la bonne filière, du bon lycée, de la bonne option etc.), car tout le monde ne sera pas logé à la même enseigne. Nous avons donc appris tout le long de notre parcours scolaire et de notre éducation à la maison, à nous démarquer de notre concurrence. Autrui est conçu comme un ennemi, un rival, il faut donc s’en méfier.

La solitude est la maladie de l’Homme moderne

Les choix d’orientation que font les adolescents sont toujours rationnels: ils doivent les mener vers des emplois à valeur ajoutée, des emplois qui leur permettront d’assurer leur avenir, et qui les valoriseront dans leur environnement social. Quand un élève ne peut pas obtenir la bonne filière, l’idée d’être relégué à des études professionnalisantes et courtes peut être mal vécue. C’est cette logique-là qui a fini par broyer bien des vocations, mais aussi des vies humaines.

L’école est un lieu de socialisation mais aussi d’exclusion, et c’est d’ailleurs ce qui lui est reproché la plupart du temps, l’enjeu de la réforme du système éducatif est de former les jeunes à devenir eux-mêmes et d’accepter leurs singularités et d’en faire une force.

Malheureusement, le dogme de la performance a conduit à l’isolement des personnes

Notre société moderne (à travers la famille, l’école, les entreprises, les médias) prône donc la réussite individuelle et l’épanouissement personnel. La quête du bonheur se fait principalement par le biais de stratégies et de perspectives individuelles. L’individu a ainsi appris à s’affranchir des codes sociaux pour établir ses propres modèles (familles, valeur, spiritualité, alimentation, éducation etc.).

L’environnement social, les institutions, les individus concourent à façonner une société sur mesure pour favoriser les destins et les succès individuels.

Notre société valorise les plus performants et productifs et les autres sont sanctionnés par la mise à l’écart.

Demander de l’aide, peut donc paraître incongru pour diverses raisons:

  • La peur de déranger autrui
  • La peur d’être perçu comme un faible
  • La peur de la réaction de l’autre et d’être violemment rejeté
  • La peur de bousculer les modalités relationnelles conventionnelles, la culture (cela ne se fait pas ou plus de demander de l’aide).
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Les bonnes relations ne sont pas si simples à bâtir, les bons amis se comptent sur les doigts de la main, trouver son âme soeur s’apparente à rechercher une aiguille dans une meule de foin.

Collaborer avec des personnes qui ne sont pas dans votre environnement, trouver des associés pour monter un projet relève de la mission impossible si vous ne prouvez pas par A plus B que vous êtes dignes de confiance, que vous êtes bien formés, performants, experts, et bien intentionnés (réputation). Seuls votre performance, vos résultats comptent.

1.4 Vous avez besoin d’autrui, mais lui, a-t-il besoin de vous?

Oui, bâtir une bonne relation ça marche à deux…

Pourquoi autrui se rapprocherait-il de vous? Vous cherche-t-il? J’émets une simple hypothèse: s’il est heureux dans son coin, qu’il a une vie bien établie tant au niveau professionnel que personnel, alors pour quelle raison viendrait-il à votre rencontre? Pourquoi s’encombrerait-il de votre présence?

Dans ce cas de figure, je crois qu’autrui n’a pas vraiment besoin de vous, et il ne vous cherche pas. De plus, nous savons que les attitudes empathiques chez l’Homme ne sont pas si naturelles, elles s’apprennent… Autrui éprouvera rarement de la compassion pour son prochain, surtout si celui-ci a tout dans la vie pour être heureux.

Il ne viendra pas naturellement à votre rencontre pour vous taper la causette, faire du lien social, ou bien vous apporter une aide spontanée, sauf exception.

Vous n’avez qu’à regarder nos comportements face aux plus démunis que nous rencontrons chaque jour dans la rue: nous sommes rarement dans l’empathie, la compassion à leur égard, mais plutôt dans l’indifférence, la peur ou encore la culpabilité.

Il existe d’ailleurs des études sérieuses qui démontrent que lorsque plusieurs personnes sont témoins de violence à l’égard d’une personne, aucune d’entre elles n’ira lui porter secours. Si parmi toutes ces personnes, un individu prend les devants pour aller aider la victime (car il se sent responsable), alors les individus vont suivre ce “héros” et adopter la même attitude que lui vis-à-vis de la personne agressée (c’est “l’effet de contagion”).

John Darley et Bibb Latané (1970) en ont tiré une théorie, celle de «l’effet du passant» selon laquelle plus il y a de témoins, moins on intervient. Sur l’espace public, chaque individu est seul confronté à des inconnus, et chacun se déresponsabilise des uns et autres car chacun pense que quelqu’un finira par intervenir.

Les comportements humains sont donc très complexes vis-à-vis même des plus fragilisés.

1.5 Lien à autrui : nos origines sociales en cause

Selon une étude sociologique corrélée à d’autres il est démontré que les gens se rencontrent en fonction de leurs affinités (centres d’intérêts), leurs âges, mais aussi et principalement en fonction de leur appartenance sociale (catégorie socio-professionnelle).

Les inactifs tels que les jeunes (enfants, adolescents, jeunes adultes étudiants) ou encore les femmes au foyers, ou les jeunes retraités, sont enclins à nouer davantage d’amitiés qu’une personne vivant en couple avec des enfants ou qu’une personne très âgée. Ils ont du temps, de l’énergie. D’ailleurs c’est dans ces moments de vie qu’ils parviennent à rencontrer leurs conjoints et à nouer des amitiés solides. Ce sont des populations assez philanthropes.

Les lieux les plus propices aux rencontres sont les associations, les écoles, les lieux d’activités sportives et culturelles.

Les jeunes qui intègrent vite le monde du travail, eux, auront une vie relationnelle moins riche. Ils ont perdu, en règle générale, contact avec leurs camarades de classe, les opportunités de trouver l’âme soeur ou avoir de très bons amis sont moins importantes que les jeunes qui font des études longues, et ils ont une mobilité professionnelle plus réduite.

Une chose surprenante, les catégories sociales élevées sont beaucoup actives quant au développement de leurs réseaux et de l’entretien de leurs liens d’amitiés. En moyenne, les classes supérieures parviennent à mieux garder leurs amis d’études, car elles ont passé beaucoup de temps avec eux. Elles ont environ 4 très bons amis contre 1 à 2 très bon(s) amis pour les classes sociales inférieures. Les classes supérieures de par leur mobilité exigée par leur vie professionnelle ont des réseaux professionnels ou personnels plus étoffés que les autres classes sociales.

De plus, ces classes sociales n’ont pas tant de mal que cela à nouer des contacts: la profession, le statut, le salaire sont tout autant d’éléments reconnus par l’environnement de proximité ou professionnel. Cette catégorie sociale n’hésite pas à entretenir son réseau, et aussi à mettre la main à la poche quand il le faut (invitations, organisations d’événements, dîners, fêtes etc.).

Conclusion

Je suis seule mais je me soigne… Enfin, je crois

La solitude vécue par beaucoup d’entre nous est un état de fait, parce que nous sommes pris dans une matrice de la vie en société. Cette solitude n’est plus vécue comme une maladie, et d’ailleurs le marché de la solitude a inspiré les startups pour répondre à leurs besoins: site de rencontres amoureuses, plateformes collaboratives, plateformes de trocs de crowd sourcing, de crowd funding, les réseaux sociaux etc., ne se comptent plus.

Les esseulés semblent mieux appréhender leur condition car elle est mieux acceptée par la société. Aujourd’hui, les termes comme vieux garçon, vieille fille, ont été remplacés par célibataires. Ces derniers ne se cachent plus d’être célibataires, ils le revendiquent haut et fort, même si au bout du compte le célibat peut devenir une plaie avec les années qui passent.

Le retour au village recherché

La solitude amicale, amoureuse, professionnelle (chômage, mise au placard, reconversion professionnelle), des jeunes mères au foyer ou en poste, des personnes âgées, ou des personnes handicapées les a amenés à devenir des utilisateurs assidus des réseaux sociaux.

Que leur apportent-ils, se sentent-ils moins seuls et arrivent-ils à y tisser de bonnes relations?

Laila Ducher

Merci Erwan Sellin pour ces jolis dessins ;-)!

https://weeprep.org/

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