Façonner, Formater, L’école d’Hier et d’Aujourd’hui

Laila Ducher
Weeprep
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8 min readJul 1, 2016

Depuis décembre 2015 j’interviens dans les collèges et les lycées parisiens et franciliens pour promouvoir l’entreprenariat, mais aussi pour faire connaître mon projet. En rencontrant les acteurs de l’éducation dans le privé ou dans le public ainsi que les adolescents, je prends conscience tous les jours davantage que les travaux de rénovation de notre chère Education Nationale sont colossaux.

A la fin d’une intervention dans un collège dans les Hauts-de-Seine classé REP réalisée récemment, j’ai eu une conversation avec deux élèves de 4ème, assez soucieux de leur avenir, qui m’a bien remuée:

(…)

Mathieu: Moi je me prépare déjà pour passer un Bac S, y a qu’ça de vrai, de toutes façons les autres bacs c’est pas terrible, et ça ne mène pas à grand chose. J’ai 14,5 de moyenne générale, et je pense que je vais réussir dans cette voie.

Moi: Et sais tu ce que tu feras après ton bac S?

Mathieu: Et bien moi je crois que je ferai une école de commerce et de préférence HEC et ensuite tout sera possible pour moi après.

Moi: Et toi Antoine?

Antoine : Oh moi aussi je ferai S et rien d’autre, j’ai envie de faire des études d’ingénieur ou de médecine, je ne sais pas encore… Mathieu a raison, si tu ne fais pas S, t’es foutu.

Moi: Vous ne trouvez pas dommage que seul le bac S soit vraiment valorisé?

Mathieu: Non pas du tout, c’est comme ça, il faut bosser c’est tout. Ceux qui ne travaillent pas assez, c’est de leur faute et ils verront après… Tant que t’as compris le système…

Moi: Ils verront quoi?

Mathieu: Ils vont galérer…mais c’est leur problème, moi j’avance en attendant.

Antoine à Mathieu: Oui tant que t’as compris le système alors, tu bosses et c’est tout.

Moi à Mathieu et Antoine: C’est super, vous semblez tous les deux assez sûrs de vous et du choix de votre bac, mais croyez-vous vraiment, que si vous ne faites pas S alors votre vie est fichue?

Mathieu: Avec le bac S toutes les portes sont ouvertes, avec les autres bacs c’est plus compliqué.

(…)

Comment se fait-il que des élèves âgés de 13/14 ans soient si soucieux de leur avenir à tel point que la seule façon d’assurer leur carrière professionnelle repose sur l’obtention d’un bac S. Ils sont plutôt ambitieux et savent quel trajet ils vont prendre après la troisième et la terminale. Ils veulent prendre un chemin qui leur permettra d’avoir une carrière professionnelle moins risquée. D’autres parts, ils regardent l’avenir au travers d’un seul et unique prisme, et pensent qu’il n’y a pas d’autre possibilité de réussir sa vie qu’en empruntant cette voie.

Ils se mettent une pression pour réussir cette première étape dans le secondaire.

Mais après coup je n’ai pu m’empêcher de penser:

Mais est-ce bien leur propre vision de l’avenir? Expriment-ils leur propre désir? Ne portent t-ils pas les inquiétudes de quelqu’un d’autre? Et si ils ne réussissaient pas à entrer en filière S, que se passerait-il pour eux, comment le vivraient-ils? La vie n’est pas un long fleuve tranquille…

je n’ai pas les réponses à ces questions, mais je ne peux pas croire qu’un adolescent de 13 ans soit dans l’état d’esprit d’un adulte, être jeune pour moi c’est être insouciant, aimer jouer, essayer de nouvelles choses, changer, bouger, être audacieux, même si l’adolescence n’est pas une période simple pour tout le monde, elle reste une partie de vie où l’on a apprend à s’éveiller à soi et au monde, c’est un moment de vie qui détermine quel adulte nous deviendront.

En même temps, il semblerait que ces enfants soient lucides et pragmatiques, en effet, en choisissant la filière S, ils s’offrent plus de possibilités d’orientation, et donc prendre leur temps pour réfléchir davantage à leurs projets professionnels. Le Bac S est valorisé partout. Les places sont chères en S. Il faut se battre pour être le meilleur.

Pourtant, laisse t-on une place suffisante à ces adolescents pour rêver leur vie?

Je remarque aussi que pour eux et comme beaucoup d’autres adolescents de leur âge, l’école ne semble pas être synonyme de plaisir, mais de dur labeur, de compétition et de méritocratie à en juger leur propos:“avancer” “bosser”, “comprendre le système”, “réussir” et “c’est tout”.

Ces élèves, comme tous les autres sont éduqués dans un cadre, où il faut apprendre à s’asseoir, écouter, répéter, appliquer les consignes, ne pas faire d’erreur, et se présenter aux évaluations. S’il réussissent à faire tout cela alors, ils arriveront peut-être au sommet de la société.

Pourtant, beaucoup d’élèves à mesure qu’ils avancent dans leur parcours scolaire sont de moins en moins impliqués à l’école, ils montrent de la passivité, ils participent peu lorsqu’on les questionne, ils s’endorment en cours, commencent à s’absenter une fois, deux fois, et ils finissent parfois par totalement décrocher…

L’école devient une contrainte pour beaucoup d’élèves, peu importe s’ils sont en difficulté ou pas. Il perçoivent l’école comme programme absurde qu’il faut suivre à un rythme effréné, et qui finit par broyer leur créativité, leur esprit d’initiative, et leur curiosité.

D’autre part, les évaluations norment souvent l’intelligence des élèves, en effet, nos sociétés sont fondées sur les mathématiques, un élève excellent en mathématiques sera plus valorisé qu’un autre élève brillant en langues étrangères.

Nous savons tous que le Bac L a largement perdu de son prestige depuis quelques années. Les élèves que l’on envoie en L sont des élèves qui ne sont pas bons en mathématiques (sauf exception pour les passionnés de lettres). Sans compter qu’on a des quantités de bac techniques qui n’arrivent pas nécessairement à séduire les universités, les écoles d’excellence.

Le niveau de motivation d’un élève peut être affecté s’il choisit une filière par défaut.

Le fait que l’on demande aux élèves d’aller absolument jusqu’au bac, accentue les inégalités paradoxalement. L’obtention du Bac n’est pas une garantie de réussite, peut-être vaudrait-il mieux accompagner les parcours des élèves de plus près pour comprendre leur motivation à faire des études courtes ou longues, et revaloriser les métiers manuels.

Les élèves seraient sans doute moins stressés et moins opposés les uns autres. Chacun pourrait trouver sa place à l’école.

Pour tenter de guider les élèves vers le bac, les équipes éducatives essaie de s’adapter aux élèves qui n’arrivent pas à suivre, en baissant le niveau d’éducation. En faisant cela, cette école est accessible aux élèves ni bons, ni mauvais, c’est-à-dire de niveau moyen.

Une bonne façon d’uniformiser les cerveaux…

Les bons élèves quant à eux, puisqu’ils “suivent bien”, l’école ne les suit pas vraiment, car ils “ne posent pas problème”. Leurs parents, (quand ils en ont les moyens financiers) leur organisent des cours privés après l’école pour compenser leurs retards et maximiser leurs chances d’avoir le niveau requis pour valider le sacro saint bac S. En somme, ce sont des enfants, qui travaillent beaucoup plus que les autres, car ce que leur propose l’école, ils le savent déjà.

Quant aux mauvais élèves, comme l’école n’arrive pas à les façonner, alors elle les abandonne sur le bord du chemin. Leurs parents quant à eux, investissent aussi dans des cours particuliers quand ils en ont les moyens financiers, et quand ils n’en ont pas, ils acceptent le sort que l’Education Nationale réserve à leurs enfants : une filière professionnelle lambda, et tant pis si cela ne leur plait pas!

Résultat, notre système éducatif est exclusif:

  • Baisser le niveau n’est pas une solution et est improductif, en effet, beaucoup d’élèves se retrouvent au collège avec de graves déficiences en lecture et calcul et seront en échec tout le long de leur parcours scolaire
  • Ne pas s’occuper des “bons élèves”, renvoie l’idée aux parents de ces enfants-là que l’école ne peut être une valeur ajoutée et qu’ils doivent se débrouiller seuls avec leurs enfants en dehors de l’école.
  • Exclure les enfants en difficulté scolaire est je crois la pire des choses à faire, car ils se retrouvent “à la rue”, découragés, dévalorisés, donc fragilisés, dans un tel état, leur capacité à rebondir est fortement réduite

On remarquera donc que la gratuité est toute relative si l’on doit systématiquement prendre en charge nos enfants à la moindre difficulté?

On peut tout-à-fait bâtir une école exigeante en sortant du formatage académique et en s’inspirant d’autres formes de pédagogies qui mettront en lumière les intelligences des élèves? Non?

L’école n’est pas faite pour les bons élèves ni ceux en difficulté. L’école ne sait pas gérer la diversité, alors même qu’elle prétend savoir le faire en un claquement de doigts (CF réforme des collèges)

Et si les élèves que l’école considère comme mauvais étaient en fait talentueux?

Pourquoi les initiatives isolées allant dans le sens de la refonte de notre système éducatif sont-elles si invisibles, et pourquoi n’arrivent-elles pas à impulser un changement? Un changement qui serait pourtant une lueur d’espoir pour les générations futures et surtout source d’égalité des chances.

Tout est affaire de projet éducatif, et de remise en question des valeurs qui animent les acteurs de l’éducation.

Je crois que l’E-N devrait en priorité se recentrer sur la refonte du Bac pour remédier au problème de l’orientation scolaire.

Voici les points sur lesquels j’agirais si je devais changer quelque chose:

  • Instaurer un bac unique et exigeant avec des matières clés à maîtriser et qui sera évalué en contrôle continu entre la 1ère et terminale: les mathématiques, les sciences physiques/chimie, biologie, les langues étrangères, le français, l’histoire géographie, la philosophie, l’informatique
  • Diversifier les matières entre la 6ème et la terminale en accentuant davantage sur des sujets où l’élève peut développer sa créativité (une sorte de catalogue de matières dans lequel l’élève peut piocher tous les 3 mois pour découvrir d’autres savoirs et développer d’autres compétences).
  • Donner la possibilité à l’élève d’étudier un sujet de son choix et de le présenter face à un jury en terminale
  • Revaloriser les filières professionnelles en augmentant les apprentissages par l’expérimentation dès l’école primaire
  • Orienter dès la 4ème les élèves désireux de faire des études courtes et professionnelles
  • Accompagner les élèves tout le long de leur parcours dès la 6ème grâce à un mentor qu’ils auront choisi eux-mêmes dans leurs environnements proches et qui collaborera avec les équipes éducatives.
  • Décloisonner un maximum les parcours scolaires pour intégrer les élèves qui ont choisi une filière professionnelle de pouvoir revenir à une formation plus généraliste
  • Le recrutement des étudiants dans le supérieur se fera sur concours ou sur présentation de projets professionnels

Pour qu’un changement véritable s’opère nous avons aussi besoin d’éduquer et d’instruire les enfants dans un climat apaisé, les enseignants et les parents doivent poser un regard différent sur les enfants, et cesser de distiller la peur de l’avenir, comme c’est le cas aujourd’hui.

Laila Ducher

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